Laurent Assaya(1) profite de l’arrêt de la Cour de cassation du 7 mai 2025(2) pour dessiner les contours du devoir de vigilance de la société mère qui cède une filiale ou une branche d’activité déficitaire.
Une société mère est-elle responsable en cas de liquidation judiciaire de son ancienne filiale ?
En principe, tout associé est libre de céder les titres de sa filiale, et ce indépendamment de sa situation économique et financière. Dans un arrêt du 1er mars 20233, la Cour de cassation a confirmé cette liberté en ces termes : « Il ne résulte d’aucun texte ni d’aucun principe qu’une société mère a, lorsqu’elle cède les parts qu’elle détient dans le capital social d’une filiale en état de cessation des paiements, l’obligation de s’assurer, avant la cession, que le cessionnaire dispose d’un projet de reprise garantissant la viabilité économique et financière de cette filiale. »
Cet arrêt a semblé limiter la responsabilité de l’ancien actionnaire en cas d’échec de la reprise. Il a été abondamment commenté voire critiqué car il laissait ouvertes de nombreuses questions. Que veut dire exactement « garantir » la viabilité économique et financière ? Est-ce une obligation de résultat ou de moyen ? Pendant combien de temps ? Est-ce qu’une liquidation judiciaire douze mois après la cession est équivalente à une liquidation judiciaire trente-six mois après la cession ? Est-ce que la solution ne s’applique qu’aux filiales en « état de cessation des paiements » au moment de la cession ?
C’est donc en toute logique que, le 7 mai 2025, la Cour de cassation a clarifié sa position en reprenant la solution déjà posée mais en amorçant une double évolution. Le principe d’irresponsabilité doit être ignoré en cas de fraude. Il s’applique à la filiale ou la branche d’activité déficitaire sans se limiter à la définition étroite de l’état de cessation des paiements. Au cas d’espèce, la responsabilité de la société mère (DHL) n’a pas été retenue mais trois ans s’étaient écoulés depuis la sortie de la filiale déficitaire !
Diriez-vous que l’ancien actionnaire qui a cédé une société en difficulté jouit d’une sorte de totem d’immunité ?
Non, pas de totem d’immunité pour la société mère !
Il est aujourd’hui clair que la société mère qui cède les titres de sa filiale ne peut le faire dans le seul objectif de ne pas avoir à subir le coût de sa fermeture. Autrement, elle commettrait une cession frauduleuse. La Cour de cassation a bien fait de rajouter les mots « sauf cas de fraude » à son attendu de principe de l’arrêt de 2023. Et les cas de fraude peuvent être légion. Une société mère qui céderait une filiale déficitaire juste avant la fin d’un contrat important pour la filiale aurait naturellement des comptes à rendre.
D’une manière générale, un devoir de vigilance s’impose de plus en plus aux groupes de sociétés. Dès lors, une société mère sérieuse et responsable aura bien raison de s’assurer du financement du projet de reprise et d’effectuer des diligences sur son repreneur, notamment sur sa surface financière. Les juridictions du fond continuent d’être exigeantes. Un dépôt de bilan de la filiale quelques mois après la cession n’est tout bonnement pas acceptable.
Recommandez-vous toujours le recours à une conciliation homologuée en cas de cession d’une filiale déficitaire ?
Les bonnes pratiques de place n’ont pas changé avec l’arrêt de la Cour de cassation du 7 mai 2025.
Une conciliation homologuée est toujours recommandée en distressed M&A. Elle augmente les chances de succès de la reprise car elle requiert un important travail préparatoire en amont. Elle oblige ainsi les parties prenantes à se poser ex ante toutes les questions relatives à la pérennité de l’activité cédée. Elle est aussi utile en cas d’échec de la reprise. Elle permet notamment à la société mère cédante et au cessionnaire de rappeler au liquidateur et aux salariés de la filiale les conditions dans lesquelles l’opération de distressed M&A a été structurée en toute transparence.
1. Avec la participation de Me Jean Ginestet, avocat à la Cour, King & Spalding.
2. Cass. com., 7 mai 2025, n° 23-16.700.
3. Cass. com. 1er mars 2023, n° 21-14.787.