Formation

L’alternance séduit plus que jamais

Publié le 26 août 2022 à 15h30

Anne del Pozo    Temps de lecture 9 minutes

L’alternance n’a jamais été autant sollicitée par les entreprises et les étudiants. Un plébiscite lié aux aides mises en place par le gouvernement au début de la crise de la Covid, mais également au développement de l’employabilité des étudiants qui suivent ces parcours. Cet engouement pourrait toutefois être freiné par l’arrêt programmé des aides de l’Etat les plus importantes à la fin de l’année.

Selon le gouvernement, 718 000 contrats d’apprentissage ont été signés en 2021, soit 36,6 % de plus qu’en 2020. Un nouveau record historique, après celui déjà enregistré en 2020, avec 525 600 nouveaux contrats. En deux ans et malgré la crise sanitaire, le nombre d’apprentis a ainsi quasiment doublé. Selon une étude de la Dares, le recrutement des alternants dans la finance et l’assurance a ainsi augmenté de 4 % en 2020, soit un point de plus qu’en 2019. Il y a fort à parier que la croissance s’est accélérée dans ce secteur en 2021 et 2022.

Ce succès de l’apprentissage s’explique notamment par la réforme de la formation professionnelle de 2018 ainsi que par l’aide exceptionnelle à l’embauche d’apprentis mis en place par l’Etat au plus fort de la crise sanitaire à l’été 2020, dans le cadre du Plan « Un jeune une solution ». Une aide qui prendra fin au 31 décembre 2022, et qui a permis de maintenir la dynamique de recrutement des jeunes en alternance pour les rentrées étudiantes 2020, 2021 et 2022 (voir encadré). Le fort rebond de l’économie en 2021 a également poussé les entreprises confrontées à des difficultés de recrutement à se tourner vers l’apprentissage.

«Les aléas et le manque de visibilité sur les politiques de prise en charge n’aident pas à se projeter ; nous avons besoin de consolider cette dynamique naissante, encore fragile, de l’apprentissage dans les universités et grandes écoles.»

André-Guy Turoche Directeur des affaires sociales ,  Association française des banques 

Les grandes entreprises, premières à réagir

« Très clairement, les aides ont très largement contribué à la forte augmentation des demandes d’apprentissage car les entreprises peuvent bénéficier d’une main-d’œuvre qualifiée, subventionnée par l’Etat, explique pour sa part Serge Darolles, responsable du master finance de l’université Paris Dauphine–PSL. Souvent, ce sont d’ailleurs les grandes entreprises qui réagissent le plus rapidement à ces propositions d’aides. » Les entreprises payant les frais de scolarité de ces alternants, ces aides leur permettent d’en financer une partie, ce qui n’est pas anodin au regard du coût de certaines licences ou certains masters, par exemple dans les grandes écoles de commerce (parfois supérieurs à 15 000 euros l’année). « D’ailleurs, certaines entreprises sont particulièrement attentives aux conditions d’accès à ces aides, comme l’âge maximum des alternants permettant d’en bénéficier (30 ans) », précise Antoine Fouquet, responsable alternance à l’AFDCC. 

Dans le secteur bancaire, le coût de l’alternance est particulièrement élevé pour l’entreprise. Un coût accru par la réforme de la formation professionnelle mise en œuvre à partir de 2018, mais bien sûr réduit depuis l’instauration d’aides exceptionnelles pendant la crise de la Covid. « Avec près de 15 200 alternants en 2020 dans le secteur bancaire en France, les entreprises ont poursuivi leur engagement en faveur de l’alternance malgré le contexte difficile de la crise sanitaire, explique André-Guy Turoche, directeur des affaires sociales de l’Association française des banques. L’ensemble des dispositifs d’aides, dont la prime à l’embauche d’un alternant, a permis de limiter les réductions de financements liées à la mise en œuvre de la réforme de 2018 et contribue à impulser cette dynamique vertueuse. »

Des aides importantes en faveur de l’alternance

  • Depuis l’été 2020 les aides de l’Etat s’élèvent à 5 000 euros pour un apprenti de moins de 18 ans et 8 000 euros pour un majeur, la première année de chaque contrat d’apprentissage conclu avant le 31 décembre 2022, à condition qu’il prépare à un diplôme allant jusqu’au master (bac + 5, niveau 7 du répertoire national des certifications professionnelles, RNCP). 
  • Pour les contrats signés à compter du 1er juillet 2020 et jusqu’au 31 décembre 2022, cette aide sera versée aux entreprises de moins de 250 salariés, sans condition et aux entreprises de 250 salariés et plus à la condition qu’elles s’engagent à atteindre, au sein de leur effectif, un seuil de contrats d’alternance ou de contrats favorisant l’insertion professionnelle. 
  • Le seuil était initialement de 3 % d’alternants parmi l’ensemble des salariés, il est passé à 5 % depuis le premier avril 2021. Il sera apprécié au 31 décembre 2022. En 2023, ce soutien exceptionnel devrait théoriquement disparaître.

L’association des credit managers confrontée à une trop forte demande

Ces différentes aides ont également attisé la curiosité d’un grand nombre d’entreprises qui n’avaient pas la culture de l’apprentissage et en particulier des TPE et des PME. Un constat notamment relevé par la DFCG. « Les petites entreprises se tournent de plus en plus vers les alternants, en particulier dans les secteurs de la finance, de l’administration, des RH, souligne Emmanuel Millard, président de la DFCG. Les métiers liés au contrôle de gestion, aux achats ou encore la comptabilité sont également adaptés au système de l’alternance. » 

L’Association des credit managers (AFDCC), qui propose plusieurs sessions de formation en alternance aux métiers de chargé de recouvrement de créances, d’analystes crédit ou encore un master en credit manager précise pour sa part ne pas avoir pu satisfaire toutes les demandes d’alternance émises par les entreprises. « Par exemple, cette année, nous avons eu, de la part des entreprises, une soixantaine de demandes d’alternants et n’avons pu en satisfaire qu’une vingtaine, déplore Antoine Fouquet. Sur certains postes liés par exemple au recouvrement de créances, nous avons de moins en moins de candidats à l’alternance et, d’autre part, les entreprises doivent pour leur part faire face à un turn-over important de leurs collaborateurs sur ces métiers. » Un constat également relevé par l’université Paris Dauphine – PSL. « Avant même que le gouvernement mette en place ces nouvelles aides, nous avions plus de demandes en alternants de la part des entreprises, que de candidats à l’alternance », ajoute ainsi Serge Darolles.

L’espoir d’une modulation des aides, en 2023

Alors que le dispositif d’aide mis en place par le gouvernement pendant la période Covid devrait prendre fin le 31 décembre, les professionnels de la finance s’interrogent sur les alternatives à mettre en place pour continuer à recruter des étudiants en alternance. L’enjeu est d’autant plus important que le marché de l’emploi est, dans ce secteur, tendu. « Il semble illusoire que le gouvernement revienne sur la fin de ce dispositif, remarque Emmanuel Millard. Néanmoins, il pourrait proposer une modulation de ces aides, ou un système d’alternance à la carte, en fonction des écoles, du profil de l’étudiant ou de son parcours personnel. Les étudiants boursiers pourraient, par exemple, continuer d’en bénéficier. » 

Il convient néanmoins d’être prudent en matière d’évolution de la prise en charge de la formation professionnelle. « Des baisses de financements pourraient affecter la capacité des entreprises à proposer des contrats en alternance, alors qu’elles consacrent déjà un budget très important à la formation, bien au-delà de leurs obligations légales », ajoute pour sa part André-Guy Turoche.

Par ailleurs, l’alternative du stage, à la place de la formation à l’alternance, ne semble pas répondre aux besoins des entreprises comme des étudiants. En effet, contractuellement, les stages ne peuvent excéder six mois, et leur rémunération n’est pas toujours obligatoire. « Cela reviendrait à précariser davantage les jeunes, précise Emmanuel Millard. D’autre part, sur le plan de la formation, l’alternance suppose un véritable engagement de l’entreprise et les prépare véritablement à l’emploi, ce qui n’est pas toujours le cas des stages. »

«Les petites entreprises se tournent de plus en plus vers les alternants, en particulier dans les secteurs de la finance, de l’administration, des RH ; les métiers liés au contrôle de gestion, aux achats ou encore la comptabilité sont également adaptés au système de l’alternance. »

Emmanuel Millard Président ,  DFCG

Des centres de formation des apprentis créés par les banques

Malgré la fin annoncée du coup de pouce de l’Etat, les entreprises pourraient malgré tout continuer à faire appel aux alternants, au regard de leurs besoins en compétences et expertises en finance. « Sur certaines filières, le besoin en alternants est tellement important que la baisse des aides de l’Etat ne devrait pas changer la donne en termes de recrutements de candidats, précise Serge Darolles. Il s’agit d’ailleurs d’une tendance lourde, antérieure à la période Covid. »

Les banques souhaitent ainsi maintenir leur niveau d’engagement en matière de recrutement d’alternants. « Mais les aléas et le manque de visibilité sur les politiques de prise en charge n’aident pas à se projeter, tempère André-Guy Turoche. Nous avons besoin de consolider cette dynamique naissante, encore fragile, de l’apprentissage dans les universités et grandes écoles. Les réflexions sur le financement de l’apprentissage doivent s’attacher à maintenir une prise en charge équitable des formations offertes à tous les jeunes. L’apprentissage constitue aujourd’hui le tremplin le plus efficace vers la vie active et il est une des équations qui permettra aux banques de résoudre leurs enjeux forts de recrutements (35 300 en 2020) ». 

Certains groupes bancaires ont d’ailleurs saisi l’opportunité ouverte par la réforme de 2018, pour créer leur propre Centre de formation des apprentis (CFA). Cette expérience leur permet d’optimiser aujourd’hui leur politique de recrutement. Les universités continuent également de développer les cursus en alternance, dans la mesure où les formations proposées le permettent. En effet, certains parcours de formations tels que ceux concernant l’asset management, l’immobilier ou la banque d’investissement sont adaptés à ces parcours, ce qui est moins le cas des formations généralistes, par exemple, la finance de marché. 

«Avant même que le gouvernement mette en place ces nouvelles aides, nous avions plus de demandes d’alternants de la part des entreprises, que de candidats à l’alternance. »

Serge Darolles Responsable du master finance ,  Université Paris Dauphine–PSL

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