bilan des marchés

M&A : coup de froid sur les opérations

Publié le 16 décembre 2022 à 10h30

Ivan Best    Temps de lecture 5 minutes

Après une année 2021 exceptionnelle, le marché français des fusions-acquisitions est revenu sur terre, en 2022. Le montant global des opérations impliquant une contrepartie française a baissé de 46 %, à 156 milliards de dollars (147 milliards d’euros), soit la plus faible valeur depuis 2013. Le contexte économique explique bien sûr, pour une bonne part, ce recul. La guerre en Ukraine et le choc inflationniste qu’elle a entraîné ont suscité l’attentisme au sein des économies européennes. « Suite à une année exceptionnelle, le recul du marché est significatif en France comme en Europe, l’Italie étant une exception en raison de l’impact du rachat du groupe d’infrastructures Atlantia par la famille Benetton et Blackstone pour près de 50 milliards de dollars », souligne Patrick Perreault, coresponsable fusions-acquisitions du groupe Société Générale.

Le recul a même été mondial, sous l’effet de l’incertitude créée par l’inflation, source de forte volatilité sur les marchés. « Partout, le troisième trimestre a été moins bon », souligne Brice Chasles, managing partner, financial advisory, chez Deloitte. En 2022, la valeur des transactions a chuté de 40 % dans le monde, et de 38 % en Europe, selon Refinitiv. Mais cette baisse peut être relativisée : par rapport à 2019, elle n’est que de 8 % dans le monde, tandis que le marché européen dépasse de 18 % son niveau de 2019.

Au plus bas depuis 2013, le marché français se montre donc relativement moins allant que la moyenne. Surtout, les jumbo deals (plus de 10 milliards de dollars) y ont quasiment disparu. « Dans un contexte d’incertitude, les grandes opérations dans le secteur industriel se sont faites très rares », souligne Patrick Perreault. En France, le deal le plus important annoncé en 2022 n’en est pas vraiment un, puisqu’il s’agit du rachat par l’Etat des titres détenus par les actionnaires minoritaires d’EDF. Le deuxième, par la taille, est la vente par Orange de sa filiale espagnole. Le troisième est le rachat de LeasePlan par ALD, au tout début de l’année.

De nombreuses opérations concernant des mid caps

Pour autant, si 2022 a été marquée par l’absence de jumbo deals, le nombre d’opérations avec une contrepartie française, d’un montant supérieur à 1 milliard d’euros a en revanche augmenté, passant de 20 à 31, selon Refinitiv. Plus de deals, mais d’un montant sensiblement inférieur. Le private equity a, à ce titre, été impliqué dans un plus grand nombre d’opérations qu’en 2021, avec un record de 789 deals (+3 %).

« Les fonds ont remarquablement fait face au contexte de marché difficile et se sont montrés actifs sur près de la moitié des opérations », relève Alexandre Courbon, responsable M&A France chez HSBC Continental Europe. Toutefois, le contexte a changé à partir du mois de septembre. « Les fonds ont été encore très présents en France au cours du premier semestre, s’agissant notamment de deals moyens, de mid caps, souligne Emmanuel Regniez, coresponsable de l’activité Investment Banking France, chez Bank of America. Cela explique leur part encore élevée dans le bilan 2022. Mais, depuis le mois de septembre, ils sont beaucoup moins présents, les financements bancaires devenant plus difficiles à obtenir. Le private equity s’était habitué à des rotations très rapides, avec des dossiers conservés seulement deux à trois ans, assortis de financements à taux particulièrement bas historiquement. Il va devoir revenir à des pratiques plus en ligne avec des détentions de 5 à 7 ans. »

Une dégradation des conditions de financement

L’année 2023 sera-t-elle plus favorable que le second semestre 2022 ? « Grâce, notamment, à une moindre incertitude, un contexte plus stabilisé, on peut penser que l’année 2023 sera meilleure, estime Brice Chasles. De façon structurelle, le marché français des fusions-acquisitions sera soutenu à la fois par des stratégies d’entreprise plutôt défensives, destinées à améliorer leur résilience, en se séparant d’actifs jugés moins essentiels, mais aussi la poursuite de la transformation de leur modèle (digital, ESG…) et enfin une activité intense du côté des groupes de taille moyenne et familiaux. De nombreuses transmissions d’entreprises, notamment, sont en préparation. »

Les banquiers se montrent un peu moins optimistes. « Pour que l’activité M&A reparte de l’avant, il faudrait un peu plus de visibilité, souligne Stéphane Courbon, chairman, Corporate & Investment Banking France, chez Bank of America. Il est plus difficile aujourd’hui pour un acheteur et un vendeur de s’accorder sur un prix. Comme dans toute phase de ralentissement économique, mais d’une ampleur incertaine, les vendeurs rechignent à revoir leurs prix à la baisse, d’autant que beaucoup d’entreprises ont mieux résisté que prévu à l’inflation, réussissant à faire passer dans leurs prix de vente la hausse de leurs coûts. Et les acheteurs hésitent aussi en raison de la difficulté à prévoir l’impact de l’environnement économique sur les résultats des entreprises et la dégradation des conditions de financement. Le financement des opérations redevient un facteur différenciant pour les acheteurs. » Si rebond il y a, ce serait au cours de la seconde partie de l’année. Les banquiers l’attendent une fois la récession passée, corrélé avec celui des marchés. 

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