Collectivités territoriales

Les directeurs financiers, garde-fous des collectivités territoriales

Publié le 20 mars 2020 à 14h18    Mis à jour le 20 mars 2020 à 19h17

Alexandra Milleret

Alors que le second tour des élections municipales, prévu dimanche dernier, a été reporté sine die, les collectivités territoriales maintiennent le cap, notamment grâce à leur direction financière. Disposant de prérogatives similaires à celles de leurs homologues du privé, les directeurs financiers de collectivités alertent et conseillent les élus sur la gestion du budget public.

Les directions financières ne sont pas l’apanage des entreprises, elles sont également présentes dans les collectivités territoriales (commune, département, région, etc.). La ville de Chatel en Haute-Savoie ou celle de Fontenay-sous-bois, dans le Val-de-Marne, le Conseil départemental du Lot par exemple, sont même actuellement à la recherche de leur nouveau responsable financier. Et comme dans le secteur privé, elles jouent un rôle central dans la conduite des procédures budgétaires et de la gestion de la dette et de la trésorerie au sein des instances de gouvernance locales.

En effet, si dans le secteur privé, les directeurs financiers (DAF) exécutent surtout les décisions émanant de la direction générale, les DAF de collectivités collaborent quant à eux aux stratégies financières des élus locaux. «La finance est au cœur de la décision politique, indique Matthieu Barbier, directeur des finances et du conseil en gestion au département du Nord. La fonction d’un directeur des finances est d’objectiver les conséquences financières des choix politiques des élus afin de leur permettre de prendre l’ensemble des décisions en toute connaissance de cause. Par exemple, il devra analyser le gain ou le coût d’une externalisation de certaines missions, afin que les élus puissent voir les bénéfices au regard des autres impacts (souplesse de gestion, niveau de service rendu, etc.).»

Un rôle stratégique dans les décisions de dépenses publiques

En effet, au-delà de la préparation du budget annuel, de la fin de l’été au mois de décembre, le DAF va participer à la définition des orientations financières et aux arbitrages nécessaires de certains choix d’investissements. Dans cette perspective, il va conseiller les élus mais aussi les alerter sur les risques financiers pour la collectivité. «Nous avons assisté à une véritable évolution du métier de directeur financier en collectivités locales, constate Matthieu Barbier. Historiquement, ce métier avait une forte dominante comptable centrée sur le contrôle de la régularité des actes comptables, la vérification des opérations, etc. ; aujourd’hui, c’est un véritable pilote des finances de l’activité de la collectivité.» 

La réduction des moyens des collectivités opérées ces dix dernières années, notamment par la baisse des dotations de l’Etat, les a effectivement obligés à se réinterroger sur la façon de mener leurs politiques publiques. «Aujourd’hui, les études de déterminants de coûts, l’analyse de processus ou les études d’impacts, par exemple, se multiplient, et les contrôleurs de gestion sont de plus en plus associés dès la conception des politiques publiques», ajoute Mathieu Barbier. 

Par ailleurs, les directions financières sont de véritables centres de données financières, ce qui les rend encore plus pertinentes lorsqu’il faut réfléchir en termes de datamining (exploitation de données financières) ou de datavisualisation (reporting financier pertinent). Un rôle stratégique important d’autant que le budget attribué aux collectivités peut parfois largement dépasser celui d’une entreprise privée. «Suite à la fusion de la région et du département, nous gérons désormais un budget de 1,3 milliard d’euros pour les crédits de paiements et de 3 milliards d’euros d’autorisations de programme et d’autorisations d’engagement», souligne Edouard Gamess, directeur général adjoint en charge des finances au département Martinique.

Des prérogatives larges

De plus, à l’instar d’un directeur financier du secteur privé, celui d’une collectivité territoriale gère aussi les relations avec les banques. Certains peuvent même parfois travailler avec des agences de notation. «Nous avons reçu la note de AA3 avec une perspective positive de la part de Moody’s en 2019, se félicite Camille Albert, directrice des finances du département de l’Eure. Notre intérêt de travailler avec une agence de notation était de pouvoir se financer directement sur les marchés financiers à des taux plus intéressants.»

En revanche, le traitement de la fiscalité est différent entre le public et le privé : le directeur financier local gère, dans son rôle de percepteur, la fiscalité des administrés, comme la taxe foncière par exemple. «La collectivité territoriale a un pouvoir de taux et c’est la direction financière qui va proposer d’augmenter ou non ce taux en fonction des besoins de la collectivité», ajoute Camille Albert. Pour gérer ces missions, la plupart des directions financières locales sont d’ailleurs dotées d’un effectif conséquent. «Nous disposons d’une équipe de près de 200 personnes pour gérer notre budget de 3 milliards d’euros dont une grande parte sert à verser les aides sociales (c’est le département qui paie le RSA par exemple)», admet Matthieu Barbier.

Des directeurs financiers locaux à l’heure du numérique

Par ailleurs, les directions financières des collectivités territoriales connaissent, elles aussi, depuis une dizaine d’années, une profonde transformation de leurs systèmes d’informations grâce au développement de nouveaux outils numériques. «Notre département offre déjà la possibilité du paiement en ligne pour nos administrés, indique Maxime Richard, directeur des finances au département de Saône-et-Loire. Nous cherchons ainsi à adapter notre fonction financière aux usages d’aujourd’hui. Plus largement, depuis un an, nous avons aussi entrepris de réaliser un diagnostic de la fonction financière au sein de notre département afin de cartographier nos process, de faire un état des lieux de nos logiciels comptables, etc. L’idée est de savoir si nous sommes prêts pour faire face aux enjeux futurs des finances locales tels qu’une contrainte financière de plus en plus forte ou encore la certification des comptes.» Un projet que d’autres collectivités souhaitent également mettre en place prochainement. «La certification des comptes, la modernisation de notre chaîne comptable avec la dématérialisation des tâches, la mise en œuvre du compte financier unique font partie de nos futures actions au sein de la direction financière», confie Camille Albert.

Des fonctionnaires territoriaux

Enfin, contrairement à certaines idées reçues, le résultat des élections locales (municipales, départementales ou ex-cantonales) n’a aucune influence sur le maintien en poste des directeurs financiers territoriaux. «Les directeurs financiers ne sont pas impactés par un changement de majorité politique locale en raison de leur statut de fonctionnaires territoriaux», explique Maxime Richard. Ce sont plutôt les postes de directeurs généraux et directeurs généraux adjoints qui peuvent être influencés par les élections locales en raison de la proximité de leur emploi avec les élus.» Aussi, compte tenu de cette garantie de l’emploi, beaucoup de jeunes diplômés en finance n’hésitent plus aujourd’hui à se tourner directement vers des carrières publiques plutôt que d’intégrer un grand groupe et une promesse de meilleure rémunération. «J’ai été attiré par l’intérêt du service rendu aux usagers, aux citoyens, ajoute Camille Albert, directrice des finances du département de l’Eure. Une collectivité territoriale est différente d’une entreprise dans le sens où elle n’a pas pour principale vocation de faire des bénéfices.»

Après des études en sciences politiques spécialisées dans la finance ou de comptabilité privée, les futurs directeurs financiers de collectivité passent un concours de la fonction publique territoriale (catégorie A) pour entrer à l’INET (Institut national des études territoriales) à Strasbourg. «Cette formation est destinée aux futurs hauts fonctionnaires dirigeant les grandes collectivités territoriales et leurs établissements publics, observe Maxime Richard. C’est pourquoi les jeunes diplômés peuvent accéder très tôt dans leur carrière à des postes de top management au sein des directions financières locales.» Ainsi, les responsables ou directeurs financiers des autorités locales ont souvent moins de 30 ans. Un niveau de responsabilité obtenu donc plus rapidement que dans le privé, où la plupart des directeurs financiers sont d’abord passés par l’audit avant de gravir un à un les échelons au sein des directions financières. 

De nombreux contrôles des finances locales

  • Les collectivités territoriales sont régies par le principe financier de la séparation entre les ordonnateurs et les comptables. L’ordonnateur (la collectivité par l’intermédiaire de son directeur financier) n’a pas le droit de manipuler l’argent public. Seul le comptable, sur ordre de la collectivité territoriale, peut encaisser ou effectuer un paiement avec l’argent public. Ce principe relève d’une question de contrôle.
  • D’ailleurs, les collectivités territoriales sont soumises à trois types de contrôles externes. «Le payeur départemental contrôle la régularité comptable de chaque dépense de notre budget, indique Matthieu Barbier, directeur des finances du département du Nord. La Chambre régionale des comptes effectue également régulièrement des audits de notre situation financière et analyse nos politiques publiques. Les élus peuvent évidemment également demander des explications sur la pertinence de la dépense publique.» 
  • Enfin, des contrôles sont aussi effectués concernant les aides européennes que les collectivités peuvent recevoir.

 

Les préoccupations des ESG

Les collectivités s’intéressent de plus en plus aux sujets de RSE (responsabilité sociale et environnementale). Ainsi, certaines réfléchissent à des projets locaux dits «verts». «Nous souhaitons développer le concept de Seine à vélo, signale Camille Albert, directrice des finances du département de l’Eure. Pour le financer et pour répondre à la volonté politique de se tourner vers le développement durable, nous avons trouvé judicieux d’émettre des obligations vertes, plus avantageuses que des emprunts bancaires classiques.» Le département de l’Eure a également émis pour la première fois une obligation à taux zéro l’année dernière.

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