La lettre des fusions-acquisition et du private equity

Dossier : Les opérations nécessitant l’autorisation d’un tiers

Les droits des tiers cocontractants de la société cible dans les opérations de M&A

Publié le 7 juillet 2023 à 12h57

LANDRE, Stéphane    Temps de lecture 11 minutes

Bien qu’ils n’en soient pas les acteurs principaux, les tiers cocontractants de la société cible peuvent être amenés à jouer les « invités surprises » du processus d’acquisition. Une situation fréquente dans les Asset Deals mais parfois également dans les Share Deals, tout particulièrement lorsque la société cible bénéficie d’un endettement bancaire.

Par Aliénor Fevre, avocat counsel en droit commercial. Elle a développé une expertise particulière en droit commercial international et en matière de responsabilité du fait des produits défectueux. <alienor.fevre@cms-fl.com> David Mantienne, avocat counsel en corporate/ fusions et acquisitions. Il intervient principalement en matière d’opérations de fusion-acquisition, de private equity et de restructuration de groupes de sociétés, pour des clients tant français qu’étrangers. <david.mantienne@cms-fl.com> Alexandre Chazot, avocat counsel en droit bancaire et financier. Il intervient notamment dans le cadre d’opérations de financement structurés, tant en France qu’à l’étranger. <alexandre.chazot@cms-fl.com>

Asset Deals : l’absence de cession de plein droit des contrats

Le fonds de commerce est constitué de l’ensemble des moyens corporels et incorporels affectés à l’exploitation d’une activité commerciale, en vue de satisfaire une clientèle. Parmi ces éléments, se retrouvent la clientèle (élément primordial sans lequel aucun fonds n’existe), le nom commercial, la marque, le droit au bail, le matériel et les équipements, les stocks, etc.

En sus de ces éléments, certains des contrats conclus par le commerçant titulaire du fonds de commerce peuvent s’avérer indispensables à la poursuite de l’activité transférée au cessionnaire. Par principe, ces contrats ne sont pas transmis automatiquement à l’acquéreur du fonds (exception faite notamment des contrats d’assurance et des contrats de travail).

D’expérience, les contrats conclus avec les principaux fournisseurs ou distributeurs du cédant revêtent souvent une telle importance. Pour que ces conventions soient valablement cédées, cela nécessite l’accord du cédant, du cessionnaire et du contractant cédé.

L’accord du cédant et du cessionnaire est généralement formalisé dans l’acte de cession. L’accord du tiers cédé peut avoir été donné par anticipation dans l’acte initialement conclu avec le vendeur. Dans cette hypothèse, la cession ne sera opposable au contractant cédé que si l’acte de vente lui est notifié ou s’il en prend acte. L’accord du tiers cédé peut également résulter d’une autorisation spécifique qu’il donne en réponse à une demande formulée en ce sens par le cédant (souvent conjointement avec le cessionnaire) au moment de la vente.

En l’absence d’accord exprès du contractant cédé et sauf clause contraire figurant à l’acte, le cédant reste tenu solidairement avec le cessionnaire à l’exécution du contrat cédé, et n’est donc pas libéré à ce titre pour l’avenir.

D’un point de vue pratique, cela signifie tout d’abord que les opérations de Due Diligence sont essentielles car elles permettent d’identifier les contrats cessibles et de respecter les conditions de cession applicables. Ensuite, que tout acte de cession de fonds de commerce doit être rédigé de façon particulièrement réfléchie quant à cette question du transfert des contrats : il convient notamment d’y énumérer les contrats cédés ou devant être cédés, d’y définir les canaux de communication à mettre en place pour obtenir l’accord des cocontractants cédés (ou à tout le moins pour les informer de cette cession si l’accord a été donné par anticipation), d’y convenir des conséquences de l’absence de transfert de certains contrats (remise en cause éventuelle de la vente ou révision du prix de cession par exemple).

Dans un tout autre registre, la commune du lieu où se situe le fonds de commerce cédé est un tiers dont l’accord est parfois nécessaire. Toute cession à titre onéreux d’un fonds de commerce situé au sein d’un périmètre de sauvegarde du commerce et de l’artisanat de proximité est soumise, conformément à l’article L.214-1 du Code de l’urbanisme, à un droit de préemption municipal. Dans ce cas, et à peine de nullité, la vente doit être précédée d’une déclaration faite par le cédant à la commune deux mois au moins avant la date de réalisation de la cession, ladite déclaration devant comporter des indications précises quant aux salariés transférés, au bail cédé et au prix convenu. L’absence de réponse de la commune dans les deux mois suivant la date de réception de cette déclaration équivaut à renonciation de la commune à exercer son droit de préemption.

Cédant et cessionnaire ne détiennent donc pas à eux seuls les clefs du succès d’une opération d’Asset Deal.

Share Deals : le principe du maintien des contrats

Lorsqu’en lieu et place d’un Asset Deal, l’opération prend la forme d’une cession de droits sociaux emportant changement de contrôle de la société concernée, la transaction est en principe sans incidence sur les contrats auxquels l’entité cédée est partie. En vertu d’une jurisprudence désormais constante, la cession de la totalité ou de la majorité des titres d’une société ne peut être assimilée à la cession du fonds de commerce - ou des autres éléments - qui figurent à l’actif de la société. Sauf à établir le caractère fictif de cette dernière, il résulte du principe d’autonomie de la personne morale que celle-ci reste inchangée malgré le changement de contrôle dont elle fait l’objet, les contrats qui la lient se voyant maintenus quand bien même ils revêtiraient un caractère intuitu personae. Ainsi, le bénéficiaire d’un pacte de préférence applicable en cas de cession par une société de son fonds de commerce s’est-il vu dénier tout droit à l’occasion de la cession à un tiers des actions de la société propriétaire du fonds, faute pour cette opération d’être visée par le pacte (1).

L’écran social peut toutefois être levé au travers d’une stipulation gouvernant les effets qu’une cession massive de droits sociaux aura sur le contrat. Les clauses dites de changement de contrôle, dont la validité a été consacrée de longue date par les tribunaux, permettent ainsi d’acter que « la personne des dirigeants, la forme d’organisation, les objectifs sociaux, les alliances, les stratégies ou les méthodes » d’une société peuvent constituer autant d’éléments déterminants pour un cocontractant (2). La licéité de ces clauses destinées à pérenniser ces éléments doit cependant s’apprécier en recherchant si les contraintes qu’elles prescrivent (qui peuvent aller de la renégociation du contrat jusqu’à sa résiliation, de plein droit ou au bon vouloir du cocontractant) restent nécessaires et proportionnées. Leur raison d’être vise généralement à protéger le cocontractant de ses concurrents, à préserver la confidentialité ou encore à assurer le maintien d’un certain niveau de garantie. Il convient en tout état de cause que ces clauses soient exécutées de bonne foi, et que leur mise en œuvre éventuelle repose sur des motifs légitimes.

Figure imposée du processus d’acquisition, la phase de Due Diligence doit impérativement être mise à profit pour appréhender cette problématique. L’exercice consistera en premier lieu pour le cessionnaire à recenser les conventions qu’il juge essentielles à l’exercice post-acquisition par la société cible de ses activités (contrats de franchise, de concession ou de licence par exemple). Une fois inventoriées, celles-ci devront être auditées afin d’identifier les leviers dont dispose chaque partenaire clef sur sa relation contractuelle avec la cible à raison de l’opération envisagée, en analysant avec soin la nature du changement de contrôle en cause, qui peut par exemple être direct ou indirect. Il conviendra alors de ne finaliser la transaction qu’une fois ces relations pérennisées, en érigeant au besoin ce préalable en condition suspensive de l’opération.

Autre point d’attention : on rappellera que l’article L.227-17 du Code de commerce permet de prévoir dans les statuts de SAS que toute société associée dont le contrôle viendrait à être modifié au sens de l’article L.233-3 du même Code (c’est-à-dire tant directement qu’indirectement) doit en informer la société. Celle-ci peut alors décider de suspendre les droits non pécuniaires de l’associé ayant changé de contrôle (au premier rang desquels le droit de vote), et de l’exclure de la SAS concernée. Un audit rigoureux s’imposera là encore.

Aspects relatifs à l’endettement bancaire de la cible

La mise en place d’opérations de M&A oblige souvent les sociétés concernées (acquéreur et cible notamment) à s’assurer que ce projet n’est pas en contradiction avec leurs engagements contractuels en cours. En particulier, lorsque la cible bénéficie d’endettements financiers, acquéreur et cédant devront s’assurer que l’acquisition ne contrevient pas aux engagements bancaires de la cible ou, à défaut, trouver un moyen de rendre ces engagements inapplicables. La cible et ses actionnaires (les cédants) s’attacheront donc en premier lieu à identifier quels sont les engagements bancaires de la cible (s’il en existe) susceptibles de faire obstacle à l’opération d’acquisition envisagée (par la production notamment de vendor due diligence). L’acquéreur pourra lui soit se baser sur les informations transmises par les cédants, soit effectuer sa propre analyse. De manière générale, les contrats de crédit imposent fréquemment à l’emprunteur un certain nombre d‘obligations et d‘engagements qui seront à respecter soit jusqu’à leur date de maturité finale, soit jusqu’à leur remboursement anticipé total ou leur refinancement. Ces obligations peuvent prendre la forme de « déclarations et garanties » devant être réitérées à certaines dates précises de la vie du contrat (comme par exemple chaque date de tirage ou de remboursement), d’engagements de faire ou de ne pas faire, ou encore de cas de remboursement anticipé obligatoire (les «RAO»).

Dans le cas où la société cible a conclu un ou plusieurs contrats de financement qui sont en cours au moment de son acquisition, les parties s’intéresseront prioritairement aux clauses de changement de contrôle prévues par ces contrats. Ces clauses prévoient de façon quasi-systématique qu’un cas de RAO sera caractérisé dès lors que l’actionnariat de l’emprunteur est modifié (moyennant une possible souplesse). La cible emprunteuse et ses actionnaires peuvent également s’être engagés à ne pas réaliser certaines opérations, telles que la souscription d’un nouvel endettement par un membre du groupe auquel la cible appartient, ou le changement de ses dirigeants. Si l’opération envisagée a pour conséquence ce type de modifications, ces éléments seront également à prendre en compte par l’acquéreur pour mener à bien son projet.

Deux solutions s’offrent généralement au candidat acquéreur. Lorsque celui-ci souhaite maintenir les contrats de financement existants, il devra, en coopération avec les cédants et la cible (le cocontractant), contacter le ou les créanciers bancaires pour obtenir un waiver (ou renonciation) concernant l’application des clauses le justifiant (changement de contrôle, engagement de ne pas faire, etc.). Les discussions devront être initiées suffisamment en amont pour que l’accord de waiver soit donné de manière inconditionnelle au jour de la réalisation de l’acquisition. A titre alternatif, l’acquéreur pourra souhaiter procéder au refinancement de l’endettement existant, par exemple en souscrivant lui-même une nouvelle dette. Une fois la dette bancaire de la société cible remboursée, le contrat bancaire initial sera éteint et l’opération d’acquisition pourra alors se faire. Acquéreur et cédant devront alors étudier ensemble les conditions de ce refinancement (préavis, indemnités, commissions, etc.) pour s’assurer que la charge financière reste acceptable. Si l’endettement refinancé est lui-même grevé de sûretés consenties par le groupe cible, l’acquéreur devra également obtenir leur mainlevée inconditionnelle, en une ou plusieurs étapes.

La situation peut également s’avérer plus structurée lorsque l’acquéreur finance l’opération via la mise en place d’une dette d’acquisition. Il devra en parallèle discuter avec ses banques de la stratégie à adopter concernant les engagements financiers de la cible (notamment si une dette complémentaire de refinancement est requise). Les nouveaux prêteurs regarderont alors avec attention la question du maintien éventuel de la dette existante de la cible et des sûretés qui la garantissent. 

1.  Com. 29 janv. 2013, n° 11-23.676.

2. Voir CA 25 janv. 1995, n° 93-17.113.


La lettre des fusions-acquisition et du private equity

Opérations de M&A : attention au contrôle des investissements étrangers

CMS Francis Lefebvre    Temps de lecture 4 minutes

La France est dotée d’un régime d’autorisation des investissements étrangers réalisés dans certains secteurs « sensibles ». Les investisseurs étrangers sont donc, pour certaines de leurs opérations, soumis à une obligation de notification et d’autorisation préalable par le ministre en charge de l’Economie, dont le défaut peut exposer à de lourdes sanctions.

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