Dossier

Les sociétés de gestion à l’épreuve de la Covid-19

Publié le 30 avril 2021 à 17h45    Mis à jour le 11 octobre 2021 à 15h38

Géraldine Dauvergne

L’onde de choc qui frappe les économies à l’échelle planétaire depuis mars 2020 n’a pas épargné le monde de la gestion d’actifs. Mais les acteurs français ont su trouver les ressources et les stratégies pour surmonter la crise économique et retrouver le chemin de la croissance. Ils sortent renforcés d’une année hors normes, et se tournent plus que jamais vers l’investissement durable.

Au mois de mars 2020, la crise sanitaire mondiale a provoqué le chaos sur les marchés financiers. Mais le trou d’air boursier a été rapidement corrigé. Les conséquences de la pandémie à l’échelle d’une année ont finalement été limitées pour les sociétés de gestion française. La collecte dans les fonds de droit français est même repartie à la hausse, après deux années noires. Les souscriptions nettes cumulées en 2020 des quatre grandes catégories d’organismes de placements collectifs (OPC), monétaires, obligataires, diversifiés et actions, sont revenues en territoire positif, pour atteindre 73 milliards d’euros, selon les chiffres de l’Association française de la gestion financière (AFG). Les encours globaux sous gestion en France se sont établis à 4 355 milliards d’euros, en progression de 3,5 % sur un an.

Un secteur résilient face à la crise

C’est donc la résilience qui a caractérisé le secteur en 2020. « Contrairement à d’autres crises, il n’y a pas eu de blocage généralisé des rachats, ni de défauts significatifs. Même l’épisode H2O est resté relativement sous contrôle », constate Yoan Chazal, associé chez Deloitte. Les sociétés de gestion ont même, pour certaines, tiré profit des situations de confinement et optimiser leur organisation. « Grâce aux plans de continuité d’activité réglementaire (PCA) mis en place dans les sociétés de gestion de portefeuille avec l’aide de l’AMF, l’industrie de la gestion a su maintenir ses prestations et services face à la Covid-19 », se félicite Eric Pinon, président de l’AFG. Le télétravail et la visioconférence ont permis aux gérants et à leurs collaborateurs de personnaliser leurs services. « Les clients ont apprécié leur disponibilité, le contact direct, la permanence de la relation client, assure Eric Pinon. Les sociétés du secteur ont montré qu’elles pouvaient rester actives et créer de la valeur par temps de crise, ce qui va les aider à optimiser et à justifier leur rémunération. »

La crise a eu également pour effet de favoriser l’émergence de nouveaux produits distingués par le label « Relance ». Lancé le 19 octobre 2020, il est attribué aux fonds de capital-investissement ou investis dans des valeurs cotées qui s’engagent à soutenir les entreprises françaises. Début mai 2021, 170 fonds étaient labellisés, pour un encours de 14,4 milliards d’euros. « Ce label est un très bon outil en faveur de l’épargne longue, pour motiver le client investisseur désireux de contribuer à l’effort collectif dans la pers­pective de la reprise », constate Eric Pinon. 

De nouvelles exigences de transparence

Le label Relance s’inscrit, de plus, dans la tendance phare du moment : l’investissement responsable. Ce dernier est ainsi systématiquement mis en avant par les sociétés figurant dans la sélection d’Option Finance (voir p.23). « Cette thématique est devenue un axe très important de la structuration du marché de la gestion d’actifs, rappelle Yoan Chazal. Elle répond aux attentes des investisseurs, mais aussi à l’agenda réglementaire ». L’engouement n’est pas nouveau, mais le marché n’a pas toujours été à la hauteur. Robert Ophèle, président de l’Autorité des marchés financiers (AMF) a réitéré en 2020 son souhait de lutter contre le greenwashing ou « verdissement de façade ». Une époque peut-être bientôt révolue. Car les mots seuls et les déclarations d’intention suffisent de moins en moins à convaincre clients, investisseurs… et régulateur. Entré en application le 10 mars dernier, le règlement européen « Sustainable Finance Disclosure Regulation » (SFDR) impose aux sociétés de gestion de classer chacun de leurs fonds, en fonction d’une quinzaine d’indicateurs, dans l’une ou l’autre des trois catégories, plus ou moins exigeantes selon l’objectif d’impact sur l’environnement ou la société. « L’entrée en vigueur du SFDR vient considérablement accroître les obligations de reporting et de transparence », souligne Yoan Chazal. Certes, ce règlement n’est pas en soi contraignant, puisque les sociétés de gestion ont la possibilité de choisir la catégorisation de leurs produits et services. Mais aucune n’aura vraiment intérêt à les trier dans la catégorie la moins valorisante. 

La progression inexorable de la gestion passive

Outre la finance durable, l’année 2020 a conforté d’autres tendances, notamment la progression continue de la gestion passive, qui s’invite dans un nombre croissant d’offres et de portefeuilles. Selon Morningstar, la collecte des ETF (Exchange-Traded Funds, ou fonds indiciels cotés) européens a atteint 48,2 milliards d’euros au premier trimestre 2021, battant un nouveau record trimestriel. Le rachat à la même période de Lyxor par Amundi, qui a fait du leader européen de la gestion d’actifs le deuxième fournisseur d’ETF en Europe, confirme l’enjeu crucial du marché. « La gestion passive continue d’être un axe de développement majeur pour l’ensemble des principaux acteurs, analyse Yoan Chazal. La gestion active doit trouver comment se différencier pour justifier les frais prélevés, face à la gestion passive qui connaît un succès croissant. »

Un fort appétit pour le non-coté

Autre engouement de l’année 2020, le non-coté. Les investisseurs manifestent toujours plus d’appétit pour le capital-investissement, les valeurs technologiques, l’immobilier, les infrastructures, la dette privée, les crypto-actifs… Ces classes d’actifs peu liquides séduisent de plus en plus les investisseurs, y compris les institutionnels, en promettant des rendements plus élevés sur le long terme ainsi qu’une réduction du risque. Pourtant, ce sont des placements qui peuvent réserver quelques mauvaises surprises. « Les actifs non cotés évitent à l’investisseur de se faire peur, résume Eric Pinon. Mais les niveaux d’achat sont très élevés ! Le price-earnings ratio (PER) du coté tourne autour de 11 à 12 %, tandis qu’il est de 14 à 15 % pour le non-coté. De plus, leur valorisation n’est révélée que le jour où elle est réalisée, huit, dix ou douze ans après. Avoir du non-coté dans un portefeuille est parfaitement justifié, mais c’est un placement long qui peut se payer cher à la sortie. »

43 créations d’entreprises en 2020

En attendant, le non-coté suscite des vocations. Ce segment a été l’an dernier l’un des moteurs de la création d’entreprises de la gestion d’actifs. Au total, 43 sociétés ont vu le jour en 2020. L’écosystème français se compose désormais de 680 sociétés, un record historique. Le Brexit en a été un autre levier. A la fin de l’année 2020, selon l’AMF, 21 sociétés de gestion ont été créées en raison de la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne. « Contrairement au monde bancaire qui a plutôt choisi Francfort, les sociétés de gestion sont en grande partie venues s’installer en France, souligne Eric Pinon. Le Brexit a permis d’attirer à Paris les acteurs les plus importants, comme BlackRock, qui a fini par enregistrer en France une société de gestion. Certaines sociétés exilées au Royaume-Uni sont revenues. L’événement a rappelé au monde que la France disposait de gérants parmi les mieux formés, d’un régulateur business friendly, de réglementations qui facilitent les échanges transfrontaliers. »

La transformation digitale, une priorité

En parallèle, les mouvements de consolidation et de rapprochement (avec, outre le rachat de Lyxor par Amundi, la fusion des activités de gestion de taux de LBPAM et d’Ostrum AM), se sont poursuivis en 2020, redessinant les contours du marché français. Comme tout le secteur financier, les gérants d’actifs sont à la recherche d’économies d’échelle, en particulier grâce aux opérations de croissance externe. « La transformation digitale est au cœur de la réussite des gestionnaires d’actifs. Le secteur est dans l’ensemble très en retard, alors que des technologies existent permettant d’améliorer l’efficacité des gérants et de l’ensemble de la chaîne de valeur », note Yoan Chazal. 

Les plus petites sociétés de gestion vont elles aussi devoir se poser la question de leur développement, face aux géants du secteur. « En France, une dizaine de sociétés de gestion gèrent plus de 100 milliards d’euros, tandis que plus de 300 autres en gèrent moins de 500 millions, rappelle Eric Pinon. L’avenir de l’industrie tient aussi aux rapprochements entre petites entreprises pour affronter les rapports de force avec les plateformes, les distributeurs, les teneurs de compte dépositaires, ou les brokers. » Une nouvelle voie se dessine, à côté des rapprochements capitalistiques, à travers la mutualisation des moyens. La première « manco » (management company) française, Manco. Paris, a ainsi vu le jour afin de mutualiser les moyens des plus petites structures, et a obtenu l’agrément de l’AMF fin 2020. « Les manco, qui existent en Irlande et au Luxembourg depuis longtemps, ne sont pas des gérants financiers, mais des acteurs administratifs et opérationnels », explique Eric Pinon. Le secteur de la gestion d’actifs est loin d’avoir fini d’innover.

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