Formation

Master en finance : beaucoup d’appelés pour peu d’élus

Publié le 17 septembre 2021 à 10h44

Alexandra Milleret

Alors que la rentrée universitaire commence, certains étudiants sont toujours sur liste d’attente, en espérant des désistements de dernière minute, pour obtenir enfin une place en master 1 de finance. Une situation qui résulte d’une sélection accrue de la part des universités, autorisée depuis une loi de 2016.

L’été n’a pas été de tout repos pour les étudiants en licence à l’université. Le hashtag #EtudiantsSansMaster s’est régulièrement retrouvé en tête de l’activité du réseau Twitter entre le mois de juin et la fin du mois d’août. Alors que la rentrée universitaire démarre à peine, ils seraient encore des milliers aujourd’hui à ne pas avoir obtenu leur place en première année de master (M1). La raison de leur désarroi : depuis la loi du 24 décembre 2016, les universités qui le souhaitent peuvent conditionner l’admission en M1 à l’examen d’un dossier de candidature et à une épreuve spécifique ou un entretien. Une façon pour ces établissements de respecter leur capacité d’accueil en master et permettre ainsi aux étudiants sélectionnés d’accéder ensuite au niveau supérieur.

Et les masters en finance n’échappent pas au phénomène. « Nous recevons désormais chaque année plus de 2 000 candidatures à l’entrée du M1 pour seulement 150 places en master 2 (M2) », constate Pierre-Charles Pradier, responsable du master monnaie, banque, finance et assurance à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne.

Depuis cinq ans, les universités qui le souhaitent peuvent conditionner l’admission en master 1 à l’examen d’un dossier de candidature et à une épreuve spécifique ou un entretien.

Des capacités d’accueil limitées

Pourtant, avant l’entrée en vigueur de la loi, la situation était bien pire. « Avant 2016, en raison du fait que chaque étudiant en licence pouvait accéder au master 1 sans sélection, le goulot d’étranglement avait lieu à l’entrée en M2, observe Isabelle Desmaris, responsable pédagogique du master 1 finance, iaelyon School of Management, Université Jean Moulin. Or, pour 627 dossiers nous ne disposons que de 50 places en M2. »

Il faut dire que l’accès aux études supérieures s’est considérablement démocratisé, ce qui explique aussi le nombre pharaonique de dossiers de candidatures reçus. « Depuis l’objectif gouvernemental de 80 % de taux de réussite au baccalauréat et de 50 % en licence, et l’ouverture d’une poursuite d’études pour la licence pro, tous les étudiants veulent aujourd’hui un master », remarque Pierre-Charles Pradier.

Un autre facteur entre en ligne de compte pour les universitaires : leurs capacités financières : « Avec des frais d’inscription universitaires fixés à 243 euros, si nous prenons 10 étudiants de plus, il est difficile de créer une classe supplémentaire compte tenu du manque de nos moyens financiers, souligne Pierre-Charles Pradier. Nous avons une capacité d’accueil et nous devons nous y tenir. »

La sélection à l’entrée du M1 est donc jugée cohérente pour les professeurs. « A l’époque, nous avions 350 étudiants en M1 dont un tiers de redoublants, explique Pierre-Charles Pradier. Nous avons donc décidé de limiter le nombre d’entrées en M1 tout en créant dans le même temps deux nouvelles spécialités en deuxième année (M2), ce qui a considérablement augmenté nos capacités d’accueil. Avant la réforme de 2016, nous disposions de seulement 80 places de M2. Nous en avons aujourd’hui 150. » Avec cette méthode, un étudiant reçu en M1 de master est ainsi aujourd’hui quasiment assuré d’obtenir une place en deuxième année.

Des profils non financiers

Mais pour obtenir le fameux sésame, encore faut-il que le dossier soit convaincant. Or, force est de constater que parmi le flot de candidatures, rares sont celles qui peuvent retenir réellement l’attention des directeurs d’études. « Le profil des prétendants depuis la création de notre master en 1978 a changé. Les candidats aujourd’hui n’ont pas nécessairement un projet professionnel clair, et beaucoup ne connaissent pas les métiers de la finance, regrette Pierre-Charles Pradier. Et ils sont souvent moins intéressés par la formation intellectuelle que par la perspective de gagner beaucoup d’argent. » Des données techniques que les étudiants doivent pourtant maîtriser s’ils souhaitent un jour postuler dans une banque d’investissement ou exercer des fonctions d’ingénierie financière. Ainsi, sur les 2 000 dossiers de candidatures reçus par Paris 1, seul un tiers serait jugé recevable.

Toutefois, cette baisse de niveau n’a pas pourtant pas toujours été constatée. Avant la crise financière de 2008 et notamment le scandale de l’affaire Kerviel contre la Société Générale qui a nui à la réputation du métier de trader, les candidats aux études supérieures en finance étaient même considérés comme très bons. « Les meilleurs profils sont maintenant volontiers tentés par les programmes en data science, en fintech, en intelligence artificielle, ce qui nous a conduits à offrir des cours de python et créer une spécialité finance-technology-data pour continuer à les attirer », poursuit Pierre-Charles Pradier.

Autre constat dommageable pour les professeurs : des dizaines de candidatures ne sont pas jugées sérieuses. « Certains étudiants, pour être sûrs d’obtenir un master, arrosent toutes les universités de leur candidature et postulent dans plusieurs établissements en même temps, observe Isabelle Desmaris. Or, nous savons que si certains sont acceptés dans notre université, au final, ils ne viendront pas s’ils obtiennent une place qu’ils jugent meilleure ailleurs. » Cette tendance est d’ailleurs particulièrement visible, selon les universitaires, depuis que l’envoi des candidatures a été automatisé et que la lettre de motivation qui doit accompagner le dossier n’est plus obligatoirement manuscrite.

Les grandes écoles au chevet de leurs étudiants pendant la crise de la Covid-19

l Si la crise économique engendrée par la pandémie de Covid-19 n’a eu, pour l’instant, que très peu de répercussions sur le monde de la finance, il n’en reste pas moins que certains professionnels sont inquiets de la préparation et de l’enseignement dispensés aux étudiants durant les différentes périodes de confinement. « L’enseignement à distance peut poser problème aux recruteurs », explique Philippe Thomas, professeur à l’ESCP. 

l Aussi, pour pallier de possibles carences, certaines grandes écoles de commerce ont décidé de remettre à niveau leurs étudiants. « Pour les promotions qui vont faire leur entrée à l’ESCP cette année, nous avons mis en place des cours de révision à l’entrée (15 heures de mathématiques intensives par exemple) et nous leur avons soumis des exercices d’autoévaluation à réaliser pendant leurs vacances, ce qui nous a permis d’identifier d’éventuelles lacunes », ajoute Philippe Thomas. Une attitude bienveillante très appréciée par les étudiants dont les frais d’inscription s’élèvent tout de même à 25 000 euros par an. 

Un examen minutieux du dossier de candidatures

Dans ce contexte, un examen approfondi des demandes d’acceptation est opéré. « Nous privilégions les candidatures locales et celles du bassin géographique, indique Isabelle Desmaris. 80 % de nos étudiants en master viennent de notre établissement. »

Par ailleurs, certains éléments sont regardés à la loupe. « Je conjugue des critères académiques et des critères liés à la cohérence du projet, poursuit Isabelle Desmaris. Nous examinons la moyenne générale et les notes dans les disciplines financières et comptables. Mais ce n’est pas tout : le projet professionnel doit ressortir dans la lettre de motivation, c’est pour moi le critère le plus important. L’étudiant doit montrer qu’il connaît les métiers liés à cette formation, qu’il a rencontré des professionnels, qu’il a essayé de faire un stage dans le domaine financier. »

D’autres directeurs de master se basent aussi sur les connaissances acquises tout au long du cursus. « Les critères de sélection doivent être cohérents avec les objectifs pédagogiques : nous formons des économistes financiers, rappelle Charles-Pierre Pradier. En conséquence, les étudiants qui comprennent ce que sont une prévision économique et une option sont souvent retenus. Ils doivent avoir sérieusement étudié préalablement l’économie, l’économétrie, un peu les mathématiques (statistiques et calcul stochastique de base), avoir des notions de droit économique et de comptabilité. » A Paris 1 par exemple, l’admission est à 14,5/20 de moyenne en licence, l’inscription sur liste complémentaire à 13,9/20. « Evidemment, nous donnons l’avantage aux meilleurs dossiers, reconnaît Pierre-Charles Pradier. Ceux qui ont fait un échange dans une bonne université ou qui ont produit des mémoires de licence témoignant de qualités (clarté de l’exposition, originalité de la réflexion) ont de meilleures chances d’obtenir une place en M1. »

Une nouvelle évolution dans les méthodes de sélection en M1 devrait bientôt voir le jour. Les directeurs de master s’attendent à devoir intégrer, dès la rentrée 2022, un logiciel semblable à celui de « Parcoursup » (plateforme d’entrée en cursus secondaire). La plateforme « Trouvermonmaster », créée en 2017, devrait en effet faire peau neuve. Alors que pour le moment, le site ne liste que les masters existants, les étudiants devraient bientôt pouvoir s’y inscrire et voir en temps réel l’état de leur candidature. 

Le nombre de candidatures a explosé depuis que leur envoi a été automatisé et que la lettre de motivation qui doit accompagner le dossier n’est plus obligatoirement manuscrite.

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