La lettre des fusions-acquisition et du private equity

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Le piège des sociétés en formation

Publié le 22 mars 2022 à 16h23

CMS Francis Lefebvre

Par , avocat associé, responsable de la Doctrine juridique, professeur à l’école de droit de l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne.

Le droit français permet depuis longtemps aux sociétés qui se constituent de ne pas avoir à attendre leur immatriculation au registre du commerce et des sociétés pour accomplir des actes juridiques. Cela est très utile car entre le moment où l’on décide de constituer une société et la date à laquelle celle-ci devient une personne morale capable de contracter, plusieurs mois peuvent s’écouler. Or, la préparation de l’activité de la future société suppose fréquemment que des contrats soient conclus, par exemple pour prendre à bail un local ou pour sécuriser une relation avec un fournisseur.

Le droit des contrats permet de résoudre la difficulté que suscite l’absence de personnalité morale dans la période précédant l’immatriculation, mais il ne le fait qu’imparfaitement. Certains, parmi les futurs associés, vont conclure le contrat dont la future société aura besoin, et elle le reprendra lorsqu’elle sera devenue une personne morale. C’est simple, mais il y a une double contrainte. Tout d’abord, cela signifie que ceux qui signent le contrat sont directement et personnellement engagés à titre principal, et pas seulement comme garants. Ensuite, il faut s’assurer que le tiers qui contracte consentira à la reprise par la société une fois celle-ci immatriculée et à la libération des signataires initiaux.

Le dispositif de reprise des actes

Pour éviter ces différentes contraintes, le législateur met donc à la disposition des sociétés un dispositif de reprise – automatique ou non, en fonction de la modalité choisie – qui libère les personnes qui ont signé initialement l’acte et ne suppose pas que le cocontractant doive consentir à la reprise. Ce mécanisme de reprise est détaillé par les articles 1843 du Code civil et L.210-6 du Code de commerce, et complété par des dispositions réglementaires.

En synthèse, les contrats conclus pour le compte de la société pendant la période qui précède son immatriculation soit (1) figurent dans un état annexé aux statuts de la société, soit (2) sont accomplis en vertu d’un mandat donné par les associés de la future société, soit (3) sont repris sur décision des associés une fois la société immatriculée. Les modalités (1) et (2) emportent une reprise automatique des actes concernés quand l’immatriculation intervient, tandis que la modalité (3) suppose une décision des associés. Mais une condition est systématiquement requise : il faut que l’acte ait été accompli, selon les articles précités, « au nom d’une société en formation » pour que le dispositif de reprise puisse prendre effet.

Un piège à éviter

Le contrat doit donc être conclu pour le compte d’une société en formation. Bien que la loi ne formule pas de condition de forme particulière quant à cette prise en compte de la société en formation dans le contrat, la Cour de cassation a exigé de manière répétée ces dernières années que l’acte soit accompli, non pas « par la société en formation X, représentée par Y », mais « par Y, agissant pour le compte de la société en formation X ». On ne voit a priori pas de différence véritable entre les deux formulations, mais si l’on recourt à la première, les juges considèrent que l’acte a été accompli par une société dépourvue de personnalité morale, et qu’il est donc frappé par une nullité absolue1. Il faut recourir à la seconde formulation pour respecter le cadre légal des actes conclus pour le compte d’une société en formation. En pratique, il est important de connaître cette exigence, qui n’est pas clairement fondée sur un texte, si l’on ne veut pas fragiliser les premiers contrats conclus pour le compte de la société, qui peuvent comme on le sait être parmi les plus importants. 

1. V. en dernier lieu Cass. com., 19 janv. 2022, n° 20-13719.


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