La lettre des fusions-acquisition et du private equity

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Amendement Charasse et déduction des charges financières : à qui perd gagne ?

Publié le 22 mars 2022 à 16h15

CMS Francis Lefebvre    Temps de lecture 4 minutes

Par Laurent Hepp, avocat associé en fiscalité. Il intervient tant en matière de fiscalité des entreprises et groupes de sociétés qu’en fiscalité des transactions et private equity / et Vincent Forestier, avocat en fiscalité. Il conseille au quotidien des sociétés dans le cadre de leurs problématiques en fiscalité directe ainsi que dans leurs opérations d’acquisitions, de capital-transmission et de restructuration.

Le dispositif dit de l’amendement Charasse vise à lutter contre les opérations de « rachat à soi-même », consistant à endetter une société membre d’un groupe d’intégration fiscale afin d’acquérir auprès d’un actionnaire qui la contrôle au sens de l’article L.233-3 du Code de commerce une société qui devient membre du même groupe. Son application entraîne la réintégration dans le résultat d’ensemble de l’exercice d’acquisition et des huit exercices suivants, d’une fraction des intérêts de cette dette d’acquisition.

Une appréciation extensive du contrôle pour l’amendement Charasse …

Le Conseil d’Etat a eu l’occasion de juger que ce dispositif s’applique aux opérations de LBO quand le cédant intègre la holding de reprise dans des conditions telles qu’un « contrôle conjoint » puisse être caractérisé entre lui et les actionnaires de ladite holding1. 

L’article L.233-3 précité indique à cet égard que « deux ou plusieurs personnes agissant de concert sont considérées comme en contrôlant conjointement une autre lorsqu’elles déterminent en fait les décisions prises en assemblée générale ».

Deux conditions doivent donc être réunies pour établir un « contrôle conjoint » : l’action de concert et la détermination « en fait » des décisions prises en assemblée générale (AG).

Dans une affaire récemment soumise au Conseil d’Etat2, le litige s’est cristallisé sur la seconde condition.

Pour apprécier la détermination « en fait » des décisions prises en AG, les règles de vote peuvent être déterminantes. Le constat qu’un actionnaire peut s’opposer aux décisions prises en AG, soit qu’il dispose d’un droit de veto, soit qu’une majorité qualifiée soit prévue, est susceptible de caractériser ce contrôle de fait, l’adoption de ces décisions impliquant l’accord des « concertistes ».

Selon le rapporteur public, il conviendrait toutefois de distinguer les décisions stratégiques des décisions relevant de la protection normale des actionnaires, la détermination des premières permettant à elle seule de caractériser l’existence du contrôle conjoint.

La Haute-Juridiction, sans expressément reprendre cette distinction, énumère avec soin les décisions qui, dans cette affaire, nécessitaient un vote commun : nomination des membres du conseil de surveillance, du personnel dirigeant et approbation des principales décisions d’investissement, décisions vraisemblablement stratégiques. Il a également relevé (à supposer que cela soit révélateur) que les actionnaires n’avaient pas été en désaccord au cours de la période en litige, à l’exception de deux décisions relatives à une augmentation de capital réservée aux salariés qui, selon le rapporteur public, ne traduisaient que la volonté des actionnaires de protéger leurs investissements financiers. Au demeurant, ce dernier relève de manière surprenante que ce désaccord était postérieur aux années en litige, et donc sans incidence, dès lors que l’amendement Charasse « impose de vérifier l’existence d’un contrôle conjoint au titre de chacun des exercices. »

Ce sont donc, tant les clauses de statuts et des pactes d’actionnaires que leur application factuelle effective, que les opérateurs devraient veiller à analyser, exercice par exercice, pour apprécier l’application de ce dispositif défavorable.

… extension transposable à la règle du « taux de marché » ? 

L’appréciation extensive du contrôle conjoint retenue par le Conseil d’Etat pour l’application de l’amendement Charasse pourrait toutefois trouver un écho favorable s’agissant d’un autre dispositif : celui limitant le taux d’intérêt fiscalement déductible des prêts d’actionnaires. 

La caractérisation d’un contrôle par le prêteur pour les besoins de ce dispositif ouvre en effet la possibilité à la société emprunteuse de déduire un taux « de marché » supérieur au taux fiscal précité, sous réserve qu’il soit dûment justifié. Bien que la notion de contrôle n’y soit pas définie en des termes identiques, certaines Cours administratives d’appel se sont récemment référées, pour l’application de ce dispositif favorable, à l’existence d’un simple contrôle conjoint incluant le prêteur3. Ainsi, pour le prêteur minoritaire directement associé, le contrôle conjoint pourrait aussi s’avérer fiscalement gagnant ! 

1. CE, 1er février 2018 n° 412155 et CE, 15 mars 2019, n° 412155, SAS Mi Développement 2.

2. CE, 6 décembre 2021, n° 439650, SAS Financière des Eparses.

3. CAA Versailles, 28 Septembre 2021, n° 19VE00546 et CAA Paris, 17 Décembre 2021, n° 20PA00565.


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