Depuis l’entrée en vigueur de la loi du 27 mars 2017 relative au devoir de vigilance des sociétés mères (loi n° 2017-399 ; art. L. 225-102-1 et L. 225-102-2 du Code de commerce), les grandes entreprises sont tenues d’élaborer, de mettre en œuvre et de publier un plan de vigilance. Ce dernier vise à prévenir les atteintes graves aux droits humains, à la santé, à la sécurité des personnes ainsi qu’à l’environnement, causées par leurs activités, celles de leurs filiales ou de leurs partenaires commerciaux. L’Union européenne a étendu ce dispositif avec l’adoption de la directive CS3D (directive (UE) 2024/1760 du 13 juin 2024), laquelle concernera environ 3 400 groupes opérant en Europe.
Le Plan de vigilance s’inscrit dans une logique de prévention active. Il suppose l’identification, l’analyse et la hiérarchisation des risques réels et potentiels. En cas de défaillance, l’entreprise s’expose à des sanctions civiles (octroi de dommages-intérêts, injonctions sous astreinte, publication de la décision), mais aussi à des conséquences pénales accrues. Ces dernières concernent notamment le droit pénal du travail, de l’environnement et de la probité, dans un contexte où les obligations préventives servent désormais d’ancrage à l’engagement de la responsabilité pénale des personnes morales (Cass. crim. 17 octobre 2023, n° 22-84.021) comme de leurs dirigeants. Ces derniers voient d’ailleurs leur marge de manœuvre se restreindre, les exigences posées par la jurisprudence quant à la validité des délégations de pouvoir s’étant durcies (Cass. crim. 4 avril 2023, n° 21-81.742). Surtout, un tournant est franchi avec la reconnaissance récente du harcèlement moral institutionnel (Cass. crim. 21 janvier 2025, n° 22-87.145), qui consacre une responsabilité diffuse mais redoutablement efficace.
Dès lors, la conformité ne peut plus être envisagée comme un exercice normatif figé. Si les lignes directrices de l’Agence française anticorruption ont pu être perçues comme imposant un modèle rigide, la pratique démontre au contraire l’impératif d’une approche dynamique, sur mesure, conçue pour évoluer au rythme des activités de l’entreprise. Un arrêt de la cour d’appel de Paris illustre parfaitement cette exigence : une cartographie générique, sans réelle prise en compte des spécificités opérationnelles, temporelles ou géographiques de la société, a été jugée insuffisante (CA Paris, 17 juin 2025, n° 24/0519).
Si l’intelligence artificielle peut apparaître comme une solution aux devoirs de vigilance par l’automatisation de la conformité, elle suppose l’exploitation de vastes volumes de données sensibles, posant des enjeux majeurs de protection au regard du règlement sur l’intelligence artificielle (règlement (UE) 2024/1689) et du RGPD (règlement (UE) 2016/679). La conformité technique ne saurait ainsi se faire au détriment des droits fondamentaux.
Le Parquet national financier, dans ses lignes directrices du 16 janvier 2023, prend en compte la robustesse du dispositif de conformité pour accorder ou refuser une convention judiciaire d’intérêt public et en déterminer le montant. Une politique de conformité lacunaire peut ainsi aboutir à une sanction plus lourde.
Dans cette logique, les entreprises doivent transformer la contrainte en levier stratégique. Intégrer la conformité dans les procédures disciplinaires internes, en faire un indicateur de performance (KPI), garantir la traçabilité des risques, renforcer la formation, s’aligner sur des normes ISO : autant de piliers concrets d’une conformité démontrable, susceptible de sécuriser les relations avec les tiers comme avec les autorités.
Conscients des menaces judiciaires grandissantes, les dirigeants les plus avertis souscrivent des assurances spécifiques couvrant leurs frais de défense en cas de procédure pénale complexe. En parallèle, ils s’entourent de cabinets d’avocats spécialisés capables de conduire des investigations internes et de bâtir une stratégie de réponse rapide. Cette capacité d’anticipation devient d’autant plus cruciale à l’heure d’une coopération internationale croissante entre autorités administratives, judiciaires et fiscales.
Le tissu économique français peut s’enorgueillir de sa dimension internationale. Une immense partie des grands groupes français ont soit des filiales, soit des partenaires implantés aux quatre coins du globe.
Plus que jamais, les grandes entreprises et les secteurs sensibles (finance, énergie, armement, agroalimentaire, industrie, etc.) sont ciblés directement ou à travers leurs sous-traitants et partenaires, afin de causer un préjudice réputationnel majeur soit pour déstabiliser la France, soit dans une dynamique de conquête de marché dans un monde concurrentiel agressif.
Dans un contexte de guerre économique, particulièrement offensif, mais aussi de guerre hybride employant des leviers de déstabilisation, la prise en considération des mécanismes d’influence/contre-influence et d’attaque réputationnelle, par le truchement du déclenchement de procédures judiciaires locales ou extraterritoriales, très souvent, fondées sur des accusations d’atteinte à la probité, doit également être intégrée. Régulièrement, par exemple, nos cabinets sont sollicités par des entreprises françaises dont des partenaires ou des dirigeants de filiales sont injustement accusés de corruption en Afrique, dans un contexte de perte de marché et de conquête des entreprises chinoises ou russes ou de compétiteurs occidentaux. La réplique suppose de disposer d’un système de conformité solide.
Seul un accompagnement robuste, reposant à la fois sur une direction juridique avertie, sur des composantes spécialisées en conformité internationale en alerte permanente, mais aussi sur le recours à un cabinet d’avocats capable de déployer rapidement ses compétences n’importe où dans le monde et de naviguer dans les complexités géopolitiques, permet de faire face à ces nouveaux enjeux.
En définitive, la conformité en 2025 ne peut être pleinement efficace que si elle est pensée comme un processus à la fois global, proactif et intégré. Elle suppose également une coordination étroite entre juristes, avocats, communicants et directions générales.
Le dialogue constant avec les équipes de conformité, à condition qu’elles soient dotées de moyens suffisants, demeure la clé de voûte d’une gouvernance résiliente.