Les directions financières dans la crise

Prodware préserve sa rentabilité et son cash

Publié le 15 janvier 2021 à 17h20

Propos recueillis par Thomas Feat

Spécialisé dans l’édition et l’intégration de logiciels de gestion, Prodware (188 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2019) a réussi à préserver l’essentiel de son activité dans les semaines ayant suivi le déclenchement de la crise sanitaire. Pour affronter cette dernière, la direction financière de l’entreprise, dirigée par Stéphane Conrard, directeur général délégué, s’est employée à préserver sa rentabilité et sa trésorerie grâce, notamment, à un programme d’économies et à un pilotage plus resserré de son poste clients. In fine, la baisse de son chiffre d’affaires a été circonscrite à 6,1 % sur les trois premiers trimestres de 2020 et devrait être relativement limitée sur l’année entière. Alors que s’ouvre une nouvelle année, Prodware entend bien profiter du regain d’intérêt des entreprises, à la suite de la crise, pour la digitalisation des processus décisionnels et opérationnels. Elle compte par ailleurs saisir l’opportunité offerte par la montée en puissance du SaaS, modèle de distribution délocalisé des progiciels basés sur le cloud.

Comment la crise a-t-elle affecté l’activité de votre entreprise ?

Prodware est un éditeur et un intégrateur de progiciels de gestion intégré (ERP), de logiciels de monitoring de la relation client (CRM) et de solutions digitales de business intelligence (BI). L’entreprise, cotée depuis 2006 sur Euronext Growth, s’adresse aux PME, ETI et filiales de grands groupes de l’industrie, de la distribution et du commerce de détail. En 2019, elle a réalisé 190 millions d’euros de chiffre d’affaires, dont 40 % en France et 60 % dans l’Union européenne, au Royaume-Uni, en Tunisie et en Israël.

A l’étranger, notre activité a été peu affectée par la propagation de l’épidémie de Covid-19 et l’instauration des premier et second confinements. En effet, la grande majorité de nos clients internationaux, très matures sur le plan digital, sont restés pleinement opérationnels durant la crise grâce à leurs outils de gestion collaboratifs. En l’absence d’aides des pouvoirs publics, beaucoup ont été contraints, par ailleurs, de maintenir un certain niveau d’activité.

La situation a été plus problématique en France. Entre mars et juin derniers, près d’un tiers des PME de notre portefeuille n’ont pu travailler, ont décidé de geler provisoirement l’optimisation de leurs systèmes d’information ou se sont trouvées dans l’incapacité de coordonner à distance l’implémentation de nouveaux services informatiques. De ce fait, notre chiffre d’affaires global s’est contracté de 6,1 % sur les trois premiers trimestres, à 118 millions d’euros. Sur toute l’année 2020, la baisse de nos revenus devrait rester limitée, ce qui constitue une performance très honorable compte tenu de la violence de la crise.

Quelles mesures l’entreprise et sa direction financière ont-elles mises en place pour y faire face ?

Du point de vue organisationnel, des comités de gestion de crise ont été institués dès le mois de mars dans chacun de nos 13 pays d’implantation. Depuis bientôt dix mois, ceux-ci font remonter les informations du terrain une fois par semaine à notre comité de direction groupe.

Sur le plan financier, nous nous sommes efforcés, premièrement, de préserver notre rentabilité. Pour ce faire, nous avons d’abord tâché de réduire notre masse salariale, notre premier poste de coûts devant les frais de déplacement. Au deuxième trimestre, environ 30 % à 45 % de nos effectifs français ont bénéficié du chômage partiel, tandis que les recrutements et les reconductions de CDD, soit 6 à 8 % de nos charges de personnel, ont été gelés. Nous avons également obtenu des reports de paiement de charges locatives auprès de nos bailleurs. Nous avons veillé, enfin, à contenir nos charges externes. Ainsi, au troisième trimestre, nous avons limité très fortement le recours à la sous-traitance pour suppléer nos équipes dans le déploiement ou la maintenance des solutions, aux conseils juridiques ou financiers, ou encore aux prestataires de services de sécurité qui assurent la garde de nos locaux. Grâce à ces mesures, notre Ebitda et notre résultat opérationnel courant ont progressé de respectivement 7 % et 7,7 % au premier semestre, à 23,9 et 7,8 millions d’euros.

Toujours en matière financière, nous avons œuvré, secondement, à l’amélioration du pilotage et à la sauvegarde de notre trésorerie. Depuis mars, un rapport sur les positions de cash de l’entreprise est envoyé quotidiennement à la direction financière et à la direction générale, au siège. Avant la crise, celui-ci était élaboré deux fois par semaine. Ce rapport se présente sous la forme d’un fichier Excel mettant en lumière plusieurs indicateurs relatifs aux encaissements et décaissements du groupe par pays ou par secteurs. Il s’accompagne d’un rolling forecast sur trois mois et d’un budget prévisionnel révisé.

Dans le cadre de l’optimisation du pilotage de notre poste clients, nous avons durci notre politique commerciale. Depuis le printemps dernier, nous demandons systématiquement à nos nouveaux clients 50 % d’acompte avant toute prestation. En outre, nous restreignons l’accès à notre service de maintenance en cas de retard de paiement au-delà de 60 jours.

Afin d’augmenter nos liquidités disponibles, l’entreprise et ses actionnaires ont pris par ailleurs la décision de ne pas verser de dividendes et de bonus au titre de l’année 2019. Cela nous a permis de dégager un supplément de ressources de 1,2 million d’euros en 2020.

Un temps sur la table, l’option d’un prêt garanti par l’Etat (PGE) de 5 à 10 millions d’euros a été, quant à elle, rapidement écartée. En effet, souscrire un tel financement nous aurait placés en situation de bris de covenant par rapport à nos investisseurs Euro-PP et nous aurait contraints à solliciter un waiver, ce que nous ne souhaitions pas. A la place, nous avons décidé d’utiliser au maximum les outils de dette à court terme mis en place avec nos partenaires bancaires, tels que des cessions Dailly, des facilités de caisse et des billets de trésorerie. En 2020, ces instruments nous ont permis de dégager des ressources de trésorerie disponible supplémentaires de quelques dizaines de millions d’euros, pour un coût d’environ 400 000 euros.

Comment votre direction financière a-t-elle travaillé depuis l’instauration du premier confinement ?

Au global, environ 80 % de nos fonctions finance ont télétravaillé. Quoique tous nos collaborateurs soient habituellement présents dans nos locaux, nous n’avons eu aucun mal à déployer le travail à distance. En effet, chaque salarié dispose d’un ordinateur portable et peut s’appuyer sur le module financier de notre ERP, totalement collaboratif, pour obtenir les données et documents dont il a besoin.

Néanmoins, comme 20 à 30 % des factures que nous émettons en France sont réglées en chèque, nous avons organisé une à deux fois par semaine, durant le premier confinement, la venue au siège de membres de notre service comptabilité afin que ceux-ci réceptionnent ces paiements. Il va sans dire que cette spécificité est propre à la France, puisque ailleurs tous les paiements sont numériques.

Comment votre entreprise aborde-t-elle l’année 2021 ?

La crise et le travail à distance imposé ont mis en lumière la praticité de la digitalisation et ses bénéfices en matière de productivité. Or, beaucoup de PME et d’ETI françaises accusent aujourd’hui du retard en matière d’adoption d’outils numériques. Nous anticipons donc une hausse des besoins dans les prochains mois, à condition, bien entendu, que la crise laisse des marges de manœuvre budgétaires aux entreprises.

En 2021 et au-delà, la montée en puissance du SaaS, méthode de distribution délocalisée des logiciels par le biais d’Internet, va se poursuivre. En effet, un nombre croissant d’entreprises optent pour cet accès à distance plutôt que pour l’installation des solutions sur leurs propres ordinateurs, dite « on premise ». Grâce au SaaS, elles évitent des coûts d’intégration et de maintenance élevés, et bénéficient immédiatement des mises à jour. Cette dynamique devrait être particulièrement prégnante en France, pays dans lequel beaucoup de sociétés n’ont pas encore sauté le pas.

Quels seront vos principaux chantiers au cours des prochains mois ?

Nous continuerons à faire évoluer notre business model de telle sorte que 50 % de notre chiffre d’affaires émane des solutions Saas d’ici trois ans, contre 25 % aujourd’hui. Corollaire de ce changement, nous nous doterons d’outils et de méthodologies prévisionnels plus à même de nous permettre d’anticiper des variations périodiques de chiffre d’affaires plus importantes qu’auparavant.

En effet, alors que les entreprises dont les progiciels sont installés in situ paient communément des licences d’exploitation une fois par an à date fixe et s’engagent à utiliser un nombre invariable de licences, celles qui recourent au Saas peuvent faire évoluer d’un mois à l’autre le périmètre de leurs logiciels, diminuer ou augmenter périodiquement le nombre de licences qu’elles utilisent, voire suspendre provisoirement leurs contrats. S’il est relativement simple de bâtir des anticipations de rentrées de cash sur la base de contrats « on premise », plus réguliers, cela l’est beaucoup moins dans le cas du SaaS.

Pour être en mesure de faire face à ces variations, nous devrons sécuriser de nouvelles ressources financières de court terme.

Enfin, le groupe entend déployer le télétravail de façon pérenne, quels que soient les services. Cette mesure fera l’objet de négociations entre la direction et les organisations représentatives du personnel. Elle devrait déboucher rapidement sur des économies de loyer substantielles. En année pleine, l’entreprise pourrait économiser jusqu’à 500 000 euros, soit plus de 20 % de ses charges locatives annuelles, de 2,4 millions d’euros. En plus d’accroître le bien-être de nos collaborateurs, le télétravail constitue donc une belle opportunité financière pour le groupe. 

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