Innovation for Finance

Financement de l’économie et des entreprises

Publié le 7 juillet 2023 à 11h25

Bien qu’elles aient fait preuve de résistance pendant plusieurs mois, notamment grâce aux dispositifs de soutien mis en place par le gouvernement, les trésoreries des entreprises commencent à faiblir sous la pression inflationniste et le retour à la hausse des taux d’intérêt, faisant ressurgir le spectre des défaillances d’entreprises. Dans ce contexte, les entreprises cherchent des solutions de financement à court, moyen et long termes pour financer aussi bien leur besoin en fonds de roulement que leurs investissements.

Le contexte géopolitique a, ces derniers mois, exacerbé l’environnement de risque dans lequel les entreprises évoluent. « Depuis le 24 février 2022 et l’invasion de l’Ukraine par la Russie, Coface a procédé à 30 déclassements pays et à 135 déclassements de secteurs pour une poignée seulement de reclassements dans le cadre de son évaluation des risques pays, analyse Jean-Christophe Caffet, chef économiste chez Coface. Cependant, tous les risques que nous avons pu identifier depuis le début de la guerre en Ukraine ne se sont pas matérialisés. » Pour 2023 et 2024, Coface identifie trois risques principaux. « Le risque énergétique d’abord, même si nous sortons de l’hiver sans trop de casse en Europe, précise Jean-Christophe Caffet. Le risque inflationniste ensuite. Certes, aujourd’hui il est en baisse. Cependant cette baisse est liée à la stabilisation puis à la baisse des prix de l’énergie constatée à partir de l’été 2022. Or, l’inflation sous-jacente, elle, ne baisse pas. Le risque de tour de vis monétaire excessif enfin, liés aux risques précédents. A cela s’ajoutent les risques géopolitiques, sociaux, etc.

L’économie française fait preuve de résilience

Pour 2023/2024, Coface défend donc le scénario qui associe croissance molle quasi nulle et inflation toujours forte dans les pays développés, avec un risque non négligeable de basculer vers une récession où la croissance en valeur serait quasi nulle. En France, l’activité a certes ralenti en 2022, mais continue néanmoins de progresser. « Elle est même 1 point de PIB au-dessus de ce que nous avons connu au T4 2019 », souligne Benjamin Delozier, chef du service compétitivité, innovation, développement des entreprises à la direction générale des entreprises. L’emploi salarié est pour sa part plus dynamique que l’activité, en partie grâce à l’apprentissage. L’investissement progresse également, de même que le taux de marge et le climat des affaires. « Dans les entreprises, la situation est d’ailleurs globalement meilleure en termes d’évolution du chiffre d’affaires, analyse Frédéric Visnovsky, médiateur national du crédit aux entreprises et vice-président de l’Observatoire des délais de paiement. Les excédents bruts d’exploitation ont augmenté. Le taux de marge, qui avait fortement augmenté en 2021, s’est moins réduit que prévu en 2022. L’endettement a également été maîtrisé en 2020/2021. Certes, il y a une baisse de la trésorerie fin 2022, début 2023, mais nous avons une forte augmentation de l’endettement en 2022 qui résulte notamment de la dynamique d’investissement. »

Vers une baisse attendue des niveaux de marge

Malgré la pression inflationniste et l’augmentation des prix des intrants, les taux de marges n’ont donc pas diminué, en particulier aux Etats-Unis et, depuis le deuxième semestre 2022, en Europe. « C’est le signe qu’il y a eu du pricing power et qu’il y a eu transmission de la hausse des prix des intrants aux prix à la consommation, voire même des comportements opportunistes dans certains secteurs de la part de certaines entreprises », précise Jean-Christophe Caffet. Selon un rapport sur la situation des entreprises face aux crises, publié par l’Observatoire des délais de paiement en mai dernier, le « quoi qu’il en coûte » et le soutien public massif ont ainsi largement contribué à maintenir l’activité et l’emploi des entreprises.

Cette situation n’est cependant pas durable. « Nous devrions désormais connaître une contraction des marges car nous allons avoir un ralentissement des gains de productivité, une croissance soutenue des salaires réels, des taux d’intérêt élevés – les marges d’autofinancement vont donc baisser », ajoute Jean-Christophe Caffet.

La hausse des taux va peser sur les trésoreries

En effet, si globalement, la situation est bonne pour les entreprises, ces dernières vont néanmoins devoir faire face à un ralentissement attendu de la croissance et à la hausse des taux d’intérêt. Parallèlement, elles sont également confrontées à des enjeux de recrutement et doivent accélérer leur transition énergétique et digitale. Autant d’éléments qui devraient mettre les trésoreries sous pression. « Dans les impacts pour le financement des entreprises, il faut bien distinguer l’impact du taux qui a augmenté de 3,5 % en un peu plus de 12 mois et l’accès à la liquidité, précise pour sa part Daniel Biarneix, président de l’AFTE. Il convient néanmoins de relativiser ce contexte. En effet, les grandes entreprises sont majoritairement financées par de l’obligataire à long terme à taux fixe. La hausse des taux pour ces entreprises n’intervient donc que très progressivement au fur et à mesure qu’elles devront aller sur le marché pour se refinancer. A l’inverse, les PME, majoritairement financées par le crédit bancaire, qui est à taux variable, sont en théorie exposées. » La réalité est quand même un peu plus nuancée puisque la plupart de ces entreprises ont mis en place des dérivés sur leur financement à taux variable pour revenir à taux fixe et couvrir une partie de leurs expositions. Cela donne le temps aux entreprises de s’adapter à cette évolution de l’environnement financier.

Pas de réelles difficultés d’accès aux liquidités

Si la trésorerie ne représente pas la liquidité d’une entreprise, elle en est néanmoins un élément. « Ce qui différencie la liquidité de la solvabilité, c’est la temporalité : la solvabilité s’inscrit dans une approche plutôt à moyen terme tandis que la liquidité correspond à une situation vraiment à très court terme, rappelle Alain Luminel, responsable du pôle expertise financière d’Ellisphere. Lorsque nous analysons une entreprise, nous le faisons au travers de deux piliers : d’une part, la génération de cash générée par l’entreprise et si ce cash est suffisant par rapport au modèle économique de l’entreprise, à son secteur d’activité et à son intensité capitalistique ; d’autre part, la liquidité dont le niveau est analysé selon différents ratios : liquidité générale, liquidité réduite (sans les stocks) et liquidité réduite d’exploitation. Sur les bilans 2020, 2021, nous avons ainsi constaté que les risques de liquidité étaient souvent écartés, notamment sous l’effet des PGE. Tout l’enjeu aujourd’hui consiste à savoir si cette résilience à la liquidité sera toujours effective sur 2023 et sur 2024. » Aujourd’hui, le risque est surtout orienté sur les TPE, qui représentent la majorité des défaillances en France et dont un certain nombre ont ces derniers mois été soutenues par le PGE. Un risque sur lequel il convient de rester vigilant au regard de l’impact de ces défaillances sur l’emploi, mais également sur la chaîne de sous-traitants pour certaines entreprises.

Récession en 2024

Pour 2024, le risque de récession est bien présent. « Il va dépendre des chocs géopolitiques latents, des risques matérialisés (Ukraine) et non matérialisés (Taïwan), des choix politiques qui seront faits dans nos économies avancées pour faire face à ce nouveau monde », poursuit Jean-Christophe Caffet. Certes l’inflation peut très bien disparaître à court terme si les banques centrales, très attachées à leurs objectifs, font leur travail, mais elle reviendra. Ce qui est également inquiétant, c’est le nombre de conflits d’objectifs entre politique budgétaire et politique monétaire qui peuvent exister aujourd’hui et auxquels font face les pouvoirs publics. Il existe également un autre conflit d’objectifs au sein de la politique monétaire : le maintien de taux durablement élevés heurte en effet de plein fouet les objectifs de transition énergétique. « Pour le moment, nous assistons, au-delà du renchérissement du crédit et de la contraction des offres, au durcissement des conditions d’octroi de crédit. Les financements des investissements devraient en pâtir », souligne Jean-Christophe Caffet.

Le financement des entreprises se complexifie

Le financement des entreprises est d’ailleurs un peu plus difficile aujourd’hui qu’il y a un an. « Le taux d’intérêt a augmenté, et la pression sur le compte de résultat et sur la capacité d’autofinancement est donc plus forte aujourd’hui, précise Jérôme Michiels, executive vice president, CFO de Wendel SE. Néanmoins, les entreprises restent dans des situations assez favorables en termes de financement, puisqu’elles ont pour la plupart bénéficié d’un environnement de taux d’intérêt très faible pendant très longtemps et se sont donc financées à bon compte, souvent avec des maturités assez longues. Pour le moment, nous n’avons pas encore vu de risques de refinancement matériel arriver, ce qui va néanmoins certainement se produire dans les mois qui viennent. D’ailleurs les banques sont plus vigilantes sur l’octroi de crédit tandis que les marchés financiers ne sont pas prêts à prendre du risque sur les entreprises dont la notation est moins bonne. » 

Les entreprises pourraient néanmoins être contraintes de faire appel aux marchés financiers car elles auront des problématiques de refinancement à gérer. Concernant le financement court terme, les entreprises mobilisent davantage le crédit fournisseur ou crédit inter-entreprises (700 milliards d’euros aujourd’hui) que les marchés ou les banques directement (150 milliards d’euros). Dans ce contexte, l’assurance crédit trouve tout son sens. « Les entreprises se tournent vers l’assurance crédit pour obtenir des données sur la solvabilité de leurs partenaires commerciaux et prévenir le risque d’impayés, précise Carine Pichon, directrice générale France et Europe de l’Ouest de Coface. Beaucoup d’entreprises se tournent également vers l’assurance crédit à la demande de leurs banques ou établissements financiers, donc pour avoir accès à du financement en plus grande quantité et pour optimiser le coût de ce financement auprès de leurs banques. »

Le private equity, levier de financement de l’économie réelle

Le private equity reste également un acteur clé du financement des entreprises. Il est désormais incontournable pour les entreprises qui souhaitent s’adapter aux défis d’aujourd’hui et de demain.

L’année 2022, bien que fortement perturbée, a d’ailleurs été très active pour les professionnels du capital-investissement. Le premier semestre s’est inscrit dans la même lignée que 2021, avec une croissance de l’activité portée par le rattrapage post-Covid, suivi d’une inflexion au deuxième semestre en raison des effets macroéconomiques et du climat d’incertitude. « Néanmoins, en 2022, nous avons injecté, toute classe d’actifs comprise (capital-investissement, infrastructures et dette privée) pas loin de 50 milliards d’euros dans l’économie et levé à peu près autant, témoigne Alexis Dupont, directeur général de France Invest. Aujourd’hui nos adhérents gèrent un peu plus de 400 milliards d’euros. Nous accompagnons 9 300 entreprises dont 7 500 en France, 80 % de PME, 20 % d’ETI. Nous sommes une source de financement en fonds propres majeure des entreprises françaises. La France occupe d’ailleurs la première place de l’Europe continentale en capital-investissement ». « Aujourd’hui, les capitaux peuvent être levés assez facilement au Moyen-Orient, encore beaucoup en Asie et plus difficilement aux Etats-Unis ou en Europe, parce que les fonds de pension et les compagnies d’assurances ont des difficultés ou bien ont des bilans un petit peu affaiblis, précise pour sa part Jérémie Delecourt, chief operating officer chez Ardian. D’autre part, toutes les expertises du private equity ne sont pas traitées à la même enseigne. Par exemple nous avons de la dette privée qui prend le pas sur les banques. Les banques sont en train de se retirer du crédit, mais les fonds privés prennent leur place auprès des PME. Nous avons également des activités comme des infrastructures qui arrivent à lever de l’argent encore assez facilement et qui ne rencontrent donc pas les mêmes difficultés que les fonds d’investissement direct en bail-out, en expansion. » En 2023, les levées vont être un peu plus compliquées. Les investisseurs institutionnels n’ont pas changé ; par contre, leurs contraintes ne sont pas les mêmes.

Les attentes des investisseurs

Le private equity a pour vocation première d’apporter des capitaux aux entreprises. « Nous le faisons au travers de notre capacité à faire le tour du monde pour aller trouver de l’argent et à aider les dirigeants d’entreprises à négocier leur crédit bancaire. Le monde tend par ailleurs à aller vers un actionnariat plus responsable, poursuit Jérémie Delecourt. Or, le private equity propose d’être un actionnaire engagé auprès des patrons d’entreprises. » Concernant les attentes des investisseurs, elles continuent à être en premier lieu focalisées sur la performance financière. « Quand tout va bien, quand les marchés et les valorisations sont en hausse, quand il y a beaucoup de liquidités, on fait très attention à cette performance financière, poursuit Jérémie Delecourt. A l’inverse, quand les choses se tendent, les investisseurs font très attention aussi à la qualité de l’information qui leur est donnée, à la transparence, à tous les nouveaux aspects que sont la sécurité digitale, l’ESG. Nous sommes dans un monde d’investisseurs qui changent et qui ont des exigences différentes. »

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