Table ronde

Le voyage d’affaires en mutation

Publié le 20 mars 2015 à 14h49    Mis à jour le 27 juillet 2021 à 11h50

Propos recueillis par Anne del Pozo

Le marché du voyage d’affaires connaît actuellement quelques bouleversements, portés par l’arrivée de nouveaux acteurs sur le secteur ainsi que par l’évolution des comportements d’achats des voyageurs. De nouveaux enjeux qui conduisent les prestataires traditionnels de ce marché à repenser leurs offres afin d’accompagner au mieux les entreprises face à ces mutations.

L'impact de l'arrivée de nouveaux acteurs

Damien Feld, mobility & events sourcing manager à la Société Générale : L’arrivée de nouveaux acteurs sur le marché du voyage d’affaires est indéniable. Cela fait déjà quatre à cinq ans que nous avons par exemple des accords avec des compagnies aériennes low-cost qui, d’ailleurs, évoluent presque plus rapidement que les clients eux-mêmes. Nous avons ainsi été l’une des premières grandes entreprises françaises à signer un partenariat avec EasyJet, que nous essayons d’utiliser à bon escient. En effet, de par notre présence internationale, nous sommes fortement liés aux compagnies nationales, en particulier à Air France. Notre démarche consiste donc plutôt à introduire EasyJet lorsque cela fait vraiment sens et selon la demande de nos clients internes. Sur les VTC nous travaillons par exemple, depuis près de trois ans, avec LeCab. Au départ, nous avions la volonté de déployer ce partenariat massivement dans le groupe, au moins sur Paris. Nous avons néanmoins ralenti le déploiement, notamment suite aux changements juridiques intervenus sur ce secteur. Le cadre juridique et réglementaire évolue tellement vite, qu’il nous est parfois difficile, en tant que grand compte, d’être réactif. Nous sommes par ailleurs très sensibilisés aux risques et attentifs aux relations avec nos partenaires, les PME.

John Baird-Smith, directeur France AirPlus International : L’arrivée de nouveaux acteurs sur le secteur du voyage d’affaires soulève des questions importantes en matière de sécurité. La responsabilité sociétale des entreprises, la RSE, est ainsi, en la matière, très claire. Mais il faut également que l’entreprise tienne compte de la responsabilité pénale de leurs employeurs en cas de problèmes survenant durant un voyage d’affaires. Avec ces nouveaux acteurs, les entreprises sont donc confrontées à des risques qu’elles ne connaissent pas forcément, ou qu’elles sous-estiment. Par exemple, quelle est la responsabilité sociale de l’entreprise et la responsabilité pénale de l’employeur si un collaborateur décide de prolonger son déplacement professionnel à des fins personnelles ? Aujourd’hui, un vide juridique entoure ce sujet. Ce sont d’ailleurs des questions qui nous sont régulièrement posées par les entreprises.

Julien Chambert, directeur ventes & développement chez Avexia Voyages : Si l’entreprise reste responsable de son voyageur, en revanche, son prestataire de voyages se doit de lui apporter le conseil nécessaire pour bien gérer cette problématique. Lorsque nous avons noué un partenariat avec une société de VTC, nous nous sommes à cet effet entourés de juristes. Une démarche qui nous a d’ailleurs immédiatement conduits à écarter certains acteurs du cadre de nos recherches de partenaires, alors que, pourtant, il s’agissait d’un concept novateur offrant un service adapté aux voyageurs d’affaires. Actuellement, il n’existe pas en France une seule société de VTC rayonnant partout sur le territoire national avec une flotte de plusieurs centaines de véhicules à son nom et des chauffeurs salariés. Prenons l’exemple de Navendis avec qui nous travaillons. Cette société dispose d’une flotte de 150 véhicules et 300 chauffeurs salariés. Or, 150 véhicules c’est finalement peu. D’autre part, le rayonnement géographique de cette entreprise s’arrête pour le moment à l’Ile-de-France et à la région lyonnaise. Aujourd’hui, il nous est donc encore difficile de trouver un prestataire qui réponde à la fois aux besoins des voyageurs d’affaires et aux problématiques de sécurité, de reporting et de négociation des entreprises. Cela fait partie du rôle de l’entreprise cliente de savoir ce qu’elle est prête à faire et à accepter, ou pas. Dans le cadre de cette démarche, elle peut se faire conseiller par des prestataires du marché et en particulier les agences de voyages. Par exemple, aujourd’hui, nous suivons de près Airbnb. Mais pour le moment nous ne nous engageons pas auprès d’eux car nous estimons que leur offre n’est pas encore suffisamment adaptée aux besoins du marché des voyageurs d’affaires.

Damien Feld : Pourquoi les agences de voyages n’intègrent-elles pas encore les plateformes d’hébergements collaboratifs ?

Julien Chambert : Nous ne le faisons pas encore car nous avons besoin d’avoir en échange un fichier de reporting structuré qui puisse être réintégré dans le bilan de l’activité de l’entreprise. Par ailleurs, tant que nous ne serons pas complètement convaincus que nous ne courons pas le risque d’un problème légal avec des sociétés telles que Airbnb, nous ne pouvons pas proposer ces services à nos clients.

Vincent Godard, directeur business management chez HRG France : Si certaines entreprises telles que Quiksilver ont actuellement recours à Airbnb c’est en réponse à une demande particulière d’une certaine catégorie de leurs collaborateurs. En revanche, nous constatons dans nos appels d’offres, une exigence renforcée des entreprises en matière de nouvelles technologies, telles que la gestion des profils, la sécurité autour des cartes de crédit, la localisation des serveurs, mais également en matière d’assurances, surtout dans le cadre de l’utilisation des véhicules ou de logements collaboratifs. Ces exigences qui sont imposées aux agences de voyages par les entreprises, nous devons les répercuter auprès de tous ces nouveaux acteurs.

John Baird-Smith : Dans le comportement des voyageurs, nous voyons par ailleurs apparaître de plus en plus la notion de bleisure» (alliance de «business» et «bleisure»). Les comportements des voyageurs se calquent sur ce qu’ils ont l’habitude de faire dans le domaine du loisir et ne cessent d’évoluer. Inversement, les acteurs du loisir se penchent de plus en plus sur le secteur du voyage d’affaires, et travaillent sur le développement de leurs technologies. Dans les années à venir, ces deux mondes pourraient donc rapidement interagir. Or, en qualité de fournisseurs de moyens de paiement, notre rôle consiste à accompagner cette tendance. Nous travaillons donc sur nos réseaux d’acceptation et essayons également de résoudre les problématiques d’assurance via nos moyens de paiement. Nous devons, pour le bienfait de nos clients, nous rapprocher de la demande tout en continuant à veiller aux notions de sécurité et de reporting.

Damien Feld : Toute la difficulté repose aujourd’hui sur le fait que nous avons deux acteurs qui avancent plus vite que nous : d’une part, le marché avec l’émergence de start-up et, d’autre part, les consommateurs voyageurs. Ces deux groupes vont plus vite que les services achats ou voyages des grandes entreprises et que les sociétés traditionnelles du secteur du voyage d’affaires. Pour une entreprise comme la nôtre, il est particulièrement complexe de suivre ce rythme-là. Avant, nous avions pour habitude de construire un service, de le proposer à nos voyageurs et de le tester avant son déploiement à grande échelle. Aujourd’hui, nous manquons de temps, notamment pour gérer les questions d’assurance, d’éthique, etc. Le nouveau service arrive généralement des Etats-Unis et n’est pas entouré d’un cadre légal. Si, pour nous, acheteurs, travel managers, ou prestataires du voyage d’affaires, il est compliqué de gérer l’arrivée de ces nouveaux acteurs, ce n’est en revanche pas le cas pour les voyageurs : ils ne nous ont pas attendus pour utiliser ces nouvelles prestations ! Par exemple, lorsque nous avons, très récemment, fait le choix de lancer un pilote sur «l’hébergement collaboratif», nous nous sommes rendu compte que certains collaborateurs recouraient déjà à ce type de prestations.

Julien Chambert : Si d’une manière générale notre démarche consiste à être proactif en matière de nouveaux services, il arrive parfois que ce soient nos clients qui nous interpellent sur les nouveaux acteurs. C’est par exemple, en entendant parler de Smart Park par l’une de nos collaboratrices, que nous l’avons intégré dans notre offre de services.

Vincent Godard : Smart Park est un très bon exemple en matière de nouvelles prestations de services adaptées aux voyages d’affaires. Les collaborateurs de Smart Park récupèrent les voitures à l’aéroport, les garent dans un parking éloigné et les ramènent à l’aéroport au retour du voyageur. Si la prestation coûte au final le même prix que le parking de proximité, le voyageur y gagne en confort et en temps : il laisse et récupère sa voiture au dépose-minute de l’aérogare où il décolle ou atterrit. Le paiement d’une telle prestation peut ensuite se faire via des cartes virtuelles. Aujourd’hui, AirPlus ou American Express ont chacun leur solution de génération de cartes virtuelles, ce qui nous permet d’associer à une transaction plusieurs références, telles que le centre de coût, et de connaître précisément quelle prestation a été consommée.

Les acteurs du voyage se mobilisent face à ces évolutions

John Baird-Smith : Notre objectif, en qualité d’opérateur de cartes, consiste à adapter nos technologies et nos moyens de paiement à ces nouveaux comportements d’achats et ces nouveaux prestataires du voyage. Déjà près de 90 % des dépenses voyages sont centralisées grâce au paiement par Carte Logée. Aujourd’hui, la solution Carte Virtuelle permet encore plus de souplesse de paiement en centralisant toutes les prestations liées à un déplacement. Au-delà de la transaction financière, il permet en effet de récupérer de la donnée, de savoir précisément où se trouve un collaborateur et de bénéficier d’une assurance. Notre objectif aujourd’hui consiste à offrir le même niveau de services en termes de paiement, de sécurité des voyageurs et de reporting, avec des acteurs comme Airbnb ou d’autres compagnies de VTC.

Julien Chambert : Grâce aux moyens de paiement, nous sommes en mesure de répondre à l’ensemble de ces enjeux de règlements, de sécurité et de reporting quelle que soit la prestation demandée par nos clients : VTC, réservation de salle de conférence, réservation de devise, visioconférence, etc. Peu importe ce que l’entreprise souhaite consommer, pour le règlement, nous utilisons soit un moyen de paiement virtuel, soit une carte de paiement traditionnelle, et fournissons ensuite au client final une information sur ce qu’il aura consommé. Par exemple, aujourd’hui nous offrons la possibilité aux entreprises de payer un parking à partir de leur compte logé. Dans le cadre du partenariat que nous avons passé avec l’entreprise qui détient les parkings, nous réservons le parking, nous payons le prestataire en fin de mois et ensuite nous refacturons au client via le compte logé. En intégrant de nouveaux acteurs dans notre plateforme de réservation, nous développons l’offre de services apportée aux entreprises. L’agence de voyages a donc également un rôle important à jouer pour faciliter le recours, par les entreprises et leurs voyageurs, aux nouvelles prestations liées aux déplacements professionnels.

John Baird-Smith : Cela permet aussi d’accéder plus simplement à la donnée, de l’enrichir et de l’intégrer directement dans les systèmes de gestion de l’entreprise (ERP, outils de notes de frais, etc.).

Vincent Godard : Les agences de voyages ont également un rôle à jouer face aux nouveaux comportements d’achats. Par exemple, si l’open booking n’est pas une pratique nouvelle en soi, les entreprises essaient actuellement de les restreindre. Prenons l’exemple des compagnies aériennes low-cost. Pour éviter l’open booking auprès de ces prestataires, agences de voyages et entreprises les intègrent de plus en plus dans leurs outils de réservation. Une démarche similaire est en train de s’opérer en matière d’hébergement. Nous avons intégré dans nos outils des plateformes de réservations hôtelières telles que HRS ou HCorpo. Aujourd’hui, nous essayons aussi d’intégrer de nouveaux acteurs tels qu’Airbnb. Aux Etats-Unis, Airbnb est dans l’outil de gestion des voyages d’affaires de Concur. En proposant l’offre de ces prestataires dans nos outils, nous répondrons mieux aux attentes des voyageurs d’affaires et éviterons les démarches d’open booking. D’autant plus que l’open booking prend du temps à la personne qui le pratique. Du temps qui n’est pas consacré à son cœur d’activité. Face à l’émergence des nouveaux acteurs, notre démarche consiste donc à intégrer autant que possible les nouveaux contenus disponibles dans nos solutions.

Julien Chambert : Une agence de voyages ne doit pas se limiter à faire de la billetterie, au risque de disparaître à court terme. Les sites marchands ou ceux tels que voyages-sncf.com ou airfrance.fr le font actuellement très bien. Les agences de voyages ont donc plutôt intérêt, désormais, à proposer aux entreprises de nouveaux services innovants en matière de moyens de paiement, d’outils et de prestations, et de les aider à les intégrer dans leur politique voyages. Par exemple, chez Avexia, nous travaillons actuellement sur un nouveau service de visioconférence. Notre objectif consiste à expliquer aux entreprises que la visioconférence peut être une alternative économiquement avantageuse à certains déplacements professionnels. Elle permet ainsi de réallouer différemment le budget voyages pour que l’investissement consenti en la matière soit plus avantageux pour l’entreprise et ses collaborateurs. Nous devons donc, en qualité d’agence de voyages, adapter notre offre en conséquence.

Intégrer les nouveaux comportements d’achats dans les politiques voyages

Damien Feld : Il est en effet indispensable que les agences de voyages s’adaptent très rapidement. En effet, les voyageurs évoluent plus vite que nous et deviennent voyageurs et acheteurs experts. Tous les jours, ils viennent nous dire qu’ils ont trouvé mieux ailleurs, moins cher et plus innovant que les offres proposées dans les canaux référencés tels que l’agence de voyages et l’outil de réservation en ligne. A la Société Générale, nous n’autorisons pas l’open booking. En revanche, nous sommes obligés de considérer cette tendance car elle implique une remise en question globale des politiques voyages. De fait, nous allons devoir autoriser cette pratique pour l’hébergement. En effet, l’hébergement est en train de nous faire avancer plus vite car il s’agit d’une catégorie que nous ne couvrons pas à 80 ou 90 % dans le cadre de notre politique voyages d’affaires, contrairement, par exemple, aux transports. Quels que soient les efforts que nous ferons sur l’hébergement, nous n’arriverons jamais au même taux de couverture que celui obtenu dans les transports. C’est la raison pour laquelle nous nous remettons en question sur ce sujet et envisageons d’accompagner nos voyageurs sur l’hébergement collaboratif. Aujourd’hui, nous essayons de tester toutes ces plateformes d’hébergement collaboratif. Nous devons donc nous affranchir de nos méthodes traditionnelles telles que les canaux de réservation, les cartes, etc. Nous avons actuellement quelques bêta-testeurs de ces plateformes. Nous les alertons sur les conditions d’annulation, les risques et les opportunités liés à ces prestations, et leur demandons un feedback sur leurs tests. Sur la partie internationale, pour savoir où se trouvent nos collaborateurs et sécuriser leurs déplacements, nous leur demandons néanmoins de s’enregistrer auprès de notre plateforme de sécurité.

Laurent Sautré, responsable cartes commerciales chez BNP Paribas : Aujourd’hui, lorsque nous sortons de la politique voyages, il reste difficile de tracker le voyageur et de contrôler les dépenses. Au sein de certaines entreprises, le contrôle peut être approximatif. Le manager va souvent valider le prix d’une réservation mais n’ira pas forcément vérifier si l’hôtel réservé et utilisé est référencé dans la politique voyages de l’entreprise.

Julien Chambert : La note de frais, lorsqu’elle est bien paramétrée, permet ce contrôle. Nous proposons à nos clients, en fin d’année, de récupérer l’ensemble de leurs notes de frais et de vérifier si les hôtels réservés sont ceux référencés dans la politique voyages de l’entreprise. Nous comparons ainsi le programme hôtelier théorique avec le programme hôtelier réel. A ce jour, très peu d’entreprises se prêtent à l’exercice car elles se rendent bien compte qu’il s’agit d’une donnée qu’elles ne maîtrisent pas, et que les accords négociés ne sont pas toujours bien mis en application ou pas utilisés à bon escient.

Laurent Sautré : Dans le cadre de l’hôtellerie, il faut certes s’assurer du prix mais également que le fournisseur référencé s’inscrive bien dans le cadre de la politique voyages.

Julien Chambert : Nous conseillons aux entreprises de référencer dans leur politique voyages les hôtels les plus fréquentés par leurs collaborateurs, notamment pour que la réservation passe par l’agence de voyages. Ce processus leur permettra ensuite de mieux récupérer les données hôtels et de gagner en visibilité sur ce poste de dépense.

Centraliser les paiements

John Baird-Smith : La visibilité sur les dépenses passe par le paiement centralisé. L’objectif consiste à détacher le salarié de toute la problématique de paiement et d’assurance pour qu’il puisse se concentrer sur la raison de son déplacement.

Laurent Sautré : Aujourd’hui, en matière de paiement centralisé, nous constatons de plus en plus de déploiements de projets de cartes virtuelles. Il faut avoir une carte virtuelle des réseaux Visa ou MasterCard pour disposer d’un niveau d’acceptation globale au niveau des terminaux de paiement des marchands. La carte virtuelle permet de conserver un paiement centralisé, des données enrichies tout en profitant d’un large réseau d’acceptation.

Julien Chambert : Nous essayons de multiplier ces différentes sources de paiement. Cette mixité permet de couvrir une très grande part des dépenses dans le respect de ce que souhaitent les entreprises. Peu importe la prestation que l’entreprise choisit, notre objectif consiste à respecter son choix et surtout à faciliter les process. Par exemple, avec une carte corporate, lorsque le collaborateur fait une note de frais, il n’a pas besoin de ressaisir la dépense. Il lui faut seulement, si nécessaire, ajouter quelques informations sur la nature de la dépense. Les moyens de paiement participent à la fluidification des dépenses et font fi des nouveaux acteurs.

Laurent Sautré : Les entreprises cherchent à «encarter» l’ensemble des dépenses de manière à mieux les tracer. Nous avons d’un côté la carte logée et/ou carte virtuelle comme solutions de paiement centralisé pour payer le maximum de dépenses et, d’un autre, les cartes individuelles pour le collaborateur qui se déplace pour payer les prestations pendant le déplacement. Cependant, chaque entreprise mettra en place sa propre politique en la matière. Certaines adopteront le paiement centralisé pour tout ce qui a trait à la billetterie avant le déplacement et la carte individuelle pour tous les règlements pendant le déplacement. D’autres ne souhaitent pas centraliser tous leurs paiements. La responsabilisation du voyageur est plus complexe avec un système de paiement centralisé : il n’est pas toujours évident qu’il annule sa réservation si finalement, il n’effectue pas son déplacement. Pour autant, la traçabilité des dépenses restera forcément meilleure avec un paiement centralisé grâce à la qualité de la donnée remontée via des outils de business intelligence. Par exemple, à la création de la carte virtuelle, nous intégrons les données et le motif du voyage, voire les données analytiques de l’entreprise, compte budgétaire, etc. Ces données seront restituées ensuite une fois le paiement effectué. Les moyens de paiements tels que les cartes corporate, cartes logées ou cartes virtuelles ne sont pas nouveaux en soi. En revanche, certaines associations d’outils peuvent être révolutionnaires.

John Baird-Smith : Notre objectif en qualité de fournisseur de moyens de paiement consiste à payer une prestation pour le compte d’une société, le tout étant de proposer le moyen de paiement qui soit le mieux adapté à la prestation réservée et qui corresponde le mieux à la politique et à la maturité de la société. Notre objectif consiste donc toujours à répondre aux besoins de l’entreprise et à leur évolution. Par exemple, nous constatons que le smartphone deviendra un support de paiement dans un futur proche et nous adaptons nos solutions à cette technologie.

Laurent Sautré : L’utilisation du smartphone doté de la technologie NFC dans le cadre du voyage d’affaires est une réflexion à avoir pour tout émetteur de cartes commerciales. Il est nécessaire de prendre en compte un certain nombre de contraintes techniques telles que la bonne adéquation des terminaux de paiement à l’acceptation du téléphone portable, sachant qu’il en existe très peu. Un consommateur lambda pourra prendre cette technologie pour le règlement de ses achats en face à face auprès des commerçants qui l’acceptent. Mais cette démarche demeure réalisable dans un périmètre géographique déterminé. Pour le voyageur d’affaires, l’exercice est plus complexe. Il peut se trouver en Chine, au Canada ou dans le métro parisien. Dans certains de ces endroits il pourra, auprès de quelques commerçants, régler avec un moyen de paiement sans contact tel que son smartphone. Cependant le taux d’acceptation de ce type de paiement n’est pas encore suffisamment important pour qu’il soit utilisé par les voyageurs d’affaires de manière régulière avec le risque qu’il abandonne cette technologie. Il est donc encore indispensable de l’associer à une carte de paiement traditionnelle pour pouvoir régler l’ensemble des dépenses voyages. Par ailleurs, le taux d’équipement dans les entreprises de smarpthones intégrant cette technologie de paiement sans contact reste encore limité. Toute la difficulté des émetteurs de moyen de paiement comme AirPlus et BNP Paribas consiste donc à trouver la bonne adéquation du moyen de paiement (face à face ou à distance), d’étudier ce qu’il faut mettre dans l’application et de vérifier si elle est harmonisée chez tous les porteurs de cartes, et si le réseau en face est en capacité d’accepter ce moyen de paiement.

Julien Chambert : Le pire dans le voyage d’affaires reste le mode de paiement en cash ou l’avance de frais qui est souvent un processus long et coûteux à mettre en place. Plus l’entreprise multiplie ses sources de données, plus elle doit être en capacité de récupérer de la donnée.

Laurent Sautré : Il ne faut également pas oublier la dimension sécuritaire associée aux moyens de paiement que sont les cartes. Une transaction en carte de paiement sert à réserver, payer en toute sécurité et restituer des données associées à la transaction, données les plus exhaustives possibles. Or, le paiement sans contact avec le téléphone portable, inquiète encore les porteurs en termes de sécurité.

Le confort du voyageur revient sur le devant de la scène

John Baird-Smith : Nous constatons par ailleurs que de plus en plus d’entreprises bâtissent actuellement une politique du voyageur, prenant en compte des notions de mobilité. Cela signifie que nous définissons une typologie de voyage, ou du voyageur ou de longueur du voyage, et nous appliquons ensuite une politique en conséquence et non une politique voyages au sens large du terme. Notre rôle consiste à accompagner cette démarche et à nous associer, avec nos moyens de paiement, à cette politique voyages orientée mobilité.

Vincent Godard : Nous commençons en effet à voir apparaître dans les entreprises des politiques voyages adaptées en fonction du nombre annuel de déplacements des collaborateurs. Les grands voyageurs ou ceux qui se déplacent loin auront ainsi des autorisations en termes de niveaux de classe dans les avions.

Laurent Sautré : Après la crise de 2008, les entreprises se sont focalisées sur la restriction des budgets voyages, favorisant par exemple les hôtels deux étoiles ou des billets à contraintes ou une extension de la classe économique pour les déplacements aériens de courte durée. Après plusieurs années de restrictions, il devient néanmoins difficile de maintenir cette pression vis-à-vis des voyageurs. D’autant que lorsque le collaborateur manque de confort durant son déplacement professionnel, son efficacité au travail en pâtit. Même si ces restrictions demeurent et n’ont pas été levées, leurs préoccupations aujourd’hui consistent à renforcer la sécurité et le confort de leurs voyageurs.

Damien Feld : Les voyageurs d’affaires se plaignent du manque de confort lorsqu’ils ont connu mieux. Cela dépend vraiment des secteurs d’activité. Par exemple, le secteur de l’industrie automobile ayant souvent restreint le confort de ses voyageurs, ces derniers sont habitués. En revanche, dans le secteur bancaire, nous avons connu des années d’expansion avec des exigences accrues en matière de confort, engendrant, en période de maîtrise des coûts, des réclamations plus fréquentes.

Laurent Sautré : Dans les entreprises du CAC 40 qui actuellement sont de nouveau dans une dynamique de croissance, les politiques voyages commencent à être repensées pour le voyageur et prennent davantage en compte son besoin.

Julien Chambert : Pour construire de telles politiques voyages, concrètement, nous adaptons le déplacement aux attentes du collaborateur. Si par exemple il souhaite prolonger son déplacement professionnel par quelques jours de voyage personnel, l’entreprise lui paiera quand même son billet retour. L’objectif consiste à se focaliser sur le confort du voyageur. Prolonger ainsi un déplacement peut par ailleurs faire économiser à l’entreprise jusqu’à 30 % du prix de son billet.

John Baird-Smith : Cela pose néanmoins un problème légal. Quelle est la responsabilité de l’employeur si son collaborateur prolonge son déplacement à des fins personnelles ? Certaines jurisprudences font que les entreprises se posent très concrètement cette question.

Laurent Sautré : Du point de vue assurance et assistance, une partie des cartes de paiements peuvent prendre en compte les incidents qui interviennent durant le déplacement qu’il soit personnel ou professionnel.

John Baird-Smith : En revanche, la question se pose encore aujourd’hui en termes de responsabilité pénale de l’employeur.

Julien Chambert : Certaines entreprises inscrivent ce point dans leur politique voyages : si le collaborateur souhaite pour des raisons de convenance personnelle allonger la durée de son déplacement professionnel, il doit prévenir son supérieur hiérarchique de la date et de l’heure de la fin de son rendez-vous professionnel. Néanmoins, même si ces politiques sont validées par les ressources humaines et le CHSCT et signées par chaque collaborateur au moment de son intégration dans l’entreprise, juridiquement, elles ne sont par forcément recevables.

Damien Feld : Il s’agit d’une question sur laquelle nous devons nous pencher. Sur l’hébergement collaboratif, par exemple, nous discutons actuellement avec notre direction des assurances. Nous nous sommes en effet aperçus que toutes les assurances proposées par les prestataires d’hébergements collaboratifs étaient différentes, un peu d’ailleurs, comme avec les VTC. Du coup plutôt que d’analyser chacune des polices d’assurance, nous regardons plutôt ce que propose le groupe pour ses collaborateurs lorsqu’ils se déplacent. Nous nous sommes par exemple assurés que s’il y avait le feu dans un appartement loué par l’un de nos collaborateurs pour un déplacement professionnel, il était assuré par notre groupe.

Du big data au smart data

John Baird-Smith : L’arrivée de tous ces nouveaux acteurs pose un autre problème, celui du traitement des données. Une démarche d’autant plus difficile à réaliser que leur volume tend à se développer. C’est la raison pour laquelle nous devons aujourd’hui davantage nous focaliser sur la notion de smart data plutôt que sur le big data. Le smart data est une donnée réfléchie dont nous avons besoin et sur la base de laquelle nous pouvons travailler. Nous constatons par exemple à notre niveau que l’usage de notre outil de reporting, qui a pour vocation de traiter de la donnée, n’est pas encore à son optimum chez nos clients. Trop de données tuent la donnée. Nos clients ont besoin de choisir en bonne connaissance les indicateurs dont ils ont besoin et à partir de là, ils utilisent une source de données pour nourrir leurs analyses.

Julien Chambert : La première démarche des entreprises doit consister à identifier leurs différentes sources d’information qui représentent 80 % de leur budget global de mobilité : centrales de réservation hôtelière, moyens de paiement, agences de voyages et outils de notes de frais. A partir de là, elles peuvent se pencher sur la question de leur consolidation pour, ensuite, avoir une analyse intelligible et intéressante. A cet effet, elles doivent savoir quels sont les objectifs qu’elles souhaitent atteindre de manière à bâtir les bons indicateurs. Souhaitent-elles juste mesurer des niveaux de dépenses ? Analyser des comportements d’achats selon certains critères ? Changer une politique voyages ? Définir de nouvelles règles de voyages sans grever un budget ? Nous avons mesuré les reportings utilisés par nos clients. Il y a deux ans, nous produisions chaque mois 70 reportings différents, chacun d’entre eux ayant une utilité particulière telle que la négociation avec les compagnies aériennes par exemple. Nous constatons que sur ces 70 reportings, à peine 20 sont utilisés par nos clients. Nous avons donc refondu la globalité de nos reportings pour n’en proposer qu’une quarantaine, mais le seul véritablement utilisé est celui sur le bilan d’activité que nous présentons au client.

Vincent Godard : Nous travaillons de notre côté surtout avec les travel managers. Outre les reportings standards que nous avons dans nos outils, nous réalisons également de nombreux reportings sur mesure, adaptés aux besoins particuliers du client. Depuis quelques années, nous avons par exemple de nombreuses demandes d’entreprises en matière de score card, à savoir des indicateurs qui correspondent à des objectifs fixés : améliorer l’anticipation, améliorer la part des low-cost ou la part hors Air France sur certaines routes, le taux d’adoption, etc. Cela permet d’en voir l’évolution mensuelle. D’où l’importance aussi, en amont, de bien définir ce que l’entreprise souhaite vraiment suivre, les objectifs qu’elle cherche à atteindre et les leviers qu’elle peut mettre en place. Si cette démarche n’est pas réalisée en amont, tout suivi dans le temps sera compliqué à faire. D’autre part, si les collaborateurs réalisent des réservations en open booking, nous ne pourrons nous appuyer que sur les données des opérateurs de cartes pour réaliser certains indicateurs.

Damien Feld : Aujourd’hui, nous récupérons aussi de la donnée auprès de certains nouveaux fournisseurs tels que les VTC. Nous obtenons d’ailleurs parfois davantage de données de la part de certaines compagnies des VTC que des taxis indépendants.

John Baird-Smith : Les cartes de paiements permettent de récupérer de la donnée qualitative et enrichie.

Damien Feld : Le problème c’est que de nombreuses entreprises n’ont pas de programme cartes. Ainsi, bien que Société Générale soit une banque, le groupe n’a pas déployé de moyens de paiement auprès de l’ensemble de ses collaborateurs.

Julien Chambert : Il y a clairement un impact statutaire lié à la détention de cartes corporate. Lorsque nous expliquons aux directeurs financiers, l’intérêt de la mixité des moyens de paiement, notamment pour mieux capter puis restituer la donnée, nous nous rendons compte que la détention d’une carte de paiement est étroitement liée à la position hiérarchique du collaborateur dans l’entreprise, au même titre que la voiture de fonction, le téléphone portable, etc. La carte est un signe de reconnaissance. Nous le constatons beaucoup chez nos clients qui sont, pour la plupart des PME.

Vincent Godard : Pour récupérer toutes les données cartes, loueurs ou HBT, nous avons développé des outils d’intégration. Néanmoins ces outils ne sont pas accessibles à toutes les entreprises car ils sont lourds à mettre en place et nécessitent du travail en termes d’intégrations, notamment si elles souhaitent aller au-delà des données dont nous disposons. Un avantage certain pour le client est que nous consolidons les données du monde entier et élaborons des indicateurs et des rapports. Un envoi vers les milliers de managers d’une même entreprise dans le monde est alors possible et déjà une réalité chez nous.

Julien Chambert : C’est là où le métier d’agence de voyages évolue vers le service et non plus uniquement l’émission de billets. Ce qui marche le mieux en termes de rapport, c’est celui qui est personnalisé à la demande de l’entreprise. Parallèlement, nous travaillons beaucoup sur l’intégration de données provenant de différentes sources. Cela nécessite un investissement important.

Damien Feld : Nous sommes, à ce sujet, un peu contre-tendance. Nous souhaiterions plus de standardisation. Le rapport personnalisé est en effet très chronophage pour nos services achats et travel management. Ainsi, nous voudrions disposer de rapports personnalisés au niveau de chaque service mais standardisés au niveau de l’entreprise. Il faut jouer sur ces deux leviers. Ces rapports servent aux entités pour piloter leurs dépenses. Le service achat s’en sert de son côté lors des négociations avec les prestataires.

Julien Chambert : Prenons l’exemple de Bacardi. Cette entreprise a une stratégie multilocale. Chaque filiale pays dispose de sa propre agence de voyages, en revanche, une seule agence récupère 100 % des données, les consolide et fait la mise en cohérence de ces données. Nous avons opéré de cette manière pour trois sociétés du CAC 40. Pour ces entreprises, nous nous sommes transformés en SSII avec une spécificité métier agence de voyages. En effet, interpréter la donnée nécessite des compétences métiers.

Damien Feld : L’intégration des données issues de différentes agences de voyages demeure néanmoins très chronophage.

Laurent Sautré : Toute la problématique des grandes entreprises aujourd’hui, en matière de voyage d’affaires, repose notamment sur leur nombre de filiales et d’implantations pays, la multiplicité de leurs agences de voyages, moyens de paiements ou encore outils de réservation, ce qui rend difficile ce travail de récupération de données, de consolidation et d’analyse. En qualité de manager commercial, ce qui m’intéresse c’est ce que chaque collaborateur dépense en voyages d’affaires chaque année en regard des revenus qu’il a générés.

Julien Chambert : C’est ce que nous essayons de calculer : les coûts complets d’utilisation. Si nous ne nous mettons pas d’accord sur les données nécessaires en amont, nous ne saurons pas le faire. Il sera toujours très difficile de calculer le ROI d’un déplacement professionnel en revanche, nous saurons dire quel est le coût complet d’une mission et si, au finale, elle a généré du chiffre d’affaires ou a fluidifié des process, etc. Nous devons savoir concrètement ce qu’une mission rapporte. Il faut pour cela avoir créé et réfléchi aux process depuis le début. Cette démarche permet aux entreprises, sur la base d’indicateurs, de prendre de bonnes décisions sur les déplacements voyages d’affaires. Le voyage n’est alors plus une charge pour l’entreprise, mais un investissement.

Damien Feld : Le voyage d’affaires est un secteur où nous disposons de beaucoup de données par rapport à d’autres, telles que par exemple le MICE. Parallèlement, nous avons également différents leviers pour optimiser les coûts et les processus, avec les agences de voyages ou les opérateurs de cartes de paiement. Pour notre part, le principal indicateur que nous regardons aujourd’hui porte sur la nature du déplacement : commerciale, formation, etc. Il s’agit d’indicateurs que nous faisons désormais suivre par l’agence via leur outil de réservation. Cela nous permet d’adapter les politiques voyages en fonction de la nature du déplacement.

Julien Chambert : Cette attention particulière doit surtout être portée sur les grands voyageurs. A l’inverse, ceux qui se déplacent peu y attacheront moins d’importance. Pour ces derniers, le déplacement est d’ailleurs souvent perçu comme valorisant.

Laurent Sautré : Nous constatons néanmoins que cette dimension statutaire du voyage d’affaires se perd. Pour en revenir aux données, il est aujourd’hui très difficile, voire impossible, de récupérer 100 % des données voyages.

Julien Chambert : Aujourd’hui, une solution end-to-end peut, en théorie récupérer toutes les données, d’autant plus s’il y a une carte logée et une carte corporate associée à un outil de gestion de notes de frais.

John Baird-Smith : Le problème ne porte pas tant sur la récupération des données mais plutôt sur la qualité de la donnée récupérée et son niveau de granularité. Par exemple, il faut que la donnée récupérée intègre aussi bien le montant d’une dépense hôtel ainsi que son détail (la nuitée, les taxes, etc.). Ces informations sont nécessaires aux travel managers dans le cadre du contrôle de leur politique voyages et de leurs négociations fournisseurs.

Julien Chambert : Aujourd’hui, les acteurs du marché mènent différents axes de réflexions pour accompagner les entreprises dans cette démarche d’identification, de récupération, de consolidation et d’analyses des données voyages.

Laurent Sautré : S’il y a voyage, il y a note de frais. Pour avoir une donnée qualitative et une vision de la dépense, il faut que l’entreprise agrège la note de frais avec l’ensemble des dépenses en paiement centralisé. Ensuite, un outil de pilotage sera nécessaire à la bonne compréhension de la dépense.

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