La lettre gestion des groupes internationaux

La Lettre Gestion des Groupes Internationaux - Juillet 2022

La liberté de circulation des capitaux ne peut valablement être invoquée à l’encontre de l’article 209 B du CGI

Publié le 30 juin 2022 à 18h46

PwC Société

Par Guilhem Calzas, avocat, PwC Société d’Avocats et Romain Bureau, avocat, PwC Société d’Avocats

Dans une décision du 25 avril 2022 (1), le Conseil d’Etat a jugé pour la première fois qu’un contribuable ne peut invoquer une incompatibilité de l’article 209 B du Code général des impôts (« CGI ») avec la liberté de circulation des capitaux, dès lors que cet article vise les seules participations permettant d’exercer une influence certaine sur les sociétés contrôlées établies hors de France.

Pour rappel, l’article 209 B du CGI prévoit que lorsqu’une personne morale soumise à l’impôt sur les sociétés et établie en France détient directement ou indirectement une participation de plus de 50 % dans une entité juridique (ou entreprise) établie ou constituée hors de France et bénéficiant d’un régime fiscal privilégié, les bénéfices de cette entité sont imposables en France à l’impôt sur les sociétés.

L’article 209 B du CGI est toutefois assorti des clauses de sauvegardes qui permettent d’échapper à l’application de ses dispositions anti-abus soit (i) si l’entité contrôlée est établie dans l’Union européenne (« UE ») et si l’exploitation de l’entreprise ou la détention de la participation ne peut être regardée comme constitutive d’un montage artificiel dont le but serait de contourner la législation fiscale française, soit (ii) si la personne morale établie en France démontre que les opérations de l’entité établie hors de France ont principalement un objet et un effet autres que de permettre la localisation de bénéfices dans un pays à fiscalité privilégiée (2).

En l’espèce, l’administration fiscale a considéré que les bénéfices réalisés par une société établie à Maurice devaient être intégrés au résultat imposable de la société française Rubis Energie, qui en détenait le contrôle. La société Rubis Energie a alors contesté la compatibilité au droit de l’Union de l’article 209 B du CGI, sur le terrain de la libre circulation des capitaux, seule liberté applicable dans les relations avec les pays tiers à l’UE.

Pour écarter l’application de la liberté de circulation des capitaux, la cour administrative d’appel de Versailles a relevé que la société française était à même d’exercer une « influence déterminante certaine » sur les décisions de la société de droit mauricien, et de déterminer les activités de celle-ci (3).

La question soulevée devant le Conseil d’Etat visait à déterminer si le principe de libre circulation des capitaux pouvait être valablement invoqué pour écarter l’application de l’article 209 B du CGI. Ceci impliquait de suivre la méthodologie de la Cour de justice de l’Union européenne (« CJUE ») pour déterminer la liberté européenne applicable au litige.

Cette méthodologie est rappelée par la rapporteure publique Emilie Bokdam-Tognetti dans ses conclusions. Il convient tout d’abord, de « prendre en considération l’objet de la législation en cause (4) ». Une législation nationale qui a vocation à s’appliquer aux seules participations permettant au contribuable d’exercer une influence certaine sur les décisions d’une société et de déterminer les activités de celle-ci relève de la liberté d’établissement.

En revanche, ainsi que le précise la rapporteure publique dans ses conclusions, lorsqu’une législation s’applique à « des participations effectuées dans la seule intention de réaliser un placement financier sans intention d’exercer une influence sur la gestion et le contrôle de l’entreprise (5) », cette dernière doit être examinée « exclusivement au regard de la libre circulation des capitaux (6) ». Lorsqu’une législation s’applique indifféremment aux participations de contrôle et aux autres participations et qu’il n’est pas possible de déterminer de quelle liberté fondamentale cette législation relève de manière prépondérante, la méthodologie à suivre diffère selon que la situation en litige met en cause les relations avec un autre Etat membre ou avec un pays tiers. Lorsque la participation en litige concerne une société ayant son siège dans l’UE, il y a lieu de tenir compte des éléments factuels du cas d’espèce pour déterminer la liberté fondamentale applicable (7). En revanche, lorsque la participation en litige concerne une société ayant son siège hors de l’UE, la Cour considère qu’en principe l’examen de l’objet de la législation nationale suffit pour déterminer si cette dernière relève de la libre circulation des capitaux (8).

Pour déterminer la liberté applicable, la rapporteure publique se réfère à l’objet de l’article 209 B du CGI et rappelle notamment que « [...] les clauses de sauvegarde mises en place à l’article 209 B ont pour objet de garantir que cet article ne trouve à s’appliquer qu’aux sociétés ayant effectivement, par le biais d’entités qu’elles contrôlent, localisé leurs bénéfices dans un Etat où ils sont soumis à un régime fiscal privilégié. Or une telle localisation implique nécessairement un contrôle sur les activités et les décisions de l’entité ».

Dans sa décision, le Conseil d’Etat relève qu’il résulte des dispositions de l’article 209 B du CGI, éclairées par leurs travaux préparatoires, que le législateur a entendu dissuader les entreprises passibles en France de l’impôt sur les sociétés de localiser, pour des raisons principalement fiscales, une partie de leurs bénéfices au travers de filiales dans des pays à fiscalité privilégiée. Compte tenu de cet objet et de l’existence de la clause de sauvegarde, le Conseil d’Etat conclut que l’article 209 B du CGI a vocation à s’appliquer aux seules participations permettant d’exercer une influence certaine sur les décisions de la filiale établie hors de France et d’en déterminer les activités, quand bien même la société établie en France n’en détiendrait pas la majorité du capital ou des droits de vote.

Par suite, la société Rubis Energie ne pouvait utilement se prévaloir de l’incompatibilité de l’article 209 B du CGI avec le principe de libre circulation des capitaux.

La décision du Conseil d’Etat est conforme à la position de la doctrine (9) qui rappelle que l’article 209 B du CGI ne trouve à s’appliquer que lorsque le contribuable établi en France contrôle l’entité soumise à un régime fiscal privilégié. C’est parce que cette participation lui confère un pouvoir de décision lui permettant de contrôler la politique de distribution de la société étrangère que l’article 209 B peut poser une présomption de distribution (10).

Rappelons que le Conseil d’Etat avait déjà eu l’occasion dans un contexte intra-UE d’appliquer la liberté d’établissement pour prononcer l’incompatibilité partielle de l’ancienne version de l’article 209 B du CGI dont les clauses de sauvegarde ne couvraient pas les entités ayant une implantation réelle et exerçant, quoiqu’à titre non principal, une activité économique effective (11). 

1. CE, 25 avril 2022, n° 439859, Société Rubis.

2. Rédaction actuelle de l’article 209 B du CGI.

3. Cour administrative d’appel de Versailles, 1re chambre, 28 janvier 2020, n° 18VE0124.

4. Par exemple CJCE, 24 mai 2007, Holböck C-157/05, point 22.

5. Conclusions de la rapporteure publique, Emilie Bokdam-Tognetti sous l’arrêt CE, 25 avril 2022, n° 439859, Société Rubis.

6. Ibid. et par exemple CJCE, 12 décembre 2006, Test Claimants in the FII Group Litigation, C-446/04, point 38, CJUE, 10 février 2011, Haribo Lakritzen Hans Riegel BetriebsgmbH, C-436/08 et Österreichische Salinen AG, C-437/08, point 35.

7. Par exemple CJUE, 13 novembre 2012, Test Claimants in the FII Group Litigation, C-35/11 point 94.

8. CJUE, 11 septembre 2014, Kronos International Inc., C-47/12, point 38.

9. Emmanuel Dinh, « Fasc. 3740 : bénéfices de sociétés établies dans un pays à fiscalité privilégiée (CGI, art. 209 B) », Lexisnexis, 2013, §1 ; Daniel Gutmann, « Droit fiscal des affaires », septembre 2018, Lextenso.

10. Bruno Gouthière, « Overview of the French CFC Legislation », European Taxation, IBFD, février 2008.

11. CE, 4 juillet 2014, N°357264 et 359924, Sté Bolloré SA.

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