Fonction finance

Quelle place pour les seniors ?

Publié le 17 octobre 2022 à 15h24

Chloé Consigny    Temps de lecture 7 minutes

En France, l’âge d’or des cadres se situe entre 35 et 45 ans. La finance n’échappe pas à la règle. En dépit des difficultés de recrutement que rencontrent les entreprises, les plus de 50 ans peinent à trouver un poste. Ils peuvent se tourner vers des missions ponctuelles.

Malgré la pénurie de talents, le jeunisme est toujours de rigueur au sein des grands groupes français. Les directions financières ne font pas exception. Ainsi, très souvent, les entreprises qui recrutent recherchent deux types de profils. Les juniors, c’est-à-dire des personnes justes diplômées ou justifiant d’une première expérience professionnelle et les seniors. Par seniors, les entreprises entendent bien souvent des profils expérimentés, justifiant d’une dizaine d’années, voire d’une quinzaine d’années d’expérience, mais rarement au-delà. En clair, les profils les plus chassés pour des postes de directeurs financiers sont âgés de 35 à 45 ans. Quid des profils vraiment seniors, c’est-à-dire âgés de 55 ans et plus ? Pour ces professionnels, s’ils ne sont pas déjà en poste, la recherche d’un nouvel emploi et notamment d’un CDI peut s’avérer particulièrement délicate.

Un faible taux d’emploi chez les plus de 60 ans en France

Aux yeux de ses voisins européens, la France fait figure de mauvaise élève en matière d’emploi des seniors. Ainsi, selon Eurostat, en 2021, 56 % des personnes âgées de 55 à 64 ans étaient en emploi ; un pourcentage qui descend à 35 % chez les 60-64 ans. Des niveaux d’emploi inférieurs à ceux constatés au sein de l’Union européenne. En Allemagne, pour la catégorie des 55-64 ans, le taux d’emploi atteint 71 %. Au Danemark, il est de 72 %... Pour l’ensemble de la zone euro, la moyenne est de 62 %.

Des freins au recrutement

Première raison invoquée par les recruteurs : le coût de ces profils. Trop expérimentés, les salaires exigés sont au-delà du budget alloué par l’entreprise. A cela s’ajoutent de nombreux stéréotypes qui persistent. Moins enclins à embrasser le changement, les seniors sont souvent considérés comme des freins à l’innovation, voire comme des profils difficilement compatibles avec les jeunes recrues. « J’ai eu une discussion avec l’un de mes clients qui s’interrogeait sur le recrutement d’un senior au sein d’une licorne. Il avait de nombreuses interrogations : comment pourra-t-il s’intégrer aux after-work ? Par ailleurs, dans une entreprise en croissance de type licorne, tous les salariés arrivent au travail à 10 heures. Que faire de lui s’il décide d’arriver chaque jour à 8 heures ? », témoigne un consultant en recrutement spécialisé dans les entreprises de croissance. Par ailleurs, l’ultra-spécialisation de ces experts et leur capacité à embrasser l’ensemble des problématiques d’une entreprise peuvent poser question. « Outre le salaire, l’un des freins au recrutement de profils seniors reste l’expertise. En effet, après une longue carrière au sein des très grands groupes, ces profils sont souvent managers. C’est-à-dire qu’ils chapeautent les opérationnels mais n’ont plus l’habitude de traiter directement les problèmes », constate Matthias Collot, associé, expert-comptable, membre du comité exécutif du groupe Exponens. Il existe de nombreux financiers qui restent en poste au sein de grands groupes jusqu’à la retraite. D’autres quittent leur entreprise, parfois contraints. Pour ces profils de plus de 55 ans, la recherche d’un nouveau CDI s’avère tout aussi difficile que celle des seniors évoluant sur d’autres fonctions. « Selon une étude de l’APEC, dans 75 % des cas lorsqu’un financier senior quitte son entreprise, c’est à l’initiative de celle-ci. Pour cette catégorie d’actifs, la durée moyenne de retour à l’emploi s’établit à 759 jours », constate Benoît Durand-Tisnès, président de Wayden, président de France Transition, la fédération des acteurs du management de transition et auteur de l’ouvrage « Savoir rebondir après 45 ans ».

«Outre le salaire, l’un des freins au recrutement de profils seniors reste l’expertise. En effet, après une longue carrière au sein des très grands groupes, ces profils sont souvent managers. »

Matthias Collot Associé, expert-comptable ,  Groupe Exponens

Une solution, les missions ponctuelles

Néanmoins, la fonction finance à la particularité de pouvoir intervenir sur des missions à durée déterminée pour accompagner un moment particulièrement stratégique d’une entreprise (retournement, changement d’échelle, mise en place d’outils structurants, remplacement d’un DAF au pied levé le temps d’effectuer un nouveau recrutement…). Dans ce cas, l’entreprise fait appel à un manager de transition. Et la demande reste forte : la finance est aujourd’hui l’un des premiers métiers de management de transition, totalisant à elle seule 25 % des missions annuelles, selon les chiffres de France Transition, fédération des acteurs du management de transition. « Les seniors se sont particulièrement distingués durant la crise financière de 2008. Ils ont donné à voir que l’expérience permettait de gagner du temps. Par ailleurs, le management de transition a largement contribué à redorer le blason des seniors », constate Laurent Charpentier, practice manager, Michael Page. « Le réflexe au sein des entreprises a longtemps été de couper les coûts les plus importants. Au cours de la crise de la Covid-19 et des précédentes crises, les seniors ont apporté la preuve de leur résilience et de leur capacité à traverser les difficultés. Je pense que nous sommes aujourd’hui en train de revenir sur des choix qui ont été faits précédemment. Par exemple, il est rare de pouvoir remplacer un senior par deux juniors », abonde Benoît Durand-Tisnès. 

Dans la fonction finance, les qualités des seniors semblent aujourd’hui reconnues. Les 5 500 ETI françaises sont fortement pourvoyeuses de missions à destination de ces seniors, particulièrement recherchés pour leur savoir-faire et leurs qualités managériales. Au sein de la branche finance de Michael Page, 30 % des managers de transition placés se voient par la suite proposer un CDI. « Le management de transition peut aussi être un tremplin pour un contrat à durée indéterminée. Dans ce type de missions, la relation est très saine. Chacun apprend à se connaître. Le manager de transition est nommé pour un temps donné. Lorsqu’il part, cela n’envoie pas un signal négatif aux équipes. S’il reste, cela signifie que l’entreprise a encore besoin de lui », poursuit Laurent Charpentier.

Une grande importance accordée aux soft skills

Reste que tous les seniors de la fonction finance n’accèdent pas aux missions de management de transition avec la même facilité. « Il faut bien avoir à l’esprit qu’au-delà de 45 ans, les directeurs financiers ont le plus souvent un profil relativement similaire tant dans le diplôme que dans le parcours. La différence se fait donc sur les soft skills. Outre un parcours solide teinté d’international et une réelle capacité à mener des projets structurants, le manager de transition doit savoir assumer ses choix, rassembler autour d’un projet et transmettre ses compétences », détaille Benoît Durant-Tisnès. L’un des points forts est incontestablement sa liberté. « N’étant pas attaché à une entreprise, il n’est pas perturbé dans son travail par des objectifs carriéristes », abonde Laurent Charpentier. 

Appelés pour des missions d’une durée pouvant aller de sept mois à trois ans, les managers de transition évoluent entre différentes entreprises. La rémunération est fonction de la mission. Autour de 800 euros/jour pour un poste de directeur comptable ou de contrôleur financier senior et jusqu’à 3 000 euros/jour pour les postes de directeurs administratifs et financiers les plus chevronnés. Malgré la pénurie de talents dans la fonction finance, les candidats au management de transition et notamment pour les plus hautes fonctions en finance sont aujourd’hui nombreux. 

Les experts constatent par ailleurs un rajeunissement de l’âge des candidats : 54 ans en moyenne avant la crise sanitaire et autour de 50 ans aujourd’hui. « Le marché des managers de transition reste compétitif. Nous voyons arriver des profils de candidats de plus en plus jeunes qui souhaitent mener une vie professionnelle plus libre. Finalement, lorsqu’ils ont goûté à l’indépendance, rares sont ceux qui souhaitent revenir à un contrat de travail en CDI », conclut Benoît Durand-Tisnès. Il n’existe décidément pas de solution miracle pour les seniors. 

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