Métier

Les family offices séduisent les financiers

Publié le 16 septembre 2025 à 8h00

Coralie Bach    Temps de lecture 7 minutes

De tailles et d’organisations variables, les family offices attirent en leur sein des profils très différents, de l’ancien consultant en transaction services à l’ex-dirigeant de société, en passant par des candidats issus de la banque d’affaires. Au-delà des investissements financiers, il s’agit pour ces professionnels de représenter les intérêts de la famille et de l’épauler sur les sujets de gouvernance.

Leur nom demeure moins connu que celui de leur propriétaire. Qui a en tête qu’Artémis est la société patrimoniale fondée par François Pinault ou que Téthys est celle de la famille Bettencourt-Meyers ? Si les family offices sont, depuis quelques années, un peu sortis du bois, ils continuent d’entretenir un certain art de la discrétion. Il est d’autant plus difficile de connaître leur fonctionnement que chacun d’entre eux possède ses spécificités. « Nous avons usage de dire qu’à l’image des familles représentées, chaque family office est unique », résume Charles-Henri Bujard, en charge du family office de la famille actionnaire du groupe de protection sociale Henner et président de l’Association française du family office (Affo). Ces structures revêtent en effet des organisations de nature et de taille très variables ; d’une personne seule, ou épaulée d’un ou deux collaborateurs, à une véritable société d’investissement employant plusieurs dizaines de personnes à l’image de la structure de la famille Mulliez, Creadev (35 collaborateurs), ou de Dentressangle (75 personnes). Ces investisseurs, pas tout à fait comme les autres, peuvent néanmoins se classer en deux catégories : celle des « singles » et celle des « multis » selon qu’ils servent les intérêts d’une ou de plusieurs familles à l’image d’Agami ou d’Herest.

Des créations de structure

De nouveaux family offices continuent d’ailleurs de voir le jour, créant de ce fait de nouvelles opportunités d’emploi. C’est le cas, par exemple, d’Aurae, créé fin 2023 par les fondateurs d’AromaZone suite à la cession du spécialiste des huiles essentielles à Eurazeo, et dont la direction a été confiée à l’ancien directeur général de Creadev, Bertrand de Talhouët. De même, Georges F. a vu le jour l’année dernière sous l’impulsion de la famille Cornu, à l’origine du groupe le Roi du matelas, avec à sa direction l’ancien directeur général de l’entreprise, passé auparavant par la direction financière et les services d’audit. La gestion d’un family office est toutefois bien différente de celle d’une société, et implique plusieurs aspects. « Le family office est à la fois en charge de la stratégie patrimoniale et des sujets de gouvernance de la famille, explique Charles-Henri Bujard. Il peut gérer les intérêts de plusieurs dizaines, voire plusieurs centaines de membres, ayant parfois des statuts très différents, entre des actionnaires, des salariés, des dirigeants opérationnels… »

Sur le plan financier, la nature des investissements dépend quant à elle de la stratégie définie. Elle penche toutefois depuis plusieurs années en faveur du capital-investissement. Ce dernier représente en effet plus de 37 % des actifs des family offices français, selon le dernier baromètre de l’Affo réalisé avec EY, suivi du coté (17 %), de l’immobilier (près de 13 %) et des produits de dette (près de 11 %). Les plus petites structures s’appuient sur un réseau d’experts indépendants pour conseiller et piloter ses placements, tandis que les family offices plus importants se dotent de compétences en interne. Le Lyonnais Evolem, créé en 1997 par le fondateur d’April Bruno Rousset, emploie ainsi une trentaine de salariés dont la moitié occupe des fonctions d’investisseurs en private equity. Quatre d’entre eux ont d’ailleurs été recrutés à la suite de la cession du courtier au fonds CVC en 2019, la croissance des équipes étant étroitement liée à celle de la surface financière du family office.

«Le family officer joue un rôle de maître d’œuvre entre la famille et différents experts.»

Charles-Henri Bujard président ,  Affo

Des profils diversifiés

Anciens de la banque d’affaires, des transaction services, des départements de financements structurés, du conseil en stratégie ou encore des fonctions financières ou juridiques en entreprise, les profils sont classiques mais variés. « Les critères de recrutement des family offices évoluent selon le positionnement et la philosophie d’investissement, mais sont souvent moins standardisés que pour les fonds », remarque Martin Louvet, fondateur du cabinet de recrutement Ealing. Un constat confirmé par la CEO d’Evolem Sandrine Escaleira : « Nous aimons diversifier les expériences afin de multiplier les points de vue », affirme-t-elle. Les experts en gestion de patrimoine ou en asset management peuvent également trouver leur place au sein de multi-family offices ou de plus petites structures recherchant des professionnels multi-casquettes. « La polyvalence est généralement plus importante dans les family offices que dans les sociétés de gestion, puisque l’investisseur peut être amené à traiter de l’immobilier, du private equity, mais aussi de la philanthropie, note Charles-Henri Bujard. Le family officer joue alors vraiment un rôle de maître d’œuvre entre la famille et différents experts. »

Polyvalence et confiance comme maîtres mots

Les family offices étant par nature des investisseurs plutôt « patients », leurs collaborateurs doivent mettre leurs compétences techniques au service d’une gestion de long terme. Il leur faut également avoir un bon relationnel pour échanger tant avec les membres de la famille qu’avec les dirigeants des sociétés dans lesquelles ils investissent. « L’intelligence de la situation et la polyvalence sont aussi importantes que les compétences d’analyse financière, insiste Martin Louvet. Vous n’êtes pas membre de la famille, mais pour que la relation fonctionne, une confiance mutuelle est indispensable. » Une reconnaissance qui s’acquiert souvent au fil des années. Sandrine Escaleira officiait au sein d’Evolem depuis 16 ans lorsqu’elle a été promue directrice générale en 2024. De même, avant d’être chargé par la famille Robinet-Duffo de créer leur family office, Charles-Henri Bujard a travaillé plus de 25 ans au sein de la direction financière du groupe Henner. « La qualité première d’un family officer est d’être extérieur à la famille, commente ce dernier. Il gère nécessairement les dossiers de façon plus rationnelle. » La direction des family offices est d’ailleurs de plus en plus assumée par des membres extérieurs à la famille : c’est le cas pour 32 % des family offices européens selon une étude Deloitte ; une proportion qui devrait grimper à 39 % après la prochaine phase de succession. « Mon rôle consiste à rester très neutre par rapport à des sujets qui peuvent être affectifs, témoigne Sandrine Escaleira. Je fais le lien entre le conseil de surveillance et les équipes afin d’emmener tout le monde sur le même projet. »

Que ce soit pour les piloter ou travailler dans leurs équipes, les family offices ont généralement les faveurs des candidats. « Encouragés par la nouvelle génération à plus communiquer, ils deviennent plus connus et donc plus attractifs, remarque Martin Louvet. Leur capacité à rester longtemps au capital d’une entreprise, notamment, est souvent perçue positivement. » Les opportunités restent toutefois peu nombreuses, laissant la possibilité aux recruteurs de se montrer très sélectifs.

De l’investissement durable à la philanthropie

Les family offices prennent une place active dans le mouvement de la finance durable. Au niveau mondial, plus de la moitié de leurs opérations sont liées à un secteur à impact, comme l’éducation, la santé ou l’agriculture durable, selon le PwC’s Global Family Office Deals Study. Une proportion qui a progressé significativement au cours des six dernières années, passant de 35 % en 2019 à 55 % en 2024, sous l’influence notamment de l’accès à la gouvernance des nouvelles générations. Cette orientation joue parfois sur les recrutements, notamment pour intégrer des professionnels de l’ESG chargés d’accompagner les équipes d’investissement, voire des responsables des œuvres philanthropiques. Les actions de mécénat sont en effet courantes au sein de ces acteurs, avec pour les plus engagés d’entre eux la gestion de véritables fondations. Au sein d’Evolem par exemple, six personnes œuvrent à la gestion de deux fonds de dotation.

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