Comment travaillent ...

Les directeurs financiers du secteur des télécommunications

Publié le 15 février 2013 à 11h47    Mis à jour le 24 juin 2014 à 11h33

Morgane Remy

Longtemps vanté pour ses marges confortables et la régularité de ses revenus, le secteur des télécoms a connu en 2012 une année particulièrement mouvementée avec l’arrivée de nouvelles offres qui ont tiré les prix vers le bas dans la téléphonie mobile. les directions financières ont dû s’adapter à cette nouvelle donne, en dégageant les ressources nécessaires pour investir et se démarquer de leurs concurrents.

Pour le secteur des télécoms, l’arrivée de Free dans la téléphonie mobile en janvier 2012 a fait l’effet d’une bombe. «Nous avions annoncé dès 2009 que nous souhaitions diviser par deux les prix du mobile en France, rappelle Thomas Reynaud, directeur général délégué d’Iliad, maison-mère de Free. Puis jusqu’au lancement le 10 janvier 2012, nous avons conservé un maximum de discretion sur nos intentions et notre politique commerciale.» Aucun opérateur n’avait alors envisagé que le nouvel entrant puisse proposer des forfaits à 2 et 19,99 euros – voire à 0 et 15,99 euros pour ses abonnées à Internet – tout en restant rentable. «Les prix de ces  forfaits ont véritablement tiré l’ensemble des tarifs vers le bas», témoigne Cécile Bienvenu-Luc, directeur administratif et financier de Virgin mobile, un opérateur «full MVNO», c’est-à-dire, qui possède son cœur de réseau télécom mais achète du trafic à prix de gros aux opérateurs qui en possèdent pour les revendre à ses clients. En effet, selon l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (Arcep), le revenu des communications de téléphonie mobile a baissé, au troisième trimestre 2012, de 12,6 % sur un an. Or la téléphonie mobile ne représente rien de moins que la moitié des revenus globaux des opérateurs. En conséquence, les grands opérateurs historiques ont vu leur chiffre d’affaires diminuer sensiblement en 2012 (voir encadré), ce qui conduit leur direction financière à monter en puissance, afin de préserver au mieux la rentabilité d’entreprises habituées jusqu’alors à des marges dépassant parfois les 40 % !

Une guerre des prix

Face à l’offensive sur les prix de Free, la première riposte des opérateurs traditionnels consiste à mettre en place de nouvelles offres à bas coût, sur un mode de fonctionnement proche de celui des offres Free Mobile. Pour proposer un prix plus attractif, certains services ne sont pas accessibles aux clients, comme la subvention lors de l’achat d’un téléphone, le prêt d’un terminal en cas de réparation, le conseil en magasin… Orange a ainsi créé un service baptisé Sosh, SFR a lancé Red puis Joe Mobile, et Bouygues Telecom a initié B&You, tous disponibles sur Internet. «En règle générale, lorsque nous élaborons un forfait «classique»  nous nous fixons comme objectif qu’il génère une marge en proportion du coût d’acquisition, explique Eric Haentjens, directeur financier de Bouygues Telecom. Mais pour les offres de B&You, nous avons du changer notre modèle économique pour pouvoir concurrencer Free.»

En parallèle, afin de limiter la fuite de leurs abonnés vers les offres «low cost», les forfaits classiques des opérateurs ont également subi une contraction de leurs tarifs. «Nous voulons être compétitifs à la fois sur le marché des offres low-cost et sur celui des offres complètes avec terminal subventionné, explique Etienne du Vignaux, directeur financier de SFR. Nous avons ainsi concédé, le mois dernier, une baisse allant jusqu’à 10 euros sur ces dernières.»Pour tous les opérateurs, ce travail de refonte du contenu des abonnements et de leurs tarifs a fait l’objet d’une collaboration étroite entre commerciaux et financiers.«De son côté, la direction du marketing détermine les éléments qui rendront l’offre compétitive sur le marché, précise Eric Haentjens. Nous en analysons ensuite la rentabilité, en fonction de trois critères principaux, le coût d’acquisition du client, le prix de l’abonnement et une estimation de sa fidélité.» Ces échanges se poursuivent pendant plusieurs mois afin de trouver un prix d’équilibre satisfaisant. La direction financière veille ensuite de façon continue à la profitabilité du produit. «Nous suivons de très près nos offres grâce à un système de comptabilité analytique, ce qui nous permet de prendre des actions correctrices si nécéssaire», explique Xavier Pichon, directeur finances et contrôle de gestion d’Orange France. En parallèle, pour tenter d’endiguer cette baisse de prix, les opérateurs essaient de proposer de nouvelles prestations qui justifient une augmentation du montant de l’abonnement. C’est une des raisons pour lesquelles ils se lancent aujourd’hui dans l’accès à la «4G» – la quatrième génération de réseaux mobiles – qui permet notamment d’utiliser Internet plus rapidement. France Télécom envisage ainsi une hausse comprise entre 5 et 10 euros pour les forfaits proposant un accès à ce réseau.

De lourds investissements

Toutefois, cette stratégie de différenciation technologique dans un marché devenu extrêmement concurrentiel nécessite des investissements massifs. «Bouygues Telecom a dépensé plus de 900 millions d’euros sur 3,6 milliards d’euros dépensés par les trois opérateurs pour acquérir les fréquences nécessaires à la 4G», rappelle Eric Haentjens. A ce coût s’ajoute celui du nouveau matériel de diffusion qu’il faut mettre en place. Une problématique qui concerne également les activités de téléphonie et d’Internet fixes, dans le cadre du développement de la fibre optique. Celle-ci permet de charger plus de données beaucoup plus rapidement mais nécessite de créer un réseau parallèle à celui de câbles en cuivre actuellement utilisé. «Pour nous, il est important d’investir dans la fibre car quand nous louons le réseau d’Orange, cela coûte environ 10 euros par forfait ADSL et par mois», explique Etienne du Vignaux. Toutefois, l’opérateur historique a lui-même investi 2 milliards d’euros sur cinq ans pour son réseau.

Pour financer ces chantiers, les opérateurs privilégient historiquement l’utilisation de leur cash-flow. Pour des entreprises en croissance, comme Iliad, cela ne pose pas de difficultés particulières. «Nous sommes dans une phase de transformation importante avec chaque année entre 35 et 50% de notre chiffre d’affaires consacrés aux investissements réseau, précise Thomas Reynaud. Ce qui implique toutefois de procéder à des arbitrages : notre politique de distribution de dividendes est très modeste, afin de consacrer un maximum de ressources financières à la croissance et l’avenir de la société.» Mais tous les opérateurs ne bénéficient pas d’une telle marge de manœuvre. Leur revenu moyen total sur le marché de détail a en effet reculé de 4,5 % sur les trois premiers trimestres de 2012, réduisant d’autant leurs ressources. «Avant le bouleversement du marché, c’est-à-dire jusque 2011, notre cash-flow permettait de financer nos investissements, les impôts et les dividendes, souligne Eric Haentjens. Nous souhaitons retrouver cet équilibre. Mais, pour le moment, comme il est impensable de rogner sur les investissements nécessaires à notre compétitivité future, nous travaillons à l’amélioration de notre structure de coûts.»Bouygues Telecom a ainsi commencé par monétiser certains actifs, notamment une partie de son infrastructure.«Nous avons cédé les pylônes sur lesquels sont placées nos antennes-relais à France Pylônes Services, une société créée pour l’occasion, majoritairement détenue par le fonds Antin Infrastructure Partners, explique Eric Haentjens. Nous conservons, pour notre part, 15 % du capital.» L’opération, qui a rapporté 200 millions d’euros à l’opérateur, pourrait susciter des vocations. «Après les exemples récents en Europe en 2012 - Bouygues Telecom en France mais aussiTelefonica en Espagne et E+ en Allemagne -, nous pensons que d’autres opérateurs vont éventuellement souhaiter se séparer de leurs actifs, juge Benoît Mérel, directeur général délégué et directeur administratif et financier de TDF. S’ils en expriment le besoin, nous sommes candidats pour leur faire une offre de rachat ou de partenariat en fonction du niveau d’externalisation souhaitée et de mutualisation envisagée.»

Une optimisation des coûts de fonctionnement

Toutefois, à l’heure actuelle, la stratégie la plus répandue reste néanmoins celle d’une optimisation des coûts de fonctionnement. Chez Bouygues Telecom, un programme a été mis en place en 2012 et durera jusqu’en 2014. «Nous avons déjà réussi à réaliser 150 millions d’euros d’économies en 12 mois, et nous visons 300 millions d’euros sur 2013», poursuit Eric Haentjens. Mais pour atteindre cet objectif, l’opérateur a notamment mis en place un plan de départ volontaire de 560 personnes. Chez SFR, la démarche est significativement la même : la filiale de Vivendi s’est engagée à dégager 500 millions d’euros d’économies d’ici à 2015, ce qui ne va pas sans difficultés. La direction financière a revu tous les coûts à la baisse et a fixé de nouveaux objectifs à chacune des directions. En outre, un plan de réduction des effectifs concernant plus de 800 personnes a également été initié. «Ce sont surtout les fonctions supports qui sont touchées, y compris la direction financière, et ce malgré le travail liée au pilotage de notre plan d’économies, précise Etienne du Vignaux. Nous devons donc adapter non seulement notre organisation mais aussi nos modes de fonctionnement. Par exemple, nous avons des échanges avec les services de l’Arcep afin de revoir leurs demandes de reporting, l’idée étant de ne maintenir que ce qui est vraiment essentiel et de réduire la charge des équipes financières de façon significative.» Chez Bouygues Telecom, les reportings internes ont été, pour leur part, allégés. Ainsi, la direction financière suit toujours les ventes de B&You quotidiennement, mais a abandonné les remontées mensuelles d’information sur les investissements pour préférer un rythme trimestriel. Société sous LBO, Numéricable a pour sa part déjà adopté ces méthodes. «Notre structure de coûts est faible par rapport à nos concurrents, rappelle Thierry Lemaître. Nous avons un effectif «ramassé», avec peu d’échelons hiérarchiques, ce qui permet de prendre des décisions rapidement dans un secteur où le pilotage financier s’effectue à la quinzaine et non au mois. Nous sommes également capables de prévoir assez finement  le résultat des deux mois à venir et nous ajustons en conséquence nos dépenses de communication chaque mois pour satisfaire nos objectifs financiers.» Ainsi, lors des périodes concentrant un grand nombre de nouveaux abonnements, qui génèrent des frais d’installation chez les clients, les actions de publicité et de marketing diminuent afin d’équilibrer le budget mensuel.

Une pression accrue sur les fournisseurs

Mais le principal levier d’optimisation sur lequel jouent les opérateurs reste celui de la pression sur leurs fournisseurs… y compris quand ces derniers sont eux-mêmes des opérateurs ! Alors que Virgin Mobile dépendait uniquement du réseau d’Orange, pour ses propres activités, il fait désormais appel, en parallèle, à un nouvel opérateur. Alors que Virgin Mobile dépendait historiquement uniquement du réseau d’Orange, pour ses propres activités, il fait désormais appel, en parallèle, à un nouvel opérateur. «Nous avons signé en 2011 un contrat avec SFR, ce qui nous a permis de créer une concurrence entre nos principaux fournisseurs et de faire baisser le montant de notre poste budgétaire le plus important», explique Cécile Bienvenu-Luc.

Mais, dans la majorité des cas, ce sont surtout les partenaires techniques qui subissent l’onde de choc provoquée par Free. «Les opérateurs continuent de profiter de marges confortables, même si ces dernières sont passées de 40 % à 30 % en moyenne, précise le directeur financier d’un équipementier. Mais pour les préserver au maximum malgré l’érosion de leur chiffre d’affaires, ils font pression sur nous.» Les fournisseurs historiques de matériels se retrouvent dans une situation inconfortable, d’autant plus qu’ils subissent désormais la concurrence des entreprises chinoises comme Huawei ou ZTE, qui proposent des prix inférieurs d’au moins 35 % à ceux du marché. De son côté, TDF a décidé d’agir avant de perdre en rentabilité. Le groupe offrait, jusqu’à il y a peu, deux types de services : l’entretien du réseau et la location des tours de diffusion et des matériels les occupant.«Nous avons décidé de nous concentrer sur le déploiement et l’exploitation de tours et de points hauts, poursuit Benoît Mérel. Pour ce qui est de l’activité maintenance, les exigences des opérateurs ne nous permettaient plus d’être rentables. Nous avons donc cédé, en décembre dernier, cette activité à notre concurrent Scopelec.»

Pour l’instant, même si la chute des prix provoquée notamment par l’arrivée de Free Mobile a eu des conséquences sur l’ensemble du secteur et s’est répercutée sur chaque échelon de la filière, les efforts des directions financières ont permis de limiter les dégâts. Mais la principale interrogation qui demeure est celle de savoir jusqu’où ira cette baisse, qui ne peut être qu’estimée. «Selon les analystes, le marché mobile en France perdra l’équivalent de 3 milliards d’euros de chiffre d’affaires sur les trois prochaines années», avance Xavier Pichon. Les entreprises doivent donc s’attendre à faire encore plus d’efforts – de nombreuses rumeurs de concentration sur le marché ont circulé dernièrement – et espérer que la montée en gamme, grâce à la 4G et la fibre, suffise à faire remonter les prix payés par des consommateurs pour les services de télécommunications.

Pour financer les investissements, les opérateurs privilégient l’obligataire

A la recherche de financements pour les investissements, les sociétés du secteur des télécoms ont renforcé leur appel aux investisseurs obligataires.

C’est notamment la stratégie suivie depuis plusieurs années par France Télécom. «Comme notre activité est fortement capitalistique, nous devons rembourser entre quatre et cinq milliards d’euros de dette par an. Nous nous refinançons à l’avance de manière opportuniste, très majoritairement par des émissions obligataires, témoigne Gervais Pellissier, directeur général délégué et directeur financier de France Télécom-Orange. Cette solution est bien moins coûteuse pour nous que des prêts bancaires puisque ces établissements se financent à des taux souvent supérieurs aux nôtres. Nous ne recourrons aux crédits que pour des projets spécifiques, des financements relais ou des lignes de back-up.»

• Mais si par sa taille et la présence de l’Etat à son capital, France Télécom peut facilement avoir accès à ce marché, l’entreprise est loin d’être la seule à y recourir. Ainsi, en 2011, Iliad a mené une émission obligataire inaugurale d’un montant de 500 millions d’euros, pour un coupon de 4,875 %, et arrivant à échéance le 1er juin 2016.

• Sous LBO, Numéricable a également recouru au marché high yield pour la première fois en février 2012 puis à nouveau en octobre. L’opération s’est menée en deux étapes, afin de tester l’appétit des investisseurs. «Pour lisser le profil de remboursement de notre dette LBO tout en continuant de financer notre développement dans la fibre -  qui a déjà fait preuve de son retour sur investissement puisque nous avons recruté  40% de clients supplémentaires au dernier quadrimestre 2012 par rapport à 2011- nous avons eu recours au marché obligataire, explique Thierry Lemaître, directeur financier de Numéricable et Completel. Après une première émission de 360 millions au taux de 12,375%, un coupon élevé en raison de notre statut de primo-accédant, nous avons pu lever 500 millions d’euros en octobre dernier, à 8,75% auprès d’un grand nombre d’investisseurs. Cette démarche leur a permis de mieux appréhender notre modèle et a entraîné une baisse de la prime de risque avec laquelle les investisseurs consentent dorénavant à nous prêter.»

Les chiffres-clés du secteur

• Dans les services de communications électroniques, on distingue quatre segments en 2011 :

1 - les services mobiles représentant 20,3 milliards d’euros ;

2 - les services fixes bas débit représentant 7,1 milliards d’euros ;

3 - les services fixes haut débit et très haut débit représentant 9,7 milliards d’euros ;

4 - les services fixes de capacité (liaisons louées et transport de données) représentant 3,7 milliards d’euros.

• Le secteur des communications électroniques a investi 7,9 milliards d’euros, soit 2 % de l’investissement global national.

• Il représente, en France, 128 000 emplois directs en 2011.

• Au deuxième trimestre 2012, le partage de SMS a progressé de 23,1 % en un an et l’échange de données – comme l’utilisation d’Internet sur smartphone – a bondi de… 70 %.

Source : Arcep 2011

Des chiffres d’affaires directement corrélés à la performance sur le marché mobile

• Le chiffre d’affaires de Bouygues Telecom a enregistré un recul de 8 % à 3,951 milliards d’euros sur les neuf premiers mois de 2012, principalement dû à l’accélération de la baisse du chiffre d’affaires du réseau mobile qui se confirme au troisième trimestre.

•  Sur la même période, le chiffre d’affaires de SFR s’établit à 8,508 milliards d’euros, en diminution de 6,9 % par rapport aux neuf premiers mois de 2011, en raison de l’impact progressif sur sa base d’abonnés des baisses de prix liées, notamment, au contexte concurrentiel.

• Chez France Télécom, l’érosion du chiffre d’affaires consolidé est limitée à – 0,5 % (– 2,1 % sur le marché français). La baisse des ventes de forfaits a en effet été partiellement compensée par les contrats d’itinérance, notamment celui conclu avec Iliad, qui permet à Free d’utiliser le réseau d’Orange.

• Free voit son chiffre d’affaires augmenter de 53 % au troisième trimestre, pour s’établir à 2,263 milliards d’euros sur les neufs premiers mois de 2012. Une croissance qui est principalement due à sa progression sur le marché mobile.

L'info financière en continu

Chargement en cours...

Dans la même rubrique

Les cabinets d’audit structurent des pôles dédiés à l’ESG

Si les cabinets d’audit et de transaction services se positionnent depuis quelques années sur les...

Les compliance officers tendent à se spécialiser

Portés par les évolutions réglementaires liées à la conformité, les spécialistes de la compliance...

Banques : comment bien faire évoluer les salariés fidèles

Le temps où l’on entrait dans un groupe bancaire à 20 ans pour y mener l’ensemble de sa carrière...

Voir plus

Chargement en cours...