La lettre gestion des groupes internationaux

Fiscalité internationale en 2021 : morceaux choisis

Sortie du LIBOR, attention aux prix de transfert

Publié le 26 novembre 2021 à 10h45

PwC Société d’Avocats

Clé de voute du système financie (1), les taux interbancaires IBOR tels que le London Interbank Offered Rate (« LIBOR ») sont largement employés à l’échelle mondiale comme composante tarifaire de prêts, obligations, dérivés et autres instruments à taux variable. Leur disparition fin 2021 (2), suite à des manipulations de grande ampleur, mais également au Brexit (3), soulève des enjeux de fond significatifs pour les acteurs financiers mais aussi corporate dont les transactions financières (prêts, cash pools, options, affacturage, garanties…) et accords commerciaux font référence au IBOR. Pour les multinationales employant les taux IBOR dans leurs transactions intragroupes, la transition aux taux sans risque alternatifs soulève des enjeux prix de transfert, car ces derniers présentent des caractéristiques fondamentalement différentes.

Par Fabien Fontaine, avocat, associé, PwC Société d’Avocats et Timothée Huignard, PwC France

La réforme des principaux indices interbancaires est d’une ampleur considérable. S’agissant du LIBOR, à ce stade, des taux alternatifs sans risque ont été définis pour certaines régions et devises (par exemple, le SOFR pour l’USD, le SONIA pour la livre Sterling et le SARON pour le Franc Suisse). Au sein de l’Union Européenne, le Règlement « Benchmark » remplace définitivement l’EONIA par l’eSTR à compter du 1er janvier 2022 (4), et a revu fin 2019 la définition de l’EURIBOR, encore que des incertitudes subsistent sur l’avenir de ce dernier.

Cette transition emporte un enjeu pratique majeur, qui est celui de la mise en œuvre de ces taux alternatifs dans les contrats financiers ou commerciaux reposant antérieurement sur les taux IBOR. A ce jour, par exemple, les co-contractants souhaitant anticiper la sortie du LIBOR pouvaient mettre en œuvre par anticipation les nouveaux taux de référence, définir une date limite pour s’accorder sur les détails de la transition (généralement au Q3 2021), ou encore de stipuler le remplacement automatique du taux IBOR par le taux de référence à une date cible (celle où l’IBOR perd sa qualité d’indice de référence ou disparaît).

Pour les contrats standardisés (par exemple définis pour les dérivés), cette transition est gérée par les organisations professionnelles de régulation (pour les dérivés, par exemple, par l’International Swaps and Derivatives Association « ISDA »). La difficulté est toute autre pour les contrats autres, qui présentent un niveau important de personnalisation, et dont la mise à jour et éventuelle renégociation doit être envisagée au cas par cas. Dans le cas précis de transactions intragroupe, cette mise en place des nouveaux taux soulève des enjeux spécifiques de prix de transfert.

Enjeu de fond, d’une part : les caractéristiques des taux alternatifs sont distinctes de celles des taux IBOR, de sorte qu’ils ne sont pas, dans un référentiel de pleine concurrence, simplement substituables sans procéder à des ajustements de comparabilité.

Les taux alternatifs sont en effet des taux à un jour (contre jusqu’à un an pour les taux IBOR), et par ailleurs ces taux seront postcomptés rétrospectivement sur la base des transactions réellement effectuées sur le marché. Ce qui permet d’éviter la subjectivité inhérente aux taux IBOR, obtenus de manière déclarative auprès d’un panel de banques, mais présente l’inconvénient d’une absence de structure à terme, encore que des groupes de travail explorent des structures à terme pouvant être développées pour ces taux, essentielles à certains acteurs et catégories de produits (5).

A ces différences de terme s’ajoute une différence de profil de risque, car si les IBOR ne sont pas assortis de sûretés, c’est bien le cas de certains taux alternatifs (SOFR, SARON) ; plus généralement les taux alternatifs présentent des différences en termes de risque crédit (ne serait-ce qu’en raison de leur caractère overnight, ou du fait que les IBOR sont davantage exposés au risque crédit bancaire), ainsi que des différences de liquidité, entre autres.

En pratique, en raison de ces différences, une simple permutation des taux IBOR avec leur équivalent alternatif conduira à un taux d’ensemble différent (plus faible, toutes choses égales par ailleurs), et il est nécessaire de procéder à des ajustements de comparabilité, si courants en prix de transfert financiers, pour neutraliser l’effet de ces spécificités techniques.

Tout l’enjeu prix de transfert est de pouvoir justifier que ces ajustements sont conformes au principe de pleine concurrence, c’est-à-dire aux pratiques de marché entre tiers indépendants.

On pourra à ce titre se reporter aux recommandations des organisations professionnelles de régulation. L’ISDA propose des mécanismes adressant les écarts de terme susmentionnés (6) en exprimant les taux alternatifs sur une période similaire à l’IBOR (« Adjusted Reference Rate », reposant sur une approche « compounded setting in arrears ») ; pour certains taux de référence (SOFR) des moyennes d’intérêts composés sur des durées de 30, 90, et 180 jours ont été compilées. De même (7) est proposé un ajustement pour corriger les écarts structurels de profil de risque (« Spread Adjustment » fondé sur la médiane des observations historiques sur 5 ans au 5 mars 2021, c’est-à-dire la date de cessation du LIBOR pour les produits dérivés) (8). Ces ajustements (à ajouter au taux alternatif et à la marge de crédit) s’insèrent dans un ensemble plus large de recommandations de clause de repli (« fallback ») qui prévoit contractuellement les modalités de changement de taux de base à la cessation du IBOR (9).

Ce cadre institutionnel offre en première analyse un comparable de pleine concurrence solide. Toutefois il est conçu pour adresser les enjeux de transition de contrats de dérivés (d’où la date pivot susmentionnée du 5 mars, date de fin du LIBOR pour les dérivés, mais pas les prêts), et plus largement peut être considérée comme insuffisant dans certains territoires aux fins d’analyses prix de transfert. On pourra s’inspirer des méthodes complémentaires proposées par l’ISDA au titre de l’ajustement de terme (10). De même, les ajustements de risque crédit sont susceptibles d’approches alternatives : moyenne historique calculée au moment de la transaction et non pas au 5 mars, approche forward appliquant les forward spreads entre l’IBOR et le taux de référence ajusté pour durée, approche spot reposant sur la valeur spot du LIBOR et du taux de référence.

Au-delà de ces aspects très financiers, la transition IBOR comprend un second enjeu prix de transfert notable.

Contrairement aux contrats entre tiers, la plupart des accords intragroupe ne comprennent généralement de clauses de fallback – il est vrai que la gestion des risques externes est souvent privilégiée par les groupes. L’absence de ces clauses est un facteur d’instabilité, car le remplacement du taux IBOR implique la révision d’un élément central du contrat. Une telle modification pourrait être analysé par les autorités fiscales comme touchant de manière significative à l’économie d’ensemble du contrat, et que des tiers auraient renégocié l’ensemble du contrat à cette occasion, et notamment la marge de crédit – or l’environnement de taux ou la situation financière de l’emprunteur (et de son groupe) peuvent avoir changé depuis la conclusion initiale du contrat, et justifier un taux moins favorable sur le plan fiscal. Dans certains territoires, une modification significative pourrait s’analyser en déclencheur de gain ou perte taxable (11). En tout état de cause on peut recommander de motiver tout amendement par le seul facteur règlementaire (potentiellement de force majeure) que constitue la sortie du LIBOR.

Il est plus largement important de tenir compte de l’impact des changements de taux dans un contexte de taux déterminés par ou en accord avec l’administration. Dans certains territoires comme la Suisse, par exemple, le safe harbour est défini par avance pour l’année, et le changement de taux de base sur l’année pourrait conduire à s’en écarter. Autre possibilité, l’IBOR pourrait être un élément essentiel d’accord préalable en matière de prix de transfert (APP), qui serait remis en cause par son remplacement. Dernier exemple, la clause de « grandfathering » permettant de n’appliquer le dispositif ATAD I qu’aux prêts souscrits après le 17 juin 2016 est conditionnée à une absence de « modification substantielle » des contrats antérieurs à cette date, et des Etats-membres doivent encore prendre position sur l’impact IBOR à cet égard.

En somme, le remplacement de l’IBOR par les taux alternatifs présente des enjeux fiscaux, dont la prise en compte permet de s’assurer que ce changement de taux sans risque… le soit effectivement d’un point de vue fiscal. 

1. Le montant estimé des produits financiers directement liés aux indices LIBOR est estimé à 350 trillions USD ; voir ISDA IBOR Global Benchmark Survey 2018 Transition Roadmap, février 2018, www.isda.org/a/g2hEE/IBOR-Global-Transition-Roadmap-2018.pdf.

2. Au 01/01/22, fin d’obligation de contribution aux LIBORs.

3. En vertu du Règlement « Benchmark » (Règlement (UE) 2016/1011 du 8 juin 2016) il doit être désormais appréhendé comme un « indice de référence de pays-tiers ». La période de transition permettant de continuer à utiliser les indices de référence de pays-tiers dans les contrats, les instruments financiers et les fonds d’investissement a toutefois été prolongée d’un an jusqu’au 31 décembre 2023 (Règlement (UE) 2021/168 du Parlement modifiant le Règlement (UE) 2016/1011 du 8 juin 2016 – article 51).

4. “Working group on euro risk-free rates”, European Central Bank. www.ecb.europa.eu/paym/interest_rate_benchmarks/WG_euro_risk-free_rates/html/index.en.html.

5. Par exemple, sur l’eSTR, “IBOR Reform Frequently Asked Questions”, JP Morgan. June 2021.

6. assets.isda.org/media/3062e7b4/08268161-pdf/.

7. Idem.

8. “IBOR Fallback Rate Adjustments Rule Book”, Bloomberg. 22 April 2020.

9. Par exemple [ ]% per annum OR [A percentage rate per annum calculated by the Lender as the median difference between LIBOR for Sterling for the relevant Interest Period and SONIA over a five-year period ending on the date on which the parties have agreed to adopt SONIA as the basis for the calculation of interest under this agreement].

10. www.isda.org/a/n6tME/Supplemental-Consultation-on-USD-LIBOR-CDOR-HIBOR-and-SOR.pdf.

11. Aux Etats-Unis, Treas. Regs. § 1.1001-3 une modification sera significative selon « … les droits juridiques ou les obligations altérées et le degré économiquement significatif de l’altération » (US: Treas. Reg. § 1.1001-3(e).) dont la modification de taux de plus de (i) 25 pbs ou (ii) 5% de rendement annuel. HMRC et ATO ont à ce jour écarté le risque de modification substantielle


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