Direction financière

Comment garder le contrôle sur les financiers de filiales

Publié le 6 février 2015 à 14h50    Mis à jour le 6 février 2015 à 17h43

Morgane Remy

Afin de traverser la crise, les contrôleurs, responsables et directeurs financiers de filiales de grands groupes se sont rapprochés des opérationnels, devenant plus que jamais des «business partners». Si cette méthode a prouvé son efficacité, la direction financière du siège doit néanmoins veiller à ce que ces derniers gardent leur esprit critique, en leur rappelant leur appartenance à la fonction finance.

Afin d’améliorer la rentabilité de l’entreprise dans un environnement difficile, les équipes financières situées dans les filiales ont vu leur engagement auprès des opérationnels se renforcer sensiblement depuis le début de la crise. Le plus souvent, cette évolution a permis d’obtenir des résultats efficaces. Toutefois, dans certains cas, un rapprochement trop marqué entre les collaborateurs financiers locaux et les dirigeants de l’entité concernée a pu se révéler contre-productif, voire dangereux. «Dans certaines filiales, des contrôleurs financiers avaient préféré ne pas faire remonter des informations à la fonction finance groupe afin de laisser à ces derniers du temps pour redresser la barre, témoigne le directeur financier d’un groupe industriel. Le fait que nous n’ayons pas pu intervenir plus en amont pour corriger le tir s’est traduit par un recul de la rentabilité de ces entités.»

Pour une direction financière centrale, le risque de devoir faire face à une telle situation soulève une problématique majeure : comment faire en sorte que la fonction finance contribue davantage à la performance du groupe tout en gardant le contrôle sur les équipes locales. «Le financier a un devoir de contrôle et donc d’esprit critique, rappelle Nicolas Richard, associé chez KPMG. Il doit ainsi trouver un équilibre entre sa proximité quotidienne avec les opérationnels et son appartenance à la direction financière.» Ce juste milieu est particulièrement important dans des groupes très décentralisés. «Nous avons 1 500 contrôleurs financiers répartis sur l’ensemble de nos chantiers, signale Pierre Skorochod, directeur du contrôle de gestion et de la comptabilité de Bouygues Construction (11,1 milliards d’euros de chiffre d’affaires). Ceux-ci épaulent les responsables de chantier, notamment en apportant un double regard sur la performance financière et en veillant au respect constant de nos procédures. Ils encouragent une appréciation transparente de nos risques et alertent, le cas échéant.»

Effacer le moyen de pression

Pour ce faire, le groupe doit donc leur donner les moyens de leur indépendance, ce qui soulève d’abord des problématiques managériales. Très souvent, les directeurs opérationnels ont en effet leur mot à dire sur le parcours professionnel des contrôleurs ou des responsables financiers, qu’ils aient avec eux un simple lien fonctionnel ou une véritable relation hiérarchique. C’est notamment le cas chez Bouygues Construction. «Les contrôleurs financiers dépendent directement des responsables de chantier, précise Pierre Skorochod. Mais ils peuvent s’appuyer à tout moment sur un manager référent de la filière contrôle financier, qui leur apporte appui et conseil.» Ainsi, s’il doit signaler une situation anormale, le contrôleur financier ne voit pas son évolution professionnelle mise à mal pour autant puisque celle-ci dépend, in fine, de l’avis du référent. 

Ce type de dispositif est important. Mais l’exemple prime avant tout. «Dans un grand groupe, lorsqu’un contrôleur financier compromet ses perspectives de carrière en s’opposant à une décision du directeur général de sa filiale qu’il juge contraire à la préservation des intérêts du groupe, son manager direct au sein de la filière finance doit veiller à ce qu’il se voie offrir des alternatives d’évolution», explique Nicolas Richard. Il ne s’agit alors pas tant de récompenser cette alerte que d’instaurer un climat de confiance. En montrant que ce directeur général n’a pas de prise sur son contrôleur financier dans un tel contexte, la direction financière prouve qu’elle est capable de protéger ses membres efficacement.

Créer un sentiment d’appartenance

Outre la preuve que la carrière des équipes financières dépend surtout de leur département, l’autonomie de ces dernières doit également s’entretenir grâce à une animation de la filière. La formation permet alors à la fois de démontrer que la direction financière garde la main sur le parcours professionnel de ses membres, mais également de créer du lien. «Chez Bouygues Construction, cela passe notamment par une formation dénommée Cap Evolution, explique Pierre Skorochod. Chaque année, six groupes de six à sept financiers prometteurs travaillent ensemble sur un projet d’amélioration de la filière, qu’ils présentent ensuite devant un comité de cadres dirigeants du contrôle financier.» Entre formation et le laboratoire d’idées, cette démarche débouche parfois sur des réalisations concrètes, le tout permettant de créer une émulation au sein de la filière.

De manière plus régulière, le directeur financier doit également créer des occasions de rencontre entre financiers du groupe afin de leur permettre de constituer un réseau informel. Ce dernier peut notamment se révéler utile lorsqu’une simple question technique ou un cas de conscience se pose. «Animer la filière, en organisant des séminaires par exemple, est tout sauf anecdotique, explique Ariel Smadja, fondateur et dirigeant de Fuseo, cabinet spécialisé dans l’optimisation de la direction financière. Cela permet, en offrant des occasions d’échanges entre pairs, de développer un esprit d’équipe, de la solidarité et de la transversalité, et, ainsi, de renforcer les liens entre financiers.» La localisation de ces rencontres constitue un élément essentiel à prendre en compte. «Il est important que ces rencontres soient organisées sur différents sites du groupe, afin d’emporter l’adhésion du plus grand nombre», recommande Ariel Smadja. Formations, séminaires, déplacements, sites intranet dédiés sont autant de moyens pertinents à mettre en place. «Cela prend beaucoup de temps à organiser, mais ce travail est indispensable pour créer un sentiment d’appartenance à la direction financière dans toutes les entités du groupe, même les plus éloignées géographiquement», conclut Ariel Smadja.

Garder le contact à travers toute la filière

Ce lien doit également s’entretenir au plus haut niveau. Chez Bouygues Construction, les huit responsables du contrôle de gestion de chaque entité opérationnelle se réunissent deux fois par an, pour un comité de carrière. Ce rendez-vous consiste à faire la revue des parcours professionnels des contrôleurs financiers et de leurs managers. Avant chaque réunion, ils font le point avec leur équipe, qui a pour charge de faire de même avec la leur… jusqu’à ce que chacun soit consulté, selon une logique pyramidale.

A la SNCF également, Gwendoline Cazenave a mis en place, à son arrivée, un comité des directeurs financiers. Celui-ci se réunit mensuellement. Les 15 directeurs financiers de la branche Voyages (6,5 milliards de chiffre d’affaires), composée de nombreuses entités – entités territoriales au sein de l’établissement public mais aussi filiales (Eurostar, Thalys, voyages-sncf.com par exemple) –, se retrouvent pour partager leurs enjeux. Les discussions portent notamment sur l’animation de chaque entité, ce qui offre un lieu où échanger sur la stratégie à aborder et où les questions de chacun peuvent être remontées. «Ainsi, chaque financier n’est jamais seul face à une problématique, ajoute Gwendoline Cazenave. En outre, cela me permet d’avoir une vision large de ma business unit et d’avoir les leviers en direct pour ajuster en permanence les dépenses et les investissements afin de rester en cash positif et tenir notre objectif d’Ebitda.» Ainsi, les performances du groupe dépendent directement de la capacité du directeur financier à animer sa filière ! De quoi l’inciter fortement à s’investir dans cette tâche.

L’indépendance des financiers, meilleur rempart contre la fraude interne

  • Outre les cyberattaques, la fraude au président ou encore le vol, la fraude la plus conséquente financièrement pour les entreprises reste celle dite «comptable». Elle consiste, pour l’équipe de management d’une filiale, à maquiller les comptes afin d’atteindre des objectifs jugés irréalisables, en présentant une entité sous un meilleur jour financier.
  • Le plus souvent, la méthode consiste à anticiper le chiffre d’affaires, retarder la mise en place des provisions et/ou sous-estimer la dette, afin de présenter au siège un bilan plus positif. «Nous avons observé ce genre de fraudes dans des groupes où la pression sur les objectifs était forte, notamment dans des filiales des pays émergents comme le Brésil, la Chine ou des pays d’Afrique», témoigne Nicolas Richard, associé KPMG. Face à cette recrudescence, il y a eu une prise de conscience. «Nous sommes de plus en plus sollicités pour travailler sur l’animation de la filière finance jusque dans ses entités les plus éloignées, poursuit Nicolas Richard. Cela se reflète dans l’évolution de nos propres effectifs : il y a cinq ans, KPMG comptait 30 professionnels spécialisés en «people and change» en Europe. Nous sommes désormais 300 ! »
  • Les directeurs financiers acceptent donc de consacrer un budget à ces questions. Mais, surtout, ils consacrent eux-mêmes une partie conséquente de leur temps à l’animation de leur département, au-delà de la seule dimension technique.

 

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