Les directions financières dans la crise

Delfingen devient leader de son secteur

Publié le 31 décembre 2020 à 11h57

Thomas Feat

Spécialisé dans la fabrication de dispositifs de protection des systèmes électriques embarqués, l’équipementier automobile Delfingen (230 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2019) a vu son activité se réduire fortement dans les semaines ayant suivi le déclenchement de la crise sanitaire. Pour faire face à cette difficulté, le groupe a mis en place diverses mesures dédiées à la préservation de sa trésorerie. Au cours du deuxième semestre, ses ventes se sont nettement redressées, et l’entreprise a pu mener à bien, malgré la dispersion de ses équipes, l’acquisition d’une partie de l’activité de l’un de ses principaux concurrents, l’Allemand Schlemmer. Alors qu’une nouvelle année s’ouvre, le groupe entend désormais saisir les nombreuses opportunités offertes par le développement des véhicules hybrides et électriques. Christophe Clerc, vice-président exécutif en charge des finances, des ressources humaines et des fonctions juridiques, revient en détail sur cette actualité.

Comment la crise sanitaire a-t-elle affecté l’activité de votre entreprise ?

Delfingen est un équipementier automobile familial coté, spécialisé dans la conception et la fabrication de solutions de protection pour les réseaux électriques et de fluides embarqués. Nos produits équipent des voitures thermiques, hybrides et électriques. Notre groupe dispose d’une trentaine de sites implantés dans une vingtaine de pays, et compte plus de 3 000 collaborateurs. L’an dernier, nous avons réalisé 95 % de notre chiffre d’affaires de 230 millions d’euros à l’international.

La propagation de l’épidémie de Covid-19 et l’instauration du premier confinement ont contraint la plupart de nos clients constructeurs à fermer leurs usines et à suspendre leurs approvisionnements. Par conséquent, notre activité a chuté de plus de 70 % entre la mi-mars et la mi-juin. Partout dans le monde, nous n’avons eu d’autre choix que de mettre nos chaînes de production à l’arrêt, d’alterner des ouvertures et des fermetures brèves ou d’avoir recours à des effectifs réduits sur des plages horaires réduites. En France, notre siège et centre logistique d’Anteuil, à partir duquel nous livrons une partie de nos clients européens et nord-africains, a d’abord fermé ses portes quelques jours avant de fonctionner à 50 % de ses capacités jusqu’en juin. A l’été, notre activité a retrouvé son niveau d’avant la crise. Septembre, octobre et novembre ont été des mois records pour l’entreprise. Un dynamisme qui s’explique par la reprise du marché automobile et, surtout, par l’explosion de la demande en véhicules hybrides et électriques, soutenue par les nombreux dispositifs publics d’aide à l’électromobilité mis en place dans un grand nombre de pays.

Fort heureusement, l’instauration du deuxième confinement n’a pas eu d’incidence sur notre activité. En définitive, nous devrions enregistrer une baisse de 12 % à 15 % de notre chiffre d’affaires sur notre périmètre historique en 2020, deux fois moins importante que celle du marché automobile sur la période. C’est un moindre mal compte tenu de la soudaineté et de la violence de cette crise.

A l’automne, Delfingen a bouclé l’acquisition des activités européennes et nord-africaines de l’un de ses principaux concurrents, le Munichois Schlemmer. Cette opération a-t-elle été difficile à réaliser dans le contexte des derniers mois ?

Superviser puis boucler à distance l’acquisition de Schlemmer a constitué un défi de taille. A l’exception de deux rencontres en février, tous nos entretiens avec les dirigeants de l’entreprise se sont déroulés par ordinateurs interposés ! En raison de la distance, nous n’avons pu, par exemple, visiter les sites de l’entreprise. Heureusement, nos conseils nous ont aidés à mettre en place une data room grâce à laquelle nous avons pu réaliser nos due diligences sans encombre.

Cette opération de croissance externe, la plus importante de notre histoire, est particulièrement structurante : elle va nous permettre d’augmenter notre chiffre d’affaires global de 50 % dès la fin de cette année, de devenir le leader de notre secteur, et de conforter notre position sur le marché automobile allemand, précurseur en matière de technologies embarquées. Pour ces raisons et malgré l’incertitude liée à la crise sanitaire, nous n’avons jamais remis en question cette opération.

Compte tenu de la situation financière de Schlemmer, placée en redressement judiciaire à l’hiver 2019, nous avons pu réaliser cette acquisition à un prix en adéquation avec notre capacité d’endettement. Nos partenaires bancaires et les investisseurs ont d’ailleurs été convaincus par notre projet, puisque nous l’avons financé grâce à une dette bancaire classique, un financement Bpifrance et une émission obligataire.

Quelles mesures l’entreprise et sa direction financière ont-elles mises en place pour faire face à la crise ?

Dès l’instauration du premier confinement, la priorité a été donnée au pilotage de la trésorerie et à la préservation de nos réserves de cash. Durant la deuxième quinzaine de mars, nous avons mis en place un tableau de bord permettant le suivi quotidien de toutes les positions de liquidités de nos filiales. Nous avons également complété l’échéancier de nos prévisions de trésorerie glissantes pour établir des anticipations à 15 jours.

A la mi-mars, nous disposions d’une trésorerie d’un million d’euros, insuffisante pour faire face aux importantes fluctuations d’activité que nous escomptions. Nous nous sommes donc mis en quête de financements. L’option du prêt garanti par l’Etat (PGE), limité à 25 % du chiffre d’affaires français réalisé sur l’exercice 2019, ne présentait pas d’intérêt pour Delfingen, puisque le groupe ne tire qu’une très faible part de ses revenus de la France. Par conséquent, nous avons sollicité deux autres instruments auprès de nos partenaires bancaires et de Bpifrance, pour un montant total de 18 millions d’euros. Le premier est un prêt dédié au renforcement conjoncturel de la trésorerie octroyé par les banques, de maturité cinq ans, assorti d’une franchise d’un an et garanti par la Banque publique d’investissement à hauteur de 90 %. Le second est un «Prêt Atout» consenti directement par cet organisme, conçu là encore pour résorber des tensions de liquidité passagères.

Pour préserver notre trésorerie, nous avons porté, de surcroît, une attention toute particulière à notre besoin en fonds de roulement. Certes, nous ne sommes pas parvenus à réduire significativement le délai de paiement moyen de nos clients, de 60 jours, mais celui-ci ne s’est pas non plus dégradé. Dans le même temps, nous avons négocié des délais supplémentaires avec certains de nos fournisseurs. Avec le soutien des équipes IT, nous avons fait évoluer nos outils informatiques de suivi des stocks pour obtenir des informations en temps réel sur leur niveau. Ce pilotage resserré, tout comme celui de nos coûts d’exploitation, nous a permis d’atténuer au maximum l’incidence des fluctuations d’activité sur notre rentabilité, et de redémarrer rapidement une fois la reprise venue. Enfin, partout où cela était possible, nous nous sommes tournés vers les dispositifs de soutien à l’activité mis en place par les pouvoirs publics. En France, jusqu’à 80 % de nos 240 employés ont été placés en chômage partiel. Nous avons pris des mesures identiques aux Etats-Unis, au Canada, en Allemagne ou encore en Slovaquie. En Chine, nous avons négocié des reports de paiement de loyer avec nos bailleurs et avons bénéficié d’allégements de charges sociales. En l’absence de soutien de l’Etat, en Inde ou aux Philippines par exemple, notre fondation d’entreprise créée en 2007 est venue en aide à nos salariés par le biais de programmes alimentaires ou d’un soutien financier. Grâce à toutes ces mesures, nous avons porté notre trésorerie à plus de 20 millions d’euros à fin août. Nous disposons toujours, de surcroît, d’une ligne de crédit de 10 millions d’euros, non tirée à ce jour.

Comment votre direction financière a-t-elle travaillé depuis l’instauration du premier confinement ?

La plupart des collaborateurs de la direction financière, au siège et dans les filiales, ont travaillé depuis leur domicile. Nous n’avons pas eu de mal à adopter cette nouvelle organisation, grâce, en grande partie, à nos outils de gestion informatiques collaboratifs accessibles depuis Internet. Les différents modules de notre ERP nous permettent par exemple de suivre l’évolution de nos ventes, de nos achats et de nos stocks en direct, tandis que nos progiciels de reporting nous donnent la possibilité de clôturer et de consolider nos comptes à distance.

A compter de mars, une cellule d’urgence dédiée à la gestion de la crise sanitaire a été constituée au sein de notre comité de direction. Au plus fort de la crise, celle-ci s’est réunie jusqu’à trois fois par semaine. De surcroît, une cellule d’urgence d’une dizaine de personnes a été mise en place au sein de la direction financière. Pour optimiser la circulation de l’information et la mise en œuvre de certains dispositifs comme le chômage partiel, des membres de la direction juridique, des ressources humaines et de la communication, dont j’ai par ailleurs la charge, ont été intégrés à cette task force.

Comment votre entreprise aborde-t-elle l’année 2021 ?

Les crises accélèrent les transformations. Celle-ci a favorisé, par exemple, le développement des véhicules hybrides et électriques. Cette tendance est particulièrement porteuse pour notre groupe, puisque ces véhicules requièrent jusqu’à deux fois plus de gaines textiles et de tubes plastiques à forte valeur ajoutée que les véhicules thermiques. A ce titre, l’année 2021 devrait nous offrir de belles perspectives.

Quels seront vos principaux chantiers au cours des prochains mois ?

Au cours du premier semestre, nous poursuivrons l’intégration des activités de Schlemmer. Il s’agit d’un chantier de taille, qui concerne 1 000 salariés répartis sur cinq usines en Allemagne, en Roumanie, en Russie, en Tunisie et au Maroc. Cette intégration doit déboucher, notamment, sur des rationalisations de coûts et sur une meilleure mutualisation des travaux de recherche conduits par nos différents bureaux d’études. La direction financière reprendra plus particulièrement le travail d’harmonisation de ses processus comptables amorcés avant la crise. Un outil comptable unique est en cours de déploiement. La mise en place de cette solution sera d’abord effective en France et au Maroc, puis sera poursuivie l’an prochain au Portugal, en Allemagne et en Roumanie. Tous nos sites en seront équipés d’ici deux ans.

Enfin, les équipes finances mettront en œuvre un vaste plan d’amélioration de leurs processus de reporting financier, grâce auquel nous améliorerons encore la qualité et la pertinence des informations de gestion que nous communiquons au comité exécutif et au conseil d’administration. 

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