Direction financière

La robotisation des tâches, opportunité ou menace pour les financiers ?

Publié le 26 février 2021 à 15h46

Chloé Consigny

Engagé par certains grands groupes il y a quelques années déjà, le mouvement de robotisation des tâches réalisées au sein de la direction financière s’accélère sous l’effet notamment du recours croissant au télétravail. Touchant à ce jour pour l’essentiel les services dédiés à la comptabilité, au contrôle de gestion ainsi qu’à la fiscalité, il se traduit d’ores et déjà par des conséquences concrètes sur les missions des collaborateurs, et donc sur les profils recherchés par les employeurs.

Air liquide, Engie, EDF, Groupe Lucien Barrière… Comme l’illustrent les projets récemment déployés par les directions financières de ces entreprises françaises, les chantiers visant à automatiser les processus financiers sont aujourd’hui une réalité. Et comme le confirment de nombreux directeurs financiers (voir Option Finance n° 1591) et directeurs en charge du financement et de la trésorerie (voir p. 14), cette tendance va aller en s’amplifiant sous l’effet du développement de nouvelles technologies. Selon une étude que vient de publier PwC, par exemple, plus d’un quart des auditeurs internes sondés estiment que la robotisation des processus, dite « RPA », pour robotic automatisation process, tiendra un rôle significatif dans leur entreprise au cours des trois prochaines années. Or ils ne sont que 2 % aujourd’hui à l’utiliser.


Vers la réalisation de tâches de plus en plus complexes

Si la tendance générale des dernières années est au « sortir du tout Excel », ce mouvement de robotisation reste, à ce stade, assez circonscrit en termes de métiers touchés. « Pour l’heure, le développement des robots se constate davantage sur les fonctions comptables que sur les fonctions contrôle de gestion », témoigne Emmanuel Millard, directeur général adjoint en charge des fonctions supports et des finances de Coallia, et président de l’Association nationale des directeurs financiers et de contrôle de gestion (DFCG). Les fiscalistes d’entreprise sont aussi concernés pour certaines tâches déclaratives (TVA…).

De fait, les activités qui se prêtent le mieux à la mise en place d’une solution « RPA » présentent souvent ces caractéristiques communes : les données à traiter doivent être de faible complexité, tendre vers une forte standardisation et répondre à des règles de fonctionnement clairement définies, analyse le cabinet PwC. C’est pour cette raison que les robots sont aujourd’hui souvent utilisés pour répondre à des emails de façon automatique, ou encore compléter et classer des factures.Mais les outils de RPA sont également plébiscités en raison de leur capacité à relier des applications entre elles. « Au sein des fonctions finance, nous avons d’abord mis en place des ERP, et ensuite instauré des applications métiers et des applications sectorielles, expliquait Armand Angeli, président du groupe CSP/RPA/AI de la DFCG lors d’un webinaire organisé fin 2020 par la Chambre régionale des commissaires aux comptes de Paris sur la robotisation de la fonction finance. La grande promesse des RPA est de permettre à ces différents outils de dialoguer entre eux. Pour les directions financières, c’est une avancée importante qui permet de réaliser de plus en plus de tâches sans pour autant avoir à chaque fois à entrer en relation avec les fonctions IT. »

Une croissance annuelle de 30 % pour le marché de la robotisation

Selon une étude publiée en janvier dernier par le cabinet Brandessence Market Research, le marché mondial de la RPA devrait progresser de plus de 30 % par an entre 2020 et 2027. Ainsi, les revenus découlant de la mise en place d’outils dédiés pourraient passer de près de 272 millions de dollars en 2020 à quelque 1,8 milliard de dollars en 2027. Ces montants concernent tous les outils de RPA destinés aux entreprises, en particulier à leurs directions finance et ressources humaines.

Un besoin de formations

A cela pourrait rapidement venir s’ajouter la promesse de l’intelligence artificielle, du « machine learning » et du « process mining », qui doivent permettre aux robots de réaliser des tâches de plus en plus complexes. En France, les énergéticiens Engie et EDF ont par exemple déjà mis en place des solutions automatisées de préparation de reportings. De quoi générer des gains de productivité substantiels pour les équipes concernées. « Il est certain que le métier de contrôleur de gestion évolue aujourd’hui vers davantage d’expertise et de conseil, observe Emmanuel Millard. Il en est terminé du contrôle budgétaire. De plus en plus, les contrôleurs de gestion évoluent au sein des entreprises vers des fonctions de consultants totalement intégrés au management décisionnel. Ils sont de véritables aides à la décision stratégique et financière. »

Or, ces changements influent logiquement sur les profils recherchés. D’après une étude menée récemment par EY sur le sujet, 56 % des répondants indiquaient que le niveau d’adéquation des compétences avec le développement des outils digitaux au sein de la fonction finance était peu, voire pas, satisfaisant. « Il y a aujourd’hui à mon sens, un vrai sujet de formation, confirme Gilles Bösiger, expert-comptable, commissaire aux comptes au sein du cabinet Stengelin et membre du bureau et du comité scientifique de la CRCC de Paris. En effet, dans la population globale et y compris au sein des experts-comptables, très rares sont ceux à avoir des notions de codes ! C’est un véritable handicap. A l’avenir, il est certain que les métiers de la finance valoriseront les experts dotés d’importantes notions de codes. »

En outre, le fait de délester les collaborateurs de tâches de saisie répétitives au profit de tâches à valeur ajoutée va contraindre ces derniers à développer de nouvelles compétences, en termes de capacité d’analyse notamment.

L’émergence de nouveaux métiers

Pour ceux qui n’y parviendraient pas, certains dressent de sombres perspectives : la robotisation des tâches, notamment au sein des back-offices, aura un impact significatif sur l’emploi des jeunes, en particulier dans les fonctions comptables. En 2019, l’Institut Sapiens évoquait par exemple la fin du métier d’expert-comptable en France entre 2041 et 2056… Pour autant, la plupart des praticiens relativisent les impacts de la robotisation sur les métiers de la finance. « J’ai la conviction que cette révolution porteuse de gains de productivité ne va pas, à terme, détruire des emplois, mais en créer de nouveaux », évoque ainsi Gilles Bösiger. Surtout, la diffusion de la RPA au sein des directions financières sera lente. « Il faut bien avoir à l’esprit que la mise en place de ces logiciels coûte cher, insiste Serge Yablonsky, commissaire aux comptes, consultant chez SYC Consultants et coprésident de la commission informatique de la CRCC de Paris. Le retour sur investissement est réel pour les grandes entreprises, mais plus compliqué pour les PME et TPE. »

Cet avis est largement partagé. « Avec moins de volumes, les PME sont pénalisées du fait d’un retour sur investissement plus lointain, abonde Gilles Bösiger. A cela s’ajoute également une problématique de ressources internes. Si la mise en place d’une solution de RPA permet un tiers de gain de productivité et que l’entreprise compte deux comptables, il n’est alors pas possible de supprimer un tiers de deux comptables ! ». De quoi ainsi éloigner la menace pour les financiers en poste ainsi que ceux en passe de rejoindre le marché du travail dans les mois à venir. 

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