Rémunération

Les directions financières composent avec la prime Macron

Publié le 22 février 2019 à 12h07    Mis à jour le 22 février 2019 à 17h07

Alexandra Milleret

Depuis le 11 décembre dernier, les chefs d’entreprise ont la possibilité d’offrir à leurs salariés une prime exceptionnelle exonérée de charges sociales et patronales et totalement défiscalisée. Alors que de nombreuses entreprises ont décidé de jouer le jeu du versement de cette prime, il revient aux directions financières de trouver les fonds nécessaires. Une tâche loin d’être aisée dans certains cas dans la mesure où de telles sorties de cash n’avaient pas été budgétées.

«Une prime désocialisée et défiscalisée, c’est rare, constate Serge Pinaud, directeur des ressources humaines de Siaci Saint Honoré. D’ailleurs, la rubrique de paie sans charge n’existe pas sur le logiciel de paie, c’est dire si l’opération est inédite !» Bon nombre de directions financières en sont arrivés au même constat depuis le 11 décembre dernier. À cette date, et jusqu’au 31 mars, les chefs d’entreprise qui le souhaitent sont en effet autorisés par l’exécutif à verser une prime exceptionnelle à leurs salariés afin de soutenir le pouvoir d’achat des ménages. Cette prime est exonérée d’impôt sur le revenu, de charges sociales patronales et salariales ainsi que de prélèvements sociaux (CSG-CRDS), dans la limite de 1 000 euros par bénéficiaire et uniquement pour les collaborateurs dont la rémunération brute n’excède pas trois fois le Smic (moins de 4 500 euros).

Souhaitant saisir cette opportunité, de nombreuses sociétés ont décidé de mettre en place ce bonus exceptionnel. Alors qu’ils n’étaient que 42 % l’année dernière, 56 % des dirigeants de PME-ETI ont ainsi distribué ou comptent octroyer en ce début d’année une prime à leurs salariés, selon l’Observatoire des PME-ETI réalisé par OpinionWay. Du côté des grands groupes, ils sont 77 % à avoir l’intention de faire de même, selon un sondage réalisé par RH Mercer.

Une décision imposée aux directions financières

Pour certains responsables financiers, ce choix émanant de leur direction générale a parfois surpris.

«Le président de Linagora a annoncé sa décision de verser immédiatement cette prime dans un tweet», illustre Céline Zapolsky, vice-présidente de Linagora, éditeur de logiciels et plateformes open source (9 millions d’euros de chiffre d’affaire en 2016). En effet, jusqu’au 31 janvier dernier, l’octroi de la prime exceptionnelle pouvait être décidé de manière unilatérale par le dirigeant sans accord d’entreprise. «Notre président m’a appelé le soir même de l’allocution d’Emmanuel Macron pour me dire que nous devions verser la prime à nos salariés, se souvient Serge Pinaud. Il a alors demandé à notre directeur financier ce qu’il était possible de faire d’un point vue budgétaire et cette décision a un peu perturbé la direction financière car cette sortie de trésorerie n’était absolument pas prévue ».  Il faut dire que la plupart des chefs d’entreprise se sont montrés généreux avec leurs collaborateurs et que les équipes financières ont rarement eu leur mot à dire. «Si la direction financière a été consultée comme il se doit pour toute dépense significative, la décision finale du montant a été prise par le directeur général», explique-t-on chez Rexel, spécialiste de la distribution de matériel électrique.

Dans la plupart des entreprises concernées, la prime a été calibrée dans la limite autorisée par le gouvernement (trois Smic) et en fonction du contrat de travail de chaque salarié pouvant prétendre au versement de cette prime. «La méthodologie a été assez basique puisque la volonté du président était de distribuer de la façon la plus large possible la prime, indique Dimitri Zapolsky, directeur administratif et financier de Linagora. Il a donc fallu réaliser une identification de la population éligible.»  La direction du groupe Engie, par exemple, a décidé de l’attribution d’une prime exceptionnelle d’un montant de 600 euros pour 41 000 de ses salariés sur un effectif total de 72 000 sur l’Hexagone. Cette rémunération concerne les salariés dont le salaire mensuel brut de base est inférieur à 2 500 euros pour une activité à temps plein, sachant que le salaire minimal des salariés du groupe s’établit à 110 % du Smic. Hermès international, de son côté, versera une prime exceptionnelle de 1 000 euros à tous les collaborateurs ayant perçu en 2018 une rémunération inférieure à trois fois la valeur annuelle du Smic, ce qui représente plus de 7 000 salariés. «Chez Siaci Saint Honoré, il a été décidé de verser 1 000 euros aux salariés touchant une rémunération inférieure à 26 000 euros brut par an et 500 euros pour les salariés percevant entre 26 000 et 40 000 euros par an, explique Serge Pinaud. Le versement de cette prime concerne la moitié des effectifs de notre entreprise, 850 personnes sur 1 500 salariés en France, dont la moitié ont touché en janvier la prime de 1 000 euros.»

Une logique de remerciement

Les PME aussi ont joué le jeu. «Chez Linagora, une prime de 1 000 euros net a été affectée pour les salariés en CDI, 500 euros pour les apprentis ou les personnes sous contrat professionnel de plus de six mois, 250 euros pour les apprentis et les personnes sous contrat professionnel de moins de six mois, détaille Céline Zapolsky. Au total, 100 personnes ont été concernées par la prime exceptionnelle sur environ 200 salariés, soit la moitié de notre effectif.» De quoi aboutir à des budgets finaux conséquents. «Certes, la prime est très avantageuse pour l’entreprise, car elle ne paye aucune charge dessus, admet Serge Pinaud. Pour autant, cet avantage accordé aux salariés porte sur 500 000 euros, un montant substantiel pour un groupe comme le nôtre (350 millions d’euros de chiffre d’affaire en 2017).» Et ce coût peut être beaucoup plus élevé pour les grands groupes : près de 25 millions d’euros par exemple pour Engie.

Qu’à cela ne tienne, ces investissements sont perçus par les dirigeants comme un moyen de remercier leurs collaborateurs pour les efforts fournis.«Notre réussite actuelle est due à l’implication et l’engagement de nos collaborateurs, insiste Alexandre Zapolsky, président et co-fondateur de Linagora. Puisque nous pouvons le faire, il est normal de les récompenser.» Le versement de cette prime exceptionnelle est ainsi considéré comme un véritable bonus offert aux salariés dans certains groupes. «C’est un complément de salaire qui s’ajoute aux accords d’intéressement et de participation précédemment mis en place au sein de notre structure, ajoute Serge Pinaud. La prime ne remplace aucune forme de rémunération.» La plupart de ces entreprises n’hésiteront pas à distribuer une nouvelle prime exceptionnelle, dans la limite de ce que leur budget leur permet, si cela leur était de nouveau permis à l’avenir dans les mêmes conditions.

Des entreprises qui vont plus loin que la prime Macron

Tandis que le gouvernement a strictement encadré le versement de la prime exceptionnelle afin que les entreprises puissent bénéficier d’une désocialisation, certaines d’entre elles n’ont toutefois pas hésité à aller plus loin que la limite autorisée par le gouvernement. Au sein de la société Rexel, spécialiste de la distribution de matériel électrique, le bénéfice d’une prime de 400 euros concerne l’ensemble des salariés basés en France, sans condition de plafond de rémunération. Seule une condition d’ancienneté de 2 mois et de présence au 31 décembre a uniquement été appliquée. Idem chez Total, où la direction générale s’est montrée très généreuse. «Une prime de 1 500 euros a été offerte à l’ensemble des 20 000 salariés du groupe, souligne-t-on chez Total. Cette prime est versée en février sous forme de supplément de l’intéressement versé aux salariés ce qui constitue un très bon supplément de salaire.» Pour certaines entreprises, la prime Macron constitue donc un véritable bonus aux accords d’entreprises déjà mis en place.

Une prime source de conflits

  • Alors que la plupart des salariés ayant reçu une prime exceptionnelle de la part de leur entreprise ont salué cette initiative, d’autres, vivant déjà en interne un conflit social, y ont vu, au contraire, une sorte de provocation de la part de leur direction. C’est le cas par exemple du groupe Groupama dont la direction nationale n’a pas souhaité définir de politique commune à l’ensemble des salariés concernant la prime Macron et a laissé à chaque caisse régionale le soin d’arrêter sa propre politique de rémunération. Ainsi, si certaines caisses ont négocié une prime de 1 000 euros, d’autres n’ont rien obtenu ou d’autres encore n’ont reçu que 165 euros, somme jugée dérisoire par les syndicats.
  • De même, alors que le mutualiste Macif ne promettait aucune augmentation générale à ses salariés, la négociation annuelle obligatoire entre les syndicats et la direction du groupe avait été chamboulée par la révélation en décembre dernier de l’augmentation de 62,5 % du salaire de son président, ce qui avait mis le feu aux poudres. Ainsi, après un mouvement de grève des effectifs, la direction a finalement décidé d’une augmentation générale de 1,4 % applicable au 1er juillet pour tous les collaborateurs du groupe, ainsi que le versement d’une prime de 500 euros net pour les salariés gagnant moins de 30 000 euros bruts annuels et d’un montant de 350 euros pour les salariés gagnant entre 30 000 et 48 000 euros annuels bruts.

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