La lettre gestion des groupes internationaux

Fiscalité internationale en 2021 : morceaux choisis

Régime mère-fille pour une succursale : la durée de détention des titres s’apprécie au niveau de la maison mère et non à celui de la succursale

Publié le 26 novembre 2021 à 10h00

PwC Société d'Avocats    Temps de lecture 7 minutes

Par Philippe Durand, avocat, associé, PwC Société d’Avocats et Valérie Aelion, avocate, PwC Société d’Avocats

Un arrêt de la Cour administrative d’appel de Paris (CAA Paris 20 juillet 2021, n° 19PA03109, Sté QBE Insurance Europe Limited) a récemment retenu l’attention s’agissant de l’application du régime mère-fille.   

Les faits étaient les suivants : une société d’assurance de droit britannique, assujettie à l’impôt sur les sociétés au Royaume-Uni, disposait en France d’une succursale constitutive d’un établissement stable. Dans le cadre d’une réclamation contentieuse, elle a sollicité pour cette dernière l’application du régime mère-fille, prévu aux articles 145 et 216 du CGI, au titre de dividendes qu’elle avait perçus de deux de ses filiales et dont une partie avait été réallouée à la succursale. L’administration a rejeté sa demande au motif qu’en l’absence d’inscription des titres à l’actif de son bilan fiscal la succursale ne remplissait pas la condition de conservation des titres pendant deux ans. Le Tribunal administratif a dans un premier temps donné raison au contribuable, et la Cour administrative d’appel a par la suite confirmé la position des premiers juges.

Après avoir rappelé qu’il résultait des termes mêmes de l’article 145 du CGI que le régime fiscal de sociétés mères n’était applicable qu’aux sociétés et autres organismes soumis à l’impôt sur les sociétés qui détiennent des participations satisfaisant à certaines conditions, la  Cour a jugé, de façon inédite que le respect de la condition de détention depuis plus de deux ans des titres de participation ne saurait s’apprécier au niveau d’une succursale, laquelle ne jouit pas d’une personnalité morale ni d’un patrimoine  distincts de ceux de la société mère, et que c’est donc à tort que l’administration a refusé à la société le bénéfice du régime fiscal des sociétés mères aux revenus alloués à sa succursale française à raison de sa participation dans les sociétés distributrices. 

C’est l’article 145, 1 du CGI qui fixe les conditions que doivent satisfaire les titres de participation afin d’ouvrir droit au régime fiscal des sociétés mères. Il est notamment prévu que les titres de participation doivent avoir été conservés pendant un délai de deux ans. La détention des titres devant être directe, le critère qui permet d’apprécier le respect de cette condition est l’inscription des titres au bilan de la société bénéficiaire des dividendes. S’agissant du cas des succursales qui ne possèdent pas une personnalité morale distincte et qui ne sont pas, de ce fait, tenues d’établir un bilan comptable au même titre qu’une entreprise disposant de la personnalité morale, la condition de détention est généralement considérée comme matérialisée par l’inscription des titres à leur bilan fiscal. 

La doctrine administrative n’apporte pas de précision sur ce point. Les commentaires administratifs abordent en revanche le cas d’une société détenant au moins 5 % du capital d’une société étrangère réparti entre le portefeuille-titres de son siège social situé en France et celui d’une succursale exploitée à l’étranger et où chacun des deux groupes de titres pris séparément représente une proportion inférieure à 5 % du capital de ladite société. Il est précisé que pour l’appréciation du pourcentage minimal de participation la société participante est considérée comme détenant un pourcentage supérieur à 5 % du capital de la société étrangère (BOI-IS-BASE-10-10-10-20, n° 190).

En revanche, dès lors que les produits de la fraction de la participation figurant à l’actif de la succursale sise à l’étranger entrent dans la composition d’un bénéfice qui échappe à l’impôt sur les sociétés, en vertu du principe de la territorialité, ladite société ne peut être admise, pour l’établissement de cet impôt, à retrancher de son bénéfice imposable dans les conditions prévues à l’article 216 du CGI que les produits de la fraction de sa participation comprise dans le portefeuille-titres de son siège social situé en France (BOI-IS-BASE-10-10-10-20, n° 200).

On comprend que, pour fonder sa décision, la cour a considéré qu’en l’absence de personnalité morale de la succursale, c’est au niveau de l’entité juridique, donc de la société étrangère, que doivent s’apprécier les conditions de durée et de taux de détention des participations ouvrant droit au bénéfice du régime des sociétés mères et filiales. Quant à la condition d’inscription à un compte de titres de participation dans les écritures de la succursale française, la cour l’a écarté comme inopérante dès lors que l’appréciation se fait au niveau de la société et pas à celui de la succursale.

Cette affaire est également intéressante par les deux questions qui auraient pu être posées mais qui ne l’ont pas été.

La première concerne la liberté d’établissement, applicable dès lors que la société était résidente du Royaume Uni, alors encore membre de l’Union européenne. Cela étant la question de l’égalité de traitement entre filiale et succursale ne pouvait se poser au cas particulier dès lors que les titres n’étaient pas inscrits au bilan fiscal de la succursale, celle-ci se voyant simplement allouer une quote-part des dividendes perçus par le siège.

La seconde question concerne plus précisément la clé d’allocation des dividendes. Dans la présente affaire, la maison mère britannique avait perçu des dividendes de deux filiales dont les titres étaient inscrits à son bilan puis avait réalloué ces dividendes à ses différentes succursales en fonction de la nature et de l’activité de chacune d’elles, selon une clé de répartition déterminée sur la base de la quote-part représentée par chacune des succursales dans le montant total des provisions techniques. Cette pratique, courante dans le secteur de l’assurance, correspond à l’exigence de beaucoup d’Etats de faire bénéficier les succursales des revenus provenant du placement des actifs venant en garantie des risques qu’elles couvrent alors qu’elles n’ont pas d’obligation légale d’avoir des fonds propres du fait de leur statut de succursale et de leur absence de personnalité morale. Il est donc fréquemment exigé par les Etats de localisation des succursales qu’une quote-part des revenus procurés par les actifs détenus par le siège et venant en représentation des engagements portés par les succursales  soient alloués à ces dernières afin de garantir à ces Etats une base imposable identique à celle dont ils auraient bénéficié si l’activité avait exercé par une filiale. On notera qu’historiquement de nombreuses succursales détenaient des actifs directement en face de leurs engagements, mais elles les ont ensuite généralement transférés à leur siège pour une gestion centralisée plus efficace, d’où les revenus à leur allouer. 

Néanmoins, il ne semble pas que la situation spécifique des compagnies d’assurance ait influencé la décision des juges dans cette affaire, même si la solution retenue a le mérite, compte tenu de cette exigence communément admise en matière d’assurance, d’éviter la distorsion entre filiale et succursale qu’aurait pu engendrer la position de l’administration.  La solution retenue dans le présent arrêt devrait ainsi pouvoir s’appliquer de manière générale à l’ensemble des succursales constitutives d’un établissement stable quelle que soit l’activité exercée. 

On notera que cet arrêt a fait l’objet d’un pourvoi devant le CE (enregistré sous le n° 456719).  n


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