Recrutement

La baisse des marchés ne freine pas les ambitions des sociétés de gestion

Publié le 6 décembre 2022 à 11h42

Sandra Sebag    Temps de lecture 14 minutes

Bien que confrontées à des marchés en baisse, les sociétés de gestion ont continué à recruter massivement en 2022. Les tensions restent perceptibles sur de nombreux profils, en particulier dans le développement durable, les actifs non cotés ou encore les nouvelles technologies. Pour 2023, les perspectives demeurent positives.

Le bilan de l’année 2022 qui s’achève est plutôt mitigé pour les sociétés de gestion. Les grandes classes d’actifs – qu’il s’agisse des actions ou des obligations – affichent des baisses de valorisation à deux chiffres. La collecte est donc en berne, ce qui se traduit mécaniquement par une moindre rentabilité. Mais paradoxalement, cette industrie a continué en 2022 à recruter et à monter des équipes et des projets, et affiche un fort dynamisme. « Les recrutements dans les sociétés de gestion sont restés soutenus en 2022 dans la lignée de 2021 », confirme Odile Couvert, directrice générale d’Amadeo Executive Research. Pour les chasseurs de têtes, les tensions en matière de recrutement seraient même toujours aussi sensibles. « Le marché reste très porteur, indique Pauline M’Baye, consultante senior, Fed Finance. Les sociétés de gestion rencontrent des difficultés pour trouver les bons profils et cela concerne toutes les catégories de poste. » Actuellement, les besoins des sociétés de gestion portent autant sur les fonctions commerciales que sur la gestion et l’analyse financière et extra-financière ou encore sur la conformité et le contrôle des risques. « Des commerciaux, des gérants, des analystes financiers et extra-financiers, des spécialistes des actifs cotés et non cotés… les expertises recherchées sont multiples », poursuit Odile Couvert. Et dans de nombreux cas, les besoins sont massifs. La société de gestion indépendante Comgest par exemple a recruté ces deux dernières années une quarantaine de professionnels pour atteindre un total d’environ 220 collaborateurs. « Nous avons embauché de façon équilibrée sur l’ensemble des fonctions de la société, qu’il s’agisse de l’analyse financière et extra-financière, du marketing ou encore de la gestion des risques et de la compliance », indique Astrid Delanoë, responsable des ressources humaines de Comgest.

Un marché hexagonal attractif

Les experts du recrutement évoquent plusieurs raisons pour expliquer les tensions persistantes sur le marché du travail. Elles sont d’abord liées à un rebond des marchés financiers en 2020 et 2021 durant lequel les recrutements et les mouvements internes ont été limités par la crise sanitaire et les confinements induits. De même, le vivier de nouveaux entrants a été impacté par la Covid-19. « Si le nombre d’alternants et de stagiaires ne s’est pas réduit lors de la première vague de Covid-19, il y a eu une diminution par la suite. L’encadrement à distance n’a pas permis aux étudiants en fin d’études de bénéficier d’une expérience significative qui puisse leur permettre d’être opérationnels immédiatement une fois leur diplôme obtenu », précise Pauline M’Baye. Les effets du Brexit deviennent aussi plus prégnants avec l’arrivée de nombreux acteurs sur le marché français et le renforcement de leurs équipes. « Le Brexit a créé une dynamique positive pour le marché français dans la banque d’investissement avec des répercussions sur la gestion d’actifs, avance Odile Couvert. Plusieurs grandes banques d’investissement américaines comme Bank of America se sont installées à Paris et recrutent des équipes en provenance, parfois, de sociétés de gestion. » Et elles ne sont pas les seules à venir s’implanter en France, Goldman Sachs et Barclays ont choisi Paris pour se développer dans la banque privée.

«Nous recrutons pour accompagner le développement de notre activité lors des phases de croissance, mais aussi lorsque les marchés financiers sont moins porteurs afin de nous préparer à une reprise qui ne manquera pas d’advenir. »

Astrid Delanoë Responsable des ressources humaines ,  Comgest

Un rapport de force favorable aux candidats

De même, des hedge funds anglo-saxons de renom se sont domiciliés dans la capitale et ont constitué des équipes. Millennium, Citadel, ExodusPoint sont récemment venus sur le marché parisien. Selon efinancialcareers, Millennium aurait envisagé de recruter à lui seul une centaine de personnes. Le hedge fund n’a pas pu se contenter du seul bassin d’emploi parisien ! Enfin, les recrutements sont aussi portés par le développement de la gestion d’actifs dans le non coté et ceux-ci s’appuient notamment sur des transferts en provenance d’équipes spécialisées dans les valeurs mobilières. « La collecte est restée relativement importante cette année dans les actifs non cotés, en particulier dans le capital-investissement et les infrastructures, ce qui a incité les entreprises à maintenir leur plan de développement et les recrutements, relève Renaud Pechoux, associé de Themis Executive Search. Dans ces secteurs, les candidats viennent souvent des équipes spécialisées dans les actifs liquides qui souffrent davantage de la décollecte cette année ; c’est notamment le cas pour les postes de relations investisseurs, les profils marketing ou encore les fonctions support. » Le constat est dans ce domaine unanime. « Les sociétés de gestion montent des équipes ou les renforcent dans l’immobilier, le capital-investissement et la dette privée, les besoins d’experts sur ces métiers sont très conséquents », indique Pauline M’Baye. Des recrutements qui débordent les simples besoins des sociétés de gestion car le conseil vis-à-vis des clients finaux ou des investisseurs institutionnels a également tendance à se développer autour de ces classes d’actifs qui nécessitent des expertises pointues (voir encadré).

Tous ces facteurs se conjuguent pour faire basculer le rapport de force dans la gestion d’actifs au sens large en faveur des « candidats ». « Il existe beaucoup d’offres d’emploi qui portent sur les mêmes profils, les candidats ont le choix et deviennent plus exigeants en matière de rémunération, mais aussi d’avantages ou encore de qualité de vie au travail », avance Pauline M’Baye. Pour convaincre les talents, les cabinets de recrutement évoquent une hausse des salaires fixes. Le montant de 5 000 à 15 000 euros supplémentaires est généralement avancé, y compris pour les postes les plus juniors où cette guerre des talents a lieu aussi. « Selon notre dernière enquête, 58 % de nos étudiants en dernière année de finance disposaient déjà d’un emploi avant la fin de leurs études », précise Chloé Lévy, responsable du career center – manager filière finance à l’Edhec. Mais ce n’est pas tout, les conditions de travail ont également été revues. A ce titre, le télétravail est devenu incontournable. « Nous proposons un à deux jours de télétravail pour répondre à une demande de flexibilité des collaborateurs, indique par exemple Astrid Delanoë. Nous mettons également en avant notre culture entrepreneuriale et l’autonomie accordée à nos collaborateurs. Ils sont également séduits par la culture internationale de l’entreprise qui comprend près d’une quarantaine de nationalités. Il s’agit pour nous de construire un partenariat dans la durée et dans la confiance et d’associer à terme les collaborateurs au capital. »

Les sociétés de gestion veulent davantage promouvoir la diversité

  • Une des façons de faire face à la pénurie des talents consiste à ouvrir le spectre des recrutements à de nouveaux profils et/ou à des profils moins présents dans les établissements de gestion. Parmi ceux-ci figurent notamment les femmes. Si leur nombre est important dans les sociétés de gestion (42 % des effectifs), leur part dans l’encadrement reste minoritaire. Selon la dernière enquête de l’AFG (Association française de la gestion financière) sur le sujet publiée début octobre, 70 % des non-cadres sont des femmes et seulement 40 % des cadres. L’inégalité est encore plus marquée au niveau de la direction, puisque 25 % des membres des conseils d’administration sont des femmes. Mais les sociétés de gestion souhaitent progresser dans ce domaine. Ainsi, selon les statistiques de l’AFG, 44 % des personnes recrutées étaient des femmes en 202,1 soit un peu plus que leur part dans cette industrie. L’association note également une progression du recrutement de femmes professionnelles de l’investissement, elles ont représenté 33 % des embauches en 2021 alors que leur poids dans les effectifs dédiés à l’investissement n’est que de 29 %. Autre sujet sur lequel les maisons de gestion souhaitent évoluer : l’égalité des chances. Ainsi 47 % des sociétés ont déclaré dans l’enquête menée par l’AFG avoir mis en place des opérations de sensibilisation des personnes en charge du recrutement afin de diversifier les profils et pour 40 % d’entre elles, cette évolution passe par une augmentation du nombre d’établissements du supérieur dont les étudiants pourraient être issus.

Les prestataires également portés par le marché de la gestion d’actifs

Les sociétés de gestion ne sont pas les seules à recruter, les prestataires de service spécialisés dans la gestion d’actifs ont aussi le vent en poupe. C’est notamment le cas d’Hexagone. Ce dernier, qui intervient dans l’accompagnement des investisseurs, la sélection de produits et le reporting, a multiplié par deux ses effectifs depuis 2020. « Nous sommes passés de 12 personnes en 2020 à 24 aujourd’hui et bientôt 25, se félicite Isabelle Renault, présidente d’Hexagone. Nous avons étoffé nos équipes en recrutant des spécialistes des actifs non cotés sur lesquels se positionnent de plus en plus les investisseurs institutionnels, ainsi que des ingénieurs et des développeurs, pour accroître nos services en termes de reporting et de transparisation des portefeuilles. » Pour trouver des experts, plusieurs méthodes sont mises en œuvre par Hexagone. « Nous mandatons des chasseurs de têtes qui nous ont permis de recruter des collaborateurs qui disposaient déjà d’une expérience chez des investisseurs institutionnels, relate Isabelle Renault. Nous avons également embauché un commercial récemment en provenance d’une grande maison de gestion. Dans un contexte tendu, la cooptation constitue aussi un bon moyen pour attirer des talents. »

Des conditions toujours favorables en 2023

Ces tensions ne devraient pas vraiment disparaître en 2023, en dépit de marchés adverses en 2022 et des perspectives incertaines pour le début de l’année. « Le marché de l’emploi reste très dynamique actuellement même si un ralentissement potentiel pour l’année prochaine est prévisible », commente Chloé Lévy. Quelques spécialistes notent déjà, à la marge, un début d’attentisme. « Le contexte de marché pousse certains acteurs à une plus grande prudence, mais il ne s’agit, dans la plupart des cas, que de suspendre temporairement des projets de recrutement en attendant un rebond plus durable des marchés », avance Pauline M’baye. A cet égard, les grandes maisons de gestion sont généralement plus prudentes que les acteurs de taille intermédiaire ou les sociétés de gestion entrepreneuriales. « Les acteurs globaux et/ou les filiales de grands groupes ont démarré l’année 2022 avec des plans de recrutement et des projets de développement conséquents, indique Renaud Pechoux. Cependant, la correction sur les marchés financiers les a incités à revoir leurs projets en cours d’année. » Pour autant, les sociétés cherchent toujours à renforcer leurs effectifs. « Des experts sont toujours recherchés, mais la création de nouveaux postes doit obtenir la validation de la direction générale dans un contexte économique plus incertain », explique Renaud Pechoux. En revanche, de nombreux indépendants disposent encore de plans ambitieux. « Nous prévoyons de recruter encore une dizaine de professionnels dans les prochains mois », affirme Astrid Delanoë. Pour ces acteurs, les marchés financiers ne doivent pas constituer le seul élément à prendre en compte. « Nous recrutons pour accompagner le développement de notre activité lors des phases de croissance, mais aussi lorsque les marchés financiers sont moins porteurs afin de nous préparer à une reprise qui ne manquera pas d’advenir », conclut Astrid Delanoë.

Questions à... Lily Desnoes, directrice des ressources humaines à La Banque Postale Asset Management et Tocqueville Finance

« Nous avons étoffé nos équipes ces deux dernières années et allons maintenant davantage travailler sur la rétention de nos collaborateurs. » 

Le périmètre de La Banque Postale Asset Management (LBPAM) a évolué ces dernières années, quels ont été les enjeux en termes de ressources humaines ?

Il y a deux ans, notre organisation a été complètement redessinée à la suite de notre spin-off avec Ostrum Asset Management (qui a récupéré la gestion obligataire et assurantielle de LBPAM). Depuis, LBPAM se concentre sur des expertises à forte valeur ajoutée dans les actions, les actifs non cotés ou encore dans la gestion quantitative et le multi-asset. Depuis le mois d’avril, nous avons regroupé toutes nos équipes y compris celles de Tocqueville Finance dans un nouveau bâtiment aux dernières normes environnementales afin de proposer un environnement de travail plus intégré, plus RSE, plus digital. Nous sommes par ailleurs une société de gestion en forte croissance. Nous avons à ce titre recruté massivement ces deux dernières années dans toutes les fonctions : dans la gestion actions et les actifs non cotés par exemple, dans l’analyse financière et extra-financière, dans le juridique, dans les fonctions commerciales, dans la technologie ainsi que dans des expertises pointues dans le domaine de l’ISR. Nous avons créé un département « data digital innovation ». Ce département intervient de façon transversale sur l’ensemble de nos métiers. Il apporte des solutions à la gestion d’actifs, mais aussi pour le juridique ou encore le commercial. Il est devenu pour nous stratégique. Au total, une soixantaine de collaborateurs nous ont rejoints ces deux dernières années et nos effectifs ressortent maintenant au total à 250 personnes. Nous sommes aussi très actifs au niveau de la formation initiale. Nous accueillons sur une année une trentaine d’alternants et de stagiaires, qui constituent un vivier important de recrutements.

Avez-vous rencontré des difficultés pour recruter ?

Certains de nos métiers sont en forte tension : dans l’analyse ISR par exemple, ou dans l’IT. Cependant, nous avons réussi à attirer des talents. Dans l’ISR, il est primordial d’avoir un discours et un engagement en lien avec la réalité de nos missions. Nous avons recruté six spécialistes ISR au cours de ces deux dernières années, qui étaient attirés par la cohérence entre notre positionnement ISR, nos engagements concrets et notre culture d’entreprise. En ce qui concerne l’IT, nous sommes face à un vrai déficit de professionnels qui pourrait être lié aux formations initiales qui n’ont pas évolué à une vitesse suffisante et qui manquent de transversalité. Nous avons besoin de développeurs et de codeurs, mais ces derniers doivent aussi avoir une connaissance de nos métiers et des statistiques.

Avez-vous enregistré des départs liés aux réorganisations menées ?

Dans cette dynamique de croissance, nous avons enregistré beaucoup moins de départs que d’arrivées, avec deux fois plus de nouvelles recrues. Il n’y a eu aucun départ inattendu et les personnes qui ont quitté l’entreprise possèdent en moyenne 10 ans d’ancienneté. Certains salariés sont partis à la retraite, d’autres ont bénéficié de mouvements internes vers La Banque Postale par exemple ou ont été promus au sein de la société de gestion. Nous accompagnons par exemple des analystes qui souhaitent devenir gérants. Nous avons mis en place des opérations de formation afin que tous les salariés puissent en bénéficier et se sentir à l’aise face à des métiers qui évoluent rapidement et en permanence.

En 2023, allez-vous continuer à recruter au même rythme ?

Nous avons étoffé nos équipes ces deux dernières années et allons maintenant davantage travailler sur la rétention de nos collaborateurs. Nos recrutements devraient donc être moins soutenus, mais nous sommes toujours en croissance et nous devons accompagner cette croissance. Nous avons encore des besoins en IT ainsi que dans les actifs non cotés.

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