Engagements

Retraite supplémentaire : les entreprises réduisent leurs risques

Publié le 1 juillet 2022 à 15h13

Anaïs Trebaul    Temps de lecture 7 minutes

Le régime de retraite supplémentaire par prestations définies a fait prendre aux entreprises des engagements importants à leur bilan. Jugeant ce système trop aléatoire, elles décident peu à peu de transférer ce risque aux assureurs. 

En matière de retraite supplémentaire, les entreprises ont décidé d’alléger leur bilan. Et pour cause, à l’échelle du CAC 40, les provisions pour ce type de retraite représentent environ 70 milliards d’euros. Ce passif social est essentiellement constitué de retraites à prestations définies, qui permettent aux entreprises de s’engager sur un niveau de rente défini à l’avance, qui sera versé aux salariés sur l’ensemble de leurs années de retraite. Elles s’opposent ainsi aux retraites supplémentaires par cotisations définies, où l’employeur cotise chaque année sur un fonds, dont le montant est versé aux salariés une fois à la retraite. « Alors que dans le cas des retraites par cotisations, le montant total des cotisations est figé à l’avance et l’engagement de l’employeur est limité au versement des cotisations prévues, dans le cas des prestations définies, l’entreprise porte à elle seule le risque, et doit constituer une provision à cet effet », explique Philippe Girard, senior director benefits International Integrated & Global Solutions (IGS) chez Willis Towers Watson.

Certes, le recours à ces prestations définies est davantage répandu dans les pays anglo-saxons, Etats-Unis, Royaume-Uni et Canada, ainsi qu’en Allemagne et aux Pays-Bas, par rapport à la France où les retraites obligatoires sont plus élevées. Néanmoins, les grandes entreprises françaises utilisent encore ce régime, plus connu sous le nom d’« article 39 », pour leurs salariés situés à l’étranger, voire pour leurs salariés français, dans le cadre des régimes chapeaux pour les dirigeants.

Une espérance de vie en hausse

Le risque porté par les entreprises sur ces retraites supplémentaires est d’autant plus fort que l’espérance de vie des Français une fois à la retraite progresse fortement. Selon WTW, elle est passée de 20,5 ans à 22,4 ans pour les hommes entre 2002 et 2020, et de 25,4 ans à 26,9 ans pour les femmes. En 2050, il est prévu que ces chiffres soient portés à 24,8 ans pour les hommes et à 29,5 ans pour les femmes.

Un transfert du risque aux assureurs

Les entreprises françaises ont rapidement pris conscience que ce régime était trop dangereux financièrement. « Après l’essor des retraites supplémentaires à prestations définies au sortir de la Seconde Guerre mondiale, des entreprises proposant cet outil à leurs salariés ont fait défaut, provoquant l’arrêt des rentes, rappelle Mourad Bentoumi, directeur du département Retraite chez Willis Towers Watson. A la suite de cet épisode, les normes IFRS sont venues encadrer cette pratique, imposant aux entreprises de provisionner les montants à verser. Face aux risques et aux contraintes croissantes, plusieurs groupes français ont commencé à basculer vers un régime à cotisations définies. » Toutefois, ce changement de régime n’annulant pas les engagements de retraite des salariés bénéficiant auparavant des prestations définies, plusieurs entreprises françaises ont choisi de transférer ce risque aux assureurs. « Les provisions pour prestations définies sont sorties du bilan et transférées à un assureur, qui prend le risque pour son compte, précise Mourad Bentoumi. Les droits des salariés sont ainsi gelés. Cette pratique est aussi appelée “derisking” ».

«Les provisions retraite peuvent avoir un impact important sur les bilans et les perspectives de performance des entreprises. Ces dernières cherchent donc à rassurer leurs investisseurs et prouver que leurs risques sont maitrisés. »

Philippe Girard Senior director benefits International Integrated & Global Solutions (IGS) ,  Willis Towers Watson

Au départ ciblé sur les retraites des salariés français, ce dispositif s’étend de plus en plus aux collaborateurs étrangers. « Les directeurs financiers disposant d’une enveloppe de cash importante choisissent de plus en plus d’externaliser le risque lié aux régimes de retraite supplémentaire à prestations définies, remarque Yankel Benasuly, head of Wealth d’Aon France. Cette pratique s’est fortement développée aux Etats-Unis, où le derisking est parfois moins coûteux que de conserver les provisions, et au Royaume-Uni, dont la quasi-totalité des dispositifs de retraite à prestations définies a été gelée. »

Le contexte économique actuel incite également les entreprises à recourir, de façon croissante, à cette pratique. « Avec la crise Covid d’abord, puis les tensions inflationnistes ensuite, les groupes sont contraints de trouver des sources d’économies. Or, en transférant leurs provisions de retraites, elles gagnent du temps de gestion, se déchargent des travaux d’évaluation et d’audit, et réduisent leurs coûts administratifs de suivi, observe Philippe Girard. Par ailleurs, les provisions retraite peuvent avoir un impact important sur les bilans et les perspectives de performance des entreprises. Ces dernières cherchent alors à rassurer leurs investisseurs et à prouver que leurs risques sont maîtrisés, ce qui les incite à les transférer. »

Régime à prestations définies : une réglementation française évolutive

  • Depuis 2010, les entreprises françaises ont l’obligation de mettre en place un contrat d’assurance pour les régimes de retraite à prestations définies nouvellement mis en place. « L’assureur supporte alors le risque de longévité du retraité, précise Christel Bonnet, directrice de clientèle chez Mercer. En fonction du type d’indexation des rentes, l’entreprise peut ou non conserver la provision dans son bilan. » 
  • En 2019, la loi Pacte a supprimé l’ancien régime « article 39 », empêchant ainsi aux salariés d’acquérir de nouveaux droits, et elle a instauré un nouveau dispositif, qui permet aux salariés de bénéficier d’une retraite supplémentaire sans finir leur carrière dans l’entreprise, ce qui n’était pas le cas auparavant. En outre, le nouvel article 39 limite les droits retraite à 3 % des revenus annuels des salariés, afin d’éviter les abus des retraites chapeaux. En parallèle, en prévision des difficultés croissantes pour l’Etat français à financer la retraite, la loi Pacte a rendu la fiscalité sur les retraites supplémentaires par cotisations définies plus attractive. Les entreprises françaises ont ainsi de plus en plus recours à ce dispositif (via les plans d’épargne retraite).

Un cash-out important

En contrepartie, les entreprises doivent tout de même disposer d’une trésorerie suffisante. « Elles doivent être en capacité de sortir de leur trésorerie des centaines de millions d’euros », prévient Christel Bonnet, directrice de clientèle chez Mercer. De plus, ce dispositif peut s’avérer coûteux. « Le coût du transfert du risque à l’assureur peut varier selon les hypothèses financières retenues de -10 % à +10 % des engagements aux Etats-Unis, mais facilement atteindre +15 % à +40 % au Royaume-Uni », estime Yankel Benasuly. En moyenne, il tourne autour de 10 à 20 %.

Néanmoins, la hausse des taux pourrait rendre le dispositif plus attractif. « Les provisions sur les montants futurs sont actualisées en utilisant les taux d’intérêt actuels, encore faibles, indique Philippe Girard. Or, mécaniquement, si les taux augmentent, la valeur de la provision diminue, et le montant à verser par l’entreprise à l’assureur sera plus faible. » Si les assureurs acceptent de prendre ce risque au montant élevé, c’est donc le moment pour les groupes de transférer leurs provisions. 

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