La lettre gestion des groupes internationaux

Fiscalité internationale en 2021 : morceaux choisis

Seule une analyse fonctionnelle fine permet de valider une politique de prix de transfert

Publié le 26 novembre 2021 à 10h04

PwC Société d’Avocats    Temps de lecture 5 minutes

Par Pierre Escaut, avocat, associé, PwC Société d’Avocats

Dans deux arrêts du 4 octobre dernier1, le Conseil d’Etat apporte un éclairage inédit sur la façon dont il convient de mener une analyse fonctionnelle et d’en tirer les conséquences sur la méthode de prix de transfert applicable.

Dans la situation considérée, la société RKS avait une activité de fabrication de roulements qu’elle vendait à des filiales de distribution du groupe SKF auquel elle appartenait.

L’administration avait remis en cause lors d’un contrôle ses déficits sur les exercices 2009 et 2010, et quantifié le redressement en se référant aux marges nettes réalisées par des sociétés comparables (méthode dite transactionnelle de la marge nette). 

Il n’y avait pas de désaccord quant à la démarche à adopter pour juger de la normalité des prix de transfert : réalisation d’une analyse fonctionnelle, justification sur cette base de la méthode de prix de transfert, et référence à des comparables pour appliquer la méthode retenue.

Le litige portait sur le statut fonctionnel de la société RKS : l’administration avait considéré qu’il s’agissait d’une entité de routine et non d’un entrepreneur principal. La société RKS ne pouvait donc pas subir des pertes d’après l’administration, et sa marge nette devait être fixée par référence à celle de sociétés comparables. Après une décision du tribunal administratif de Montreuil favorable au contribuable, la cour administrative de Versailles avait validé la position de l’administration.

Dans ses conclusions suivies par le Conseil d’Etat qui renvoie l’affaire à la cour administrative d’appel, le rapporteur public du Conseil d’Etat avait souligné que l’analyse de la cour administrative d’appel de Versailles, qui s’était focalisée sur le fait que la société RKS n’était pas l’entrepreneur principal du groupe, ne justifiait pas le redressement; plutôt que d’opposer de manière manichéenne et simplificatrice les concepts d’entrepreneur principal et d’entités de routine et savoir dans laquelle de ces catégories entrait la société RKS, il convenait d’examiner la façon dont la société RKS interagissait en pratique avec les filiales de distribution ; ces éléments de fait étaient nécessaires pour apprécier les fonctions et risques respectifs de la société RKS et des filiales de distribution. 

Le rapporteur public avait notamment relevé que c’était bien la société RKS qui fixait à partir du coût standard de production les prix de vente des filiales aux clients finaux, et que la cour administrative d’appel avait fait un amalgame sur ce point avec les prix de vente aux filiales qui n’étaient définis par le groupe que pour appliquer la politique de prix de transfert en assurant aux filiales de distribution une marge prédéfinie. Il avait par ailleurs noté le peu d’éléments précis fournis sur le profil fonctionnel des filiales de distribution.

S’agissant de l’analyse des risques, le Conseil d’Etat a rappelé que, conformément aux Principes de l’OCDE applicables en matière de prix de transfert, une société peut supporter un risque économique lorsqu’elle dispose des fonctions de contrôle et d’atténuation de ce risque, et la capacité financière de le supporter. Là encore, le fait que la société RKS n’avait pas le statut d’entrepreneur principal au sein du groupe ne permettait pas d’établir qu’elle n’était pas en mesure de porter les risques qu’elle invoquait et qui la différenciait d’une simple unité de production, soit le risque opérationnel lié à l’efficacité des processus de production, ainsi que le risque stratégique lié à ses propres choix de développer de nouveaux produits. 

En ce qui concerne enfin les pertes supportées par la société RKS, de la même façon qu’il n’était pas pertinent de savoir si la société RKS avait un rôle entrepreneurial au sein du groupe dans son entier, le Conseil d’Etat a considéré qu’il n’y avait pas lieu d’opposer les pertes de la société RKS aux profits consolidés du groupe SKF;  la cour n’avait par ailleurs pas répondu sur ce point à l’argumentation de la société RKS selon laquelle ses pertes étaient la conséquence du risque stratégique qu’elle avait assumé en décidant de se repositionner sur le marché de l’éolien.

Ces constatations globales de l’administration par référence au groupe dans son ensemble, soit le fait que la société SKF n’était pas l’entrepreneur principal du groupe et que ses résultats étaient inférieurs à ceux du groupe, ne permettaient pas de répondre à la question posée, soit si la répartition des profits entre la société RKS et les filiales de distribution était ou non correcte compte tenu de leur rôle respectif. 

Le Conseil d’Etat confirme ainsi la nécessité d’avoir une approche pragmatique et factuelle en matière de prix de transfert, et le fait que des pertes ne sont pas répréhensibles en tant que telles même dans une situation où la société française considérée n’est pas l’entrepreneur principal du groupe. Seule une analyse fonctionnelle détaillée tant de la société française que des parties liées étrangères permet de conclure quant à la normalité de pertes supportées en France. 

1. Conseil d’Etat, 8ème et 3ème chambres réunies, 04/10/2021, n°443133 (Société SKF Holding France)  et n°443130 (Société RKS).


La lettre gestion des groupes internationaux

Sortie du LIBOR, attention aux prix de transfert

PwC Société d’Avocats

Clé de voute du système financie (1), les taux interbancaires IBOR tels que le London Interbank Offered Rate (« LIBOR ») sont largement employés à l’échelle mondiale comme composante tarifaire de prêts, obligations, dérivés et autres instruments à taux variable. Leur disparition fin 2021 (2), suite à des manipulations de grande ampleur, mais également au Brexit (3), soulève des enjeux de fond significatifs pour les acteurs financiers mais aussi corporate dont les transactions financières (prêts, cash pools, options, affacturage, garanties…) et accords commerciaux font référence au IBOR. Pour les multinationales employant les taux IBOR dans leurs transactions intragroupes, la transition aux taux sans risque alternatifs soulève des enjeux prix de transfert, car ces derniers présentent des caractéristiques fondamentalement différentes.

Lire l'article

Consulter les archives

Voir plus

Chargement en cours...

Chargement…