Recrutement

La finance, toujours à l’heure de la grande démission ?

Publié le 27 septembre 2023 à 8h30

Chloé Consigny    Temps de lecture 7 minutes

Alors que le phénomène de « big quit », ou grande démission, semble retomber, y compris aux Etats-Unis où il est apparu, en raison du contexte économique défavorable, la finance, elle, se trouve toujours concernée par ce mouvement. A tel point que 88 % des financiers d’entreprise songeaient encore, en début d’année, à changer d’emploi, selon une étude de Robert Walters.

Au sortir de la crise sanitaire, les candidats se sont senti pousser des ailes. Démissions en cascade, flambée du nombre de créations d’entreprises, jamais les salariés n’avaient autant exprimé leur besoin de liberté et d’autonomie. Désormais, le phénomène retombe : le contexte macroéconomique incertain enjoint les salariés à davantage de prudence. Néanmoins, au sein des métiers de la finance et particulièrement de la finance d’entreprise, ce mouvement ne se tarit pas : 88 % des financiers d’entreprise en France auraient songé à changer d’emploi entre mars 2022 et mars 2023, selon une enquête réalisée par Robert Walters. Une tentation qui s’est traduite dans les faits par 52 % des répondants. Un constat confirmé par les recruteurs. « En 2023, le marché reste très tendu sur les professions financières, avec des candidats sursollicités », souligne Olivia Jacob en charge des fonctions financières au sein du cabinet de recrutement Robert Walters. Une simple recherche sur le site de Pôle emploi donne accès à plus de 3 500 occurrences pour un poste de DAF et des dizaines de milliers pour un poste de comptable. Pour les fonctions de trésorier ou de consolideur, la recherche relève de la gageure. « Ces deux métiers sont historiquement tendus, poursuit Olivia Jacob, ils sont aujourd’hui plus que jamais en très forte tension. » Et, sur les fonctions audit interne, le recrutement devient plus difficile encore. « Auparavant, les métiers de l’audit interne étaient considérés comme la porte d’entrée royale pour faire carrière dans les grandes entreprises, constate Olivia Jacob. Depuis la crise sanitaire, les candidats ont totalement repensé leur rapport au travail et il est devenu très compliqué de recruter un auditeur interne qui accepte 40 % de déplacements. »

«Si les métiers de l’audit interne étaient considérés avant la crise sanitaire comme la porte d’entrée royale pour faire carrière dans les grandes entreprises, il est devenu très compliqué de recruter un auditeur qui accepte 40 % de déplacements.»

Olivia Jacob senior manager, fonctions financières, Robert Walters

Une recherche de meilleure rémunération, mais pas seulement

Du côté des candidats, la recherche s’articule désormais autour d’un triptyque « Liberté, autonomie et rémunération », résume Pierre-Gilles Bouquet, fondateur de Voluntae cabinet de recrutement spécialisé en finance, comptabilité, RH, juridique et assistanat. La guerre des talents a induit une hausse des rémunérations à l’embauche : + 16 % sur un an pour les professions financières (tous postes confondus) en 2022, selon une étude réalisée par Talent.com. Dans l’audit, la progression est de l’ordre de 10 %. A cela s’ajoutent les primes exceptionnelles destinées à fidéliser les talents en interne. C’est le cas notamment des big four (EY, Deloitte, KPMG et PwC) qui ont mis en place des politiques de primes exceptionnelles. Cependant, toutes les entreprises n’ont pas la possibilité de tirer les salaires à la hausse. « Nous avons ici le cas des PME de l’agroalimentaire, relève Clotilde Bignon, directrice conseil chez Abaka, cabinet de recrutement localisé dans le Grand Ouest. Ces entreprises sont des “centimiers”, c’est-à-dire que chaque centime d’euro compte. Avec l’augmentation des salaires à l’embauche, l’équation n’est plus réaliste. Elles choisissent donc de recruter un profil junior et l’accompagnent dans une rapide montée en compétences. » Une attention forte est également portée aux engagements de l’entreprise. La stratégie RSE est scrutée de près par les candidats, avec pour conséquence une désaffection pour certains secteurs tels que l’industrie pétrolière qui, plus encore que les autres, peine aujourd’hui à attirer et fidéliser les talents.

Une absence de télétravail aujourd’hui rédhibitoire

Au-delà du niveau de rémunération, d’autres paramètres sont passés au crible par les candidats. A commencer par le télétravail. « La première question posée par les candidats concerne toujours le télétravail, constate Pierre-Gilles Bouquet. Si l’entreprise n’a pas mis en place de télétravail, c’est rédhibitoire. » Pourtant, la mise en place ne suffit pas toujours à attirer les candidats. « Il y a télétravail et télétravail, met en garde Olivia Jacob. Si beaucoup d’entreprises accordent deux jours de télétravail par semaine, la mise en œuvre peut poser problème. En effet, certains employeurs pratiquent des exclusions : pas deux jours consécutifs ni une veille de week-end, par exemple. Les professions financières sont conscientes que les périodes de closing nécessitent une présence des équipes sur site. En contrepartie, elles souhaitent de la flexibilité dans l’organisation de leur quotidien. » Les temps de trajets sont également scrutés de près par les candidats. « J’ai récemment eu le cas d’un financier parisien qui était en short-list pour un poste à Rennes, se souvient Clotilde Bignon. Il a finalement refusé le poste au motif que le lieu de travail n’était pas situé dans le centre-ville, mais à 25 minutes de voiture. » Un management jugé trop contrôlant est également un motif de refus de la part du candidat. « Il y a beaucoup d’entreprises avec lesquelles je ne travaille plus, car je sais que leur stratégie interne, l’absence de télétravail ou encore le management trop contrôlant ne permettra pas d’attirer les talents », explique Pierre-Gilles Bouquet. En revanche, les recruteurs ne constatent pas de ruée vers l’indépendance. « Il faut bien avoir à l’esprit que les professions financières sont des profils particulièrement prudents, souligne Pierre-Gilles Bouquet. Par ailleurs, le travail en finance d’entreprise est un travail d’équipe et il faut plusieurs années avant de maîtriser une fonction. L’évolution vers un statut d’indépendant est donc plus rare et lorsqu’elle intervient, c’est en seconde partie de carrière. » Pour gagner en autonomie tout en conservant une certaine stabilité grâce à la récurrence des missions, certains s’orientent vers du temps partagé.

Aux Etats-Unis, la grande démission est terminée

C’est à Anthony Klotz, professeur de psychologie organisationnelle au Texas, que l’on doit l’expression « great resignation ». Il est le premier à mettre un terme sur la déferlante de démissions dans une Amérique post-Covid. Selon le Bureau américain des statistiques du travail (BLS), 50 millions de travailleurs ont donné leur lettre de démission au cours de l’année 2022. Ils devraient être 19 millions en 2023, soit un niveau semblable à celui constaté avant crise. Des chiffres qui font dire au professeur – qui a désormais rejoint UCL (University College London) – que la grande démission est terminée outre-Atlantique.

Une disparition des « gardiens du temple »

Un changement de paradigme profond s’est néanmoins opéré depuis la crise de la Covid-19. « Qu’ils soient juniors ou confirmés, les profils financiers ne se projettent plus dans une carrière longue au sein de la même entreprise », constate Clotilde Bignon. Peu à peu, les entreprises et notamment les PME et ETI font donc le deuil du directeur administratif et financier « gardien du temple ». Celui qui était considéré comme la mémoire immuable de l’entreprise est aujourd’hui tenté par le changement. Plus qu’une grande démission, Pierre-Gilles Bouquet observe une situation de marché classique, mais tendue par la conjoncture. « Le taux de chômage est à 7 % et les profils financiers font tout particulièrement l’objet de pénuries. L’offre est supérieure à la demande et les candidats ont le choix. Il n’est donc pas anormal qu’ils cherchent la mobilité. » Le ralentissement de l’économie va-t-il enrayer ce phénomène ? Ce n’est pas acquis.

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