Ressources humaines

Les financiers adeptes du coaching

Publié le 28 octobre 2022 à 14h53

Joffrey Marcellin    Temps de lecture 11 minutes

Qu’il s’agisse de récompenser un collaborateur ou de l’aider à s’adapter à une évolution importante de son environnement, les entreprises ont de plus en plus recours au coaching. Cet accompagnement sur mesure est devenu essentiel pour développer les compétences des financiers en matière de leadership et de communication, mais il s’adresse exclusivement aux fonctions les plus élevées dans la hiérarchie ainsi qu’aux très hauts potentiels.

C’est une arme à laquelle les ressources humaines ont de plus en plus recours, pour aider les salariés à forte valeur ajoutée au sein des banques et des directions financières. Ces professionnels ont désormais droit à des séances de coaching pour les faire évoluer dans leurs prises de responsabilité, pour les aider à faire face à une situation particulière ou à s’adapter à un changement de poste. Pourtant, les DRH ne s’expriment guère sur le sujet. Probablement parce que le coaching n’est généralement pas à l’initiative de la personne concernée, mais proposé par la direction générale qui estime que certains membres de l’équipe, principalement au sein du top management, ont besoin d’un accompagnement conjoncturel. Le coaching est donc par essence très personnel, à la fois parce qu’il s’adapte à chacune des personnes coachées, mais aussi parce qu’il fait l’objet d’un pacte de confidentialité entre le coach et le collaborateur coaché. Un pacte qui fournit les bases d’une relation de confiance essentielle pour un coaching réussi.

Ainsi, le but des rencontres régulières organisées dans le cadre d’un coaching – chaque mois ou tous les 15 jours, pour un total de 8 à 10 séances – est autant de développer ses compétences en matière de leadership et de communication que de surmonter les difficultés et les blocages, en identifiant les sources d’angoisse et de stress qui peuvent venir contrarier l’activité quotidienne d’un financier. Des tourments souvent liés à la nature même de ces fonctions financières transversales : le rôle de ces responsables consiste souvent à poser des limites aux différents services de l’entreprise ou à mettre des freins à leurs ambitions.

Pour les directeurs financiers, ce stress est en outre renforcé actuellement par la conjoncture (inflation, tension sur les carburants, guerre en Ukraine). Ces responsables font face à des situations en constante évolution et doivent faire preuve d’une adaptabilité et d’une résistance au stress exemplaires. « Les banques d’affaires et les fonds d’investissement font également appel aux coachs, affirme Ferdinand Petra, professeur associé de finance à HEC Paris et executive coach. Comme les salaires sont plus élevés, le seuil de séniorité est plus faible, et des personnes plus jeunes – avec parfois 7 ou 8 ans d’expérience – ont accès au coaching. » Globalement, deux types de coaching cohabitent dans cet univers professionnel : le coaching de récompense et le coaching de repositionnement. « Le premier est une manière de remercier le collaborateur, qui aura alors un large choix dans les thématiques qu’il va travailler, explique Ferdinand Petra. Le second consiste à aider le collaborateur lorsqu’il est en difficulté, pour lui permettre de les surmonter ou d’envisager d’autres options pour lui dans le futur. Dans ce cas, la thématique s’impose de manière plus évidente. »

«Il est plus difficile aujourd’hui de motiver les équipes jeunes, car elles veulent du sens, du temps et de la flexibilité, tout en conservant les avantages d’un métier qui était beaucoup plus dur dans le passé, comme le salaire par exemple. »

Ferdinand Petra Professeur associé de finance ,  HEC Paris, et executive coach

Gérer avec diplomatie les envies d’ailleurs

Néanmoins, même si les difficultés affrontées par les directeurs financiers sont pour bonne part similaires, le coaching tient aussi compte plus globalement de la situation personnelle du coaché ​​au sein de son entreprise, c’est donc du cas par cas. Cependant, la situation économique actuelle a exacerbé un certain nombre de problématiques qui ressurgissent régulièrement à l’occasion des séances de coaching.

A commencer par la gestion des équipes, qui fait l’objet d’une attention particulière de la part des directeurs financiers, alors que la finance est en proie à une véritable guerre des talents. « Cela peut concerner la gestion d’un individu compliqué, qui peut donner du fil à retordre au chef de service, affirme Ferdinand Petra. J’ai vu des profils en fonds d’investissement par exemple, avec une dizaine d’années d’expérience, qui ont énormément de mal à gérer des populations jeunes. Des collaborateurs juniors et brillants mais qui ont tendance à changer souvent d’entreprise, avec une résistance moins forte, à moins que le travail ait véritablement un sens pour eux. » Dans ce cas de figure, le travail du coach va consister à faire prendre conscience au collaborateur responsable de ces jeunes talents l’importance de mettre en avant les efforts de l’entreprise pour répondre à cette quête de sens. « C’est plus difficile de motiver les équipes, car ces jeunes veulent du sens, du temps et de la flexibilité, tout en conservant les avantages d’un métier qui était beaucoup plus dur dans le passé, comme le salaire par exemple », poursuit le coach. Un vrai travail de pédagogie est alors nécessaire, pour créer un lien plus étroit avec ces jeunes collaborateurs et favoriser la rétention.

Par ailleurs, l’incertitude économique engendrée notamment par la forte inflation et les tensions autour de l’énergie sont également de nature à générer de l’angoisse au sein des directions financières. « Cela crée du stress et du travail supplémentaire d’évaluation des scénarios, relève Ferdinand Petra. Il peut s’avérer très difficile de mener une équipe financière, confrontée à la fois à des données économiques très changeantes et à des discussions salariales qui émergent sous l’effet de la hausse des prix. » D’autant que dans ces situations, les directeurs financiers font souvent face à des injonctions contradictoires. « D’un côté il y a la réalité, dont ils sont obligés d’occulter une partie, explique Marie Delmont, coach chez MPI Conseil. De l’autre, s’ils ne disent pas clairement les choses, on va leur reprocher dans six mois le fait que l’entreprise soit dans le rouge. Cette position peut vite devenir intenable. »

«La porosité entre vie personnelle et vie professionnelle est normale et naturelle. Les comportements bloquants professionnellement peuvent avoir leur source dans la vie privée. »

Marie Delmont Coach ,  MPI Conseil

Investir du temps dans la communication

Ainsi, dans ce cas de figure, la solution relève souvent de la communication. « Pour être dans la réalité sans l’amplifier ni la sous-estimer, le directeur financier, en collaboration avec le directeur général, devra choisir dans quelle mesure certains chiffres seront communiqués et d’autres non, explique Valérie Rocoplan, CEO de Talentis. La question est également de savoir communiquer ces chiffres de manière que les collaborateurs ne paniquent pas, tout en évitant qu’ils se reposent sur leurs lauriers. » Pour cela, le travail d’empathie est primordial, et nécessite entre autres de se mettre à la place des gens à qui l’on s’adresse, et d’adapter sa communication aux différents interlocuteurs. « Il s’agit ici de travailler sur l’intelligence émotionnelle, l’objectif étant que les messages que l’on veut faire passer puissent être audibles par tous les interlocuteurs, explique Marie Delmont. Et, pour cela, il ne faut pas avoir un discours formaté uniquement axé sur les chiffres, mais bien faire comprendre à son interlocuteur qu’on a pris en compte ses préoccupations, en partant de sa réalité de terrain. »

Et pour cela pas de secret, il faut y consacrer du temps. Un investissement que certains financiers ont du mal à intégrer. « Ce sont des profils très orientés sur les résultats, ajoute Marie Delmont. Ils peuvent donc estimer que passer du temps à négocier des délais avec des partenaires commerciaux ou des clients internes est une perte de temps. » Pourtant, investir dans un travail de pédagogie et d’explication va permettre aux collaborateurs d’être plus en phase avec les décisions qui ont été prises par la direction financière et d’aligner leur organisation sur ces dernières pour, à terme, gagner du temps. Il s’agit de dire aux collaborateurs : « Dans vos métiers, vous avez tel type de contraintes, et voilà la réalité telle que je l’ai comprise, donc voici ce que je vous propose qu’on fasse ensemble », précise Marie Delmont. De fait, cela permet de faire passer les informations en bonne entente avec l’ensemble des services, en impliquant ces derniers dans la vie financière de l’entreprise, tout en montrant que les contraintes de chacun ont été intégrées.

Au-delà de la gestion des salariés dont ils ont la responsabilité, les directeurs financiers ont souvent un œil sur l’étage supérieur, et l’une des requêtes qui revient souvent en coaching consiste à être plus visible du directeur général ou du comité exécutif. « Ces demandes supposent avant tout de s’attaquer à des croyances bloquantes et de travailler sur la perception qu’on a de soi-même », affirme Ferdinand Petra. En d’autres termes, il s’agit de surmonter les obstacles que l’on s’est soi-même créés.

Ne pas confondre coaching et conseil en entreprise

  • Le coaching ne suppose aucune connaissance préalable du domaine d’expertise de la personne coachée, car il repose sur des méthodes et des pratiques qui ne dépendent pas de tel ou tel secteur. Et si certains souhaitent absolument être coachés par des personnes issues de leur univers, c’est un choix à double tranchant. « Avoir une expertise peut être utile pour comprendre les problématiques des salariés qui travaillent dans le secteur, mais ça peut aussi être une énorme épine dans le pied, prévient Ferdinand Petra. Il faut faire attention à chaque instant lorsque l’on parle à son client, à ne pas présupposer des choses, un vécu, une histoire, parce qu’on a vécu une situation similaire. C’est une erreur de coaching. » Autrement, on sort du cadre pour aller vers du conseil aux entreprises, qui répond à un tout autre type de problématiques.

Prévenir l’épuisement professionnel

Que les collaborateurs soient issus d’institutions financières ou de services financiers d’entreprises, les points qu’ils souhaitent évoquer en coaching sont relativement variés. Les réponses des coachs seront donc adaptées à chacune des situations, mais quelle que soit la problématique en cause, le plus important pour eux est d’être en mesure d’identifier précisément ce qui est difficile à vivre pour chacune des personnes coachées. « Pour surmonter leurs préoccupations, nous devons nous demander à chaque fois ce qui les met en tension et ce qui leur permettrait de vivre la situation plus sereinement, explique Marie Delmont. Sommes-nous sur des conflits de valeurs ? Sur le fait de voir son travail et ses capacités potentiellement remises en question ? C’est avant tout cela qu’il faut évaluer. » Une fois ce ciblage réalisé, le coaché ​​va pouvoir déterminer ce sur quoi il peut avoir de l’influence et là où il n’en aura pas, car ça ne dépend pas de lui. Il aura ainsi une base claire sur laquelle il pourra travailler pour surmonter ses éventuelles difficultés.

Pour l’aider, le coach va lui fournir un certain nombre d’outils de nature à lui permettre de trouver lui-même la voie vers l’atteinte de ses objectifs. Mais, attention, ce travail sous-entend d’entrer dans l’intimité du coaché. Il faut donc que ce dernier ait une confiance totale en son coach. « Le fait qu’il y ait une porosité des frontières entre vie personnelle et vie professionnelle est normal et naturel, explique Marie Delmont. Les comportements bloquants professionnellement peuvent avoir leur source dans la vie privée. »

C’est pourquoi il est important pour le financier de bien choisir lui-même un coach avec lequel il va se sentir à l’aise, et de signer avec lui un pacte de confidentialité. « Nous organisons une réunion tripartite avec la personne coachée, le coach et l’entreprise pour établir les objectifs, qui seront appréciés à l’occasion d’un bilan, précise Valérie Rocoplan. Les séances ont lieu dans un endroit neutre, afin que le collaborateur puisse se détacher de son environnement de travail et des croyances limitantes qui l’accompagnent. » La confiance entre les parties est la condition sine qua non pour qu’un coaching puisse être efficace et aboutisse à améliorer la situation de la personne qui en fait l’objet. Il existe malgré tout un cas de figure dans lequel le coach peut sortir de son devoir de confidentialité : lorsque la santé du collaborateur est mise en péril. « Je les préviens dès le départ, indique Marie Delmont. Si je vois qu’il va très mal et qu’il refuse d’en parler, je sortirai de la confidentialité. » Même dans ce cas, le coaché ​​a toujours une porte de sortie, en prenant lui-même l’initiative d’informer sa hiérarchie. Cette vigilance est essentielle pour prévenir le risque de sur-engagement au travail qui peut mener jusqu’au burn-out, et pour détecter un éventuel mal-être bien plus profond. 

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