Directions financières

Comment gérer les compétences data

Publié le 3 février 2023 à 10h30

Chloé Consigny    Temps de lecture 7 minutes

Les entreprises françaises semblent avoir pris la mesure de l’importance de la data pour le développement de leurs activités, mais également pour la réalisation de reportings financiers et non financiers. Toutefois, rares sont celles à s’être dotées en interne d’équipes data musclées. La plupart se contentent de recruter un CDO (chief data officer), éventuellement doté d’une petite équipe, et externalisent une très grande partie de leurs problématiques data auprès de cabinets de conseil spécialisés.

Un chief data officer (CDO) seul peut difficilement embrasser la totalité des sujets data. Même doté d’une équipe dédiée, il doit pouvoir composer avec des problématiques transverses. Voilà pourquoi la plupart des entreprises ont choisi de ne pas intégrer leur CDO dans une direction, mais de le faire travailler en lien avec l’ensemble des métiers. Il est ainsi extrêmement rare de voir ces spécialistes data exercer au sein de la direction financière. Il en va de même pour l’ensemble des data scientists. « Beaucoup de grands groupes ont essayé d’intégrer des data scientists au sein des directions financières explique Virginie Mathivet, modern data manager chez TeamWork société de conseil en technologie. Mais il apparaît qu’ils se retrouvent très souvent isolés et ne peuvent partager les bonnes pratiques avec leurs collaborateurs. Par ailleurs, au sein d’une direction financière, la charge de travail d’un data scientist est rarement suffisante pour constituer un temps plein. En interne le data scientist est donc souvent multidomaine et ne dépend pas d’une direction métier en particulier. »

Pour autant, toutes les entreprises et les directions financières semblent avoir acté l’importance de la gestion et de l’analyse de la donnée dans leur conduite business. De fait, les avancées offertes par une fine analyse des données, couplée à des modules d’intelligence artificielle sont colossales. Si pour l’heure, les grandes entreprises utilisent la donnée à des fins descriptives et prédictives, à l’avenir celles-ci pourront être utilisées à des fins prescriptives, c’est-à-dire pour aider à la prise de décision. « L’open data et des réglementations comme la PSD2, ou encore le data act, ont généré un mouvement de fonds pour démocratiser l’accès aux données, souligne Pierre Lhoste, directeur général, BDO Advisory. Il est désormais possible pour les entreprises de combiner leurs données internes avec des données externes qui leur donneront plus de sens, et de rapprocher, par exemple, les données internes de chiffre d’affaires d’une boutique d’aéroport des données externes de trafic passagers pour mieux évaluer la performance commerciale. »

«Beaucoup de grands groupes ont essayé d’intégrer des data scientists au sein des directions financières, mais ils se retrouvent très souvent isolés et ne peuvent partager les bonnes pratiques avec leurs collaborateurs.»

Virginie Mathivet Modern data manager ,  TeamWork

Une structuration indispensable de la gouvernance data

Il faut toutefois savoir en amont déterminer la qualité de la donnée. « Dans un monde professionnel qui se revendique “data centric”, le sujet de la structuration de la gouvernance data me semble aujourd’hui encore trop négligé, met en garde Pierre Lhoste. La pertinence des modèles d’analyse des données est étroitement liée à la maîtrise des données qui les alimentent. Un modèle de data science ne sera pas probant s’il s’appuie sur des données de mauvaise qualité ». Dans ce contexte, les CDO internes s’entourent de l’expertise de cabinets de conseil extérieurs qui les accompagnent dans l’identification des données à analyser et, par la suite, la mise en place de modèles. Un procédé qui s’accentue, porté par de nouvelles exigences de reporting, notamment en matière d’ESG. « Les directions financières ont aujourd’hui la charge de la réalisation des reportings ESG, relève Pierre Lhoste. A mon sens, l’enjeu se situe au niveau de la collecte des données, aujourd’hui très silotées et très hétérogènes, pour mettre en place des dispositifs de mise en qualité et de suivi de cette qualité. Il ne s’agira pas seulement de produire, en réponse à une pression forte des investisseurs, des indicateurs réglementaires mais aussi de développer des capacités d’analyse de ces données pour fixer des objectifs et identifier des leviers d’optimisation de la performance sur les indicateurs ESG. Et pour cela, les modèles devront être à la fois explicables et auditables. » Sur ces sujets en particulier, les directions financières sont de plus en plus nombreuses à faire appel à des cabinets spécialisés leur permettant de mettre en place une méthodologie efficace dans la qualification des données utilisées. Des compétences qu’elles vont chercher à l’extérieur à défaut de les posséder en interne.

Une pénurie de talents qui va croissant

Actuellement en France, les profils de data analyst, data architect et data engineer sont rares et le marché est aujourd’hui confronté à une pénurie de talents. Faute d’un nombre suffisant de nouveaux talents formés, le nombre d’offres d’emploi est souvent supérieur au nombre de candidats disponibles. « A l’heure actuelle, nous évaluons à deux millions le nombre d’experts manquant dans la data à travers le monde », précise Pierre Lhoste. Un phénomène qui pourrait s’intensifier dans les années à venir. « Le démarrage a été lent et nous ne sommes pas encore au pic de la demande, qui augmente aujourd’hui de manière significative tant sur des profils data et finance que non financier », constate Virginie Mathivet. Dans un contexte de recherche de sens accru, de « démission silencieuse », voire de « grande démission », ces profils hautement recherchés préfèrent la flexibilité des missions proposées par des cabinets de conseil à la routine présupposée des grandes organisations. Ils sont donc plus enclins à rejoindre des cabinets qu’à se faire embaucher dans une grande entreprise. Les cabinets sont cependant eux aussi confrontés à la pénurie des talents, notamment sur les profils de data architect, particulièrement rares en ce moment. D’autant qu’il est globalement convenu qu’il faut quatre data architects pour un data scientist. Enfin, les formations aujourd’hui encore en phase de structuration ne se valent pas toutes. « Les profils de data scientists sont très hétérogènes, constate Virginie Mathivet. Je dirais qu’il n’est pas très difficile de trouver un data scientist, mais il est en revanche particulièrement délicat d’en trouver un d’un très bon niveau ».

«Il ne s’agira pas seulement de produire, en réponse à une pression forte des investisseurs, des indicateurs réglementaires, mais aussi de développer des capacités d’analyse des données afin d’ identifier des leviers d’optimisation de la performance ESG. »

Pierre Lhoste Directeur général ,  BDO Advisory

Une stratégie possible d’intrapreneuriat

Pour faire face à cette pénurie de talents, tout en gardant la main sur l’innovation, certains grands groupes déploient des stratégies d’intrapreneuriat, à l’image de ce qui a été fait précédemment sur le digital. C’est ainsi par exemple que le cimentier Vicat a créé une entité autonome consacrée au conseil et à l’accompagnement data, baptisée « le 1817 ». Si « le 1817 » a pour principal client son actionnaire majoritaire le groupe Vicat, il accompagne également d’autres entreprises. « C’est un type d’organisation que nous retrouvons de plus en plus, relève Virginie Mathivet. Un grand groupe crée une entité à part qui fonctionne comme un prestataire. Cela permet à la fois de capter des talents et de mutualiser les ressources. » Une alternative gagnante à l’externalisation.  

Experts data : les profils les plus recherchés

L’étendue des métiers de la data est vaste. Voici les quatre métiers qui, pour l’heure, sont les plus représentés au sein des entreprises et des cabinets de conseil.

  • Le CDO : chief data officer exerce au sein d’une entreprise de façon transverse. Expert de la donnée, il est en charge de créer un environnement sain pour la gestion des données. Il est également souvent commanditaire auprès des cabinets de conseil.
  • Le data scientist construit les modèles à partir des données.
  • Le data engineer s’assure du bon flux des données. Il est en charge de la création de pipeline pour les flux de données et de leur transformabilité en outils d’analyses
  • Le data architect collecte le stockage et l’analyse des données.

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