Expertise

Les opérations de LBO dans le millefeuille fiscal 2014

Publié le 10 février 2014 à 14h56    Mis à jour le 18 mars 2014 à 15h19

Les nouvelles règles en matière de déductibilité des intérêts d’emprunt qui se sont succédé ont renchéri le coût des opérations de LBO par une baisse de l’effet de levier fiscal. Cela va, à coup sûr, rendre ces opérations moins attractives fiscalement. Le point sur la superposition des règles en matière de déductibilité des intérêts d’emprunt.

Le principal attrait des opérations de LBO est de pouvoir bénéficier d’un effet de levier financier maximal. En empruntant pour acheter sa cible, l’acquéreur optimise son opération dans la mesure où l’emprunt est rémunéré par un taux d’intérêt, quand l’«equity» prend tout le «upside». Si, de plus, l’intérêt sur l’emprunt est déductible de son bénéfice imposable, il réalise une économie parfois importante d’impôt sur les sociétés. Voilà pour la théorie. Dans la pratique, c’est un peu plus compliqué. Depuis quelques années déjà, les gouvernements successifs s’appliquent en effet à limiter cette faculté de déduction des intérêts d’emprunt, ce qui va finir par impacter le marché du LBO.

«Les nouvelles règles en matière de déductibilité des intérêts d’emprunt qui se sont succédé ont renchéri le coût des opérations de LBO par une baisse de l’effet de levier fiscal, explique Xenia Legendre, avocat à la cour et partner chez Hogan Lovells. Cela ne va certes pas tuer les deals, mais cela va à coup sûr les rendre moins attractifs fiscalement.»

Veiller à la superposition des différents critères de déduction des intérêts d’emprunt

Les règles de la déductibilité des intérêts d’emprunt ont été durcies presque chaque année depuis 2006. Dans ce nouveau contexte, pour optimiser les opérations de LBO, il convient d’adapter les financements aux nouvelles contraintes fiscales et, en particulier, de faire en sorte d’être systématiquement en conformité avec les critères d’éligibilité qui se sont additionnés.

«Il y a quelques années, il était plus facile de conférer un effet de levier fiscal maximal à une opération d’acquisition, affirme Bruno Knadjian, avocat à la cour et counsel chez Hogan Lovells. Avec la multiplication et la superposition des normes fiscales, c’est devenu beaucoup plus complexe. Du coup, notre rôle a changé. Il consiste désormais à donner une lecture simple du millefeuille fiscal à nos clients. Mais aussi, et surtout, à contrôler l’efficacité fiscale des financements mis en place dans le cadre des opérations d’acquisition en veillant au respect des différents seuils et critères imposés par les dispositifs successifs de limitation de la déductibilité des intérêts d’emprunts.»

L’évolution restrictive des règles de sous-capitalisation

La difficulté provient aujourd’hui de l’enchevêtrement des règles et des seuils. Chaque fois qu’une nouvelle disposition a été prise, elle a, en effet, durci la précédente, mais sans jamais l’évincer totalement. Avant 2006, les entreprises pouvaient déduire l’intégralité des intérêts versés à un prêteur banquier ou sociétés liées, pour procéder à l’acquisition d’une cible, et cela avec une seule limite, celle dite de la sous-capitalisation. Le fisc admettait la déduction des intérêts à 100 % pour autant que la dette contractée auprès de l’actionnaire direct ne soit pas supérieure à 1,5 fois les capitaux propres de l’emprunteur. Cette règle était contournable puisqu’il suffisait alors de se faire prêter non pas par la société mère, mais par une société sœur ou grand-mère, par exemple.

Cela n’a bien sûr pas échappé au législateur, qui a durci les règles de sous-capitalisation pour éviter ce type de contournement. Sont en effet entrées dans le seuil de 1,5 fois les capitaux propres, les dettes contractées auprès d’une «entreprise liée» au sens large, donc exit les sociétés sœur ou grand-mère. Cela compliquait un peu la donne, mais les spécialistes parvenaient encore à structurer les opérations pour déduire au maximum les intérêts payés. En 2011, le dispositif est à nouveau durci. Il a été étendu aux intérêts versés aux banques quand une entreprise liée garantit le prêt sous réserve de certaines exceptions.

Une nouvelle philosophie

«Après ces différents durcissements, le dispositif a encore évolué. Jusque-là, le législateur voulait surtout éviter les abus, mais, en 2012, c’est une nouvelle logique qui prend le pas sur l’ancienne : il s’agit de faire rentrer de l’argent dans les caisses de l’Etat», fait valoir Xenia Legendre.

Dans la loi de finances pour 2013, en effet, est mis en place un régime général de déduction des intérêts d’emprunt inspiré du dispositif allemand : tous les intérêts versés par une entreprise, s’ils excèdent 3 millions d’euros par an, ne sont plus déductibles qu’à hauteur de 75 % en 2014. Les 25 % restants sont donc à réintégrer au résultat taxable de la société emprunteuse… La loi de finances pour 2014 parachève l’édifice. Le législateur a encore restreint la déductibilité des intérêts d’emprunt pour les sociétés liées.

Pour conserver le bénéfice de la déductibilité, la société emprunteuse française doit désormais être en mesure de démontrer que l’entreprise liée qui perçoit ces intérêts supporte sur cette somme une taxation d’au moins 25 % de celle déterminée dans les conditions de droit commun (celle qu’elle aurait dû acquitter si elle avait été établie en France). A défaut, aucune déductibilité n’est admise. Si cela peut se justifier par la lutte contre les titres hybrides ou les paradis fiscaux, cette disposition pourrait mettre à mal un certain nombre de situations tout à fait saines fiscalement. Reste à voir l’interprétation qui sera faite de cette mesure par l’administration fiscale.

Questions à... Xenia Legendre et Bruno Knadjian, cabinet Hogan Lovells

Xenia Legendre est associée en charge du département fiscal au sein du cabinet Hogan Lovells à Paris. Elle a une large expérience des questions de fiscalité française et internationale et se concentre sur la gestion de la fiscalité des groupes français et multinationaux, en particulier sur la structuration des opérations de fusions-acquisitions, des joint-ventures et des projets de restructuration interne.

Bruno Knadjian est counsel au sein du département fiscal du cabinet Hogan Lovells à Paris. Il intervient sur les aspects fiscaux des opérations de fusions-acquisitions, restructurations et cessions d’actifs auprès de clients institutionnels, fonds d’investissement et managers.

Qu’est-ce que la pratique du carve-out ?

Il s’agit d’isoler une branche d’activité au sein d’une entreprise en vue soit de la développer dans une filiale dédiée, soit de la céder. On utilise notamment cette technique pour se séparer d’une branche en difficulté ou, au contraire, pour développer une activité florissante de manière autonome.

Pourquoi cette pratique se développe-t-elle ?

Dans les grands groupes, toutes les activités ne sont pas toujours profitables. La technique du carve-out, avec sa faculté d’isoler les branches en difficulté pour les céder ensuite, a rencontré beaucoup de succès avec la crise financière.

N’est-il pas plus simple de mettre en vente l’activité déficitaire sans passer par la filialisation via le carve-out ?

C’est également une option. Elle passe cependant par une cession de fonds de commerce et donc ne peut pas bénéficier de la transmission universelle du patrimoine d’une branche d’activité. Une attention particulière doit être portée à une possible perte de déficits suite au «changement d’activité» au sein de la société cédante.

Y a-t-il un intérêt à l’opération de carve-out ?

La filialisation permet de doter la filiale à céder d’un bilan «correct», important surtout dans le cadre de «distressed sale». L’optimisation fiscale pour le vendeur peut être recherchée à travers la filialisation. Si elle est faite assez en amont d’une éventuelle cession, la filialisation permet d’avoir un sursis d’imposition de la plus-value. Cette voie est aussi intéressante pour l’acheteur, dans la mesure où, sous réserve de l’application des règles d’abus de droit, les droits d’enregistrement sur une opération sur titres sont moins lourds que les droits sur une cession de fonds de commerce (0,1 % vs. 5 %).

Quel est votre rôle quand ce type de montage est décidé ?

Nous nous intéressons bien sûr à la fiscalité de l’opération et à la manière d’en optimiser le coût fiscal pour l’entreprise. Mais nous l’aidons aussi à détourer ses actifs, à apprécier la cohérence de leur valorisation, à déterminer le traitement du «badwill», le cas échéant, et à coordonner les aspects sociaux de l’opération.

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