Article rédigé le 4 juin 2024
L’investiture du président Donald Trump pour un second mandat le 20 janvier 2025 a marqué le retour d’une politique commerciale protectionniste, centrée sur la devise renouvelée de « America First » (1). Dès les premiers jours, la Maison-Blanche a réactivé les leviers tarifaires comme instruments de politique étrangère et économique, déclenchant une nouvelle phase de tensions commerciales mondiales.
Priorités sécuritaires et premières salves tarifaires contre les pays-voisins
La priorité affichée fut la sécurisation de la frontière sud et nord contre l’immigration illégale et le trafic de stupéfiants. Le 31 janvier 2025, des droits de douane de 25 % ont été imposés sur les importations originaires du Canada et du Mexique (2,3).
Ces mesures, justifiées par des impératifs de sécurité nationale, ont été temporairement suspendues le 3 février dernier, pour ensuite être réactivées à partir du 4 mars dernier. Les mesures contre ces deux pays voisins ont été atténuées par deux executive orders publiés le 6 mars dernier. Ainsi, depuis le 7 mars dernier, les produits pouvant être qualifiés comme originaires sous les provisions de l‘Accord Canada-Etats-Unis-Mexique (ACEUM - USMCA) échappent à ces droits additionnels à l‘importation aux Etats-Unis (4,5).
Protectionnisme sectoriel : l’acier, l’aluminium et le secteur automobile
Dans la continuité de ses actions de 2018, le président Trump a signé, début mars 2025, un décret imposant des droits additionnels de 25 % sur l’acier et l’aluminium contre les pays bénéficiant jusqu’à présent d’un traitement préférentiel notamment l’Union européenne, le Japon, le Royaume-Uni. (6) Ces droits ont été augmentés à 50 % à partir du 4 juin 2025 (7) le président américain considérant que le nouveau taux permettra de soutenir de manière plus adéquate l’industrie nationale et de réduire, voire d’éliminer l’atteinte portée à la sécurité nationale des États-Unis par les importations en question.
L’Union européenne était prête à réactiver les contre-mesures en partie via ses règlements de 2018 et 2020 suspendus jusqu’au 31 mars dernier. Elle a complété ces mesures par une liste de produits de secteurs divers, à la suite d’une consultation publique organisée en mars, l’ensemble des mesures en question devant en principe entrer en vigueur en avril. A ce stade ces mesures sont suspendues jusqu’au 14 juillet prochain en attente d’avancement des négociations (8).
L’objectif du président Trump est également de relancer la production nationale dans le secteur automobile et d’exporter davantage des produits américains, notamment des véhicules (9). Afin de le réaliser, des droits additionnels de 25 % s’appliquent sur les véhicules automobiles ainsi que sur une liste des composants nécessaires pour leur production depuis le 3 avril et le 3 mai derniers, respectivement (10). Compte tenu des pressions exercées par les constructeurs locaux, afin d’atténuer l’impact des droits additionnels en question, il a introduit un système de déductibilité des droits de douane payés sur ces pièces à l’horizon 2026 et 2027, si l’intégration des composants a lieu sur un site de production localisé aux Etats-Unis (11).
Rapports du USTR et escalade tarifaire
Le rapport annuel du Représentant américain au commerce (USTR), publié fin mars, a mis en lumière les barrières tarifaires et non tarifaires jugées discriminatoires par Washington. Sur cette base, le président Trump a annoncé le 5 avril l’instauration de droits additionnels généralisés de 10 %. En complément, de mesures personnalisées contre certains pays, avec lesquels le déficit commercial a été jugé comme plus significatif devaient entrer en vigueur (12). Par une décision en date du 8 avril, ces dernières ont toutefois été suspendues jusqu’au 9 juillet pour l’ensemble des pays sauf la Chine, dans l’attente de négociations bilatérales actuellement en cours notamment avec l’UE (13). Toutefois, certains secteurs stratégiques de la chimie, de médicaments, du cuivre ou du bois sont à ce stade exclus des droits additionnels généralisés, mais restent sous investigation.
La Chine, qui est déjà prise pour cible par les executive orders du mois de février avec 20 % des droits et exclusions de l’application du de minims, n’a pas hésité à répliquer contre les produits d’origine américaine (14,15). Ces mesures réciproques ont escaladé au point où les produits chinois ont été soumis à 145 % des droits réciproques personnalisés et les produits américains à 125 % à l’importation en Chine (16). Toutefois, cette tension a été partiellement suspendue par une entente commune du 12 mai, ouvrant la voie à des pourparlers pendant 90 jours en vue d’un accord bilatéral (17). Ainsi pendant cette période à compter du 14 mai dernier, les marchandises chinoises restent soumises à 30 % des droits additionnels même en cas de de minimis et les marchandises américaines continuent d’être soumises à 10 % des droits additionnels.
Impact sur les business et mesures d’atténuation
Le marché américain demeure incontournable, les États-Unis étant le 2e client et le 3e fournisseur de la France (18). En effet, une étude récente de la Direction nationale des statistiques du commerce extérieur (DNSCE) indique que « en 2024, la France a exporté des produits d’une valeur de 48,5 milliards d’euros (Md€) vers les États-Unis, ce qui place ce pays à la 2e place des principaux clients de la France, derrière l’Allemagne (78,0 Md€). Les importations de la France originaires des États-Unis ont atteint 52,7 Md€, ce qui fait de ce pays le 3e fournisseur de la France, derrière la Chine (71,5 Md€) et l’Allemagne (86,4 Md€) » (19). Portées par le secteur aéronautique, les exportations françaises visent également des produits diversifiés comme les boissons, les produits pharmaceutiques ainsi que les produits du luxe.
Le contexte actuel met ainsi en évidence l’importance d’élaborer une stratégie douanière solide au sein de toute entreprise se livrant à des opérations d’importation et d’exportation. Afin de naviguer dans le contexte incertain actuel et être en mesure de simuler les différents scenarios envisageables, anticiper les actions nécessaires et réagir de manière efficace face aux enjeux croissants, il est indispensable de comprendre les enjeux douaniers et d’avoir une visibilité claire et exhaustive des flux ainsi que de la data douanière.
A court terme, les mesures permettant d’atténuer l’impact des nouveaux droits peuvent ainsi porter sur la vérification des codes douaniers et de l’origine des produits, afin d’identifier des opportunités ou valider l’exclusion des produits en question, ainsi que sur la valeur en douane déclarée à l’importation. Dans ce dernier cas, l’objectif est d’étudier la possibilité d’exclure certains éléments, réduisant ainsi la base de calcul, et, par conséquent, le montant des droits de douane appliqués à l’importation aux Etats-Unis.
A moyen terme, au-delà de la revue des dispositions contractuelles, la mise en place de régimes douaniers permettant de bénéficier d’un report de paiement des droits ou de remboursements (drawback, free trade zones entre autres) pourront être étudiés en fonction des flux et des droits concernés. De même, des options comme la first sale rule américaine, permettant de calculer les droits de douane sur la base du prix d’une vente antérieure à celle précédent l’importation des marchandises, pourront être envisagées.
A long terme, la restructuration de la supply chain est envisagée dans certains cas, notamment guidées par une idée de régionalisation de la production des marchandises. Il demeure néanmoins crucial d’évaluer les impacts douaniers dans ces cas.
Les échanges intragroupe représentant une part importante du commerce mondial, il est également essentiel de porter une attention particulière aux aspects prix de transfert dans le cadre de l’étude des mesures d’atténuation adaptées.
Perspectives juridiques et diplomatiques
Ces mesures ont profondément affecté les relations commerciales internationales. De nombreux partenaires, y compris des alliés historiques, ont été contraints de revoir leur stratégie, notamment l’UE qui s’efforce à trouver un terrain d’entente, mais en parallèle publie une nouvelle liste des produits qui pourront être soumis à des contre-mesures (20). Le Royaume-Uni a été le premier à annoncer un accord bilatéral avec Washington, obtenant des exemptions ciblées en échange de concessions sur les normes sanitaires, les marchés publics et tarifs préférentiels (21).
Parallèlement, plusieurs États, dont la Chine, le Canada et l’Union européenne, ont saisi l’Organisation mondiale du commerce (OMC), contestant la légalité des mesures américaines. Ces procédures pourraient redéfinir les contours du droit commercial international, notamment en matière de sécurité nationale et de réciprocité.
L’insécurité juridique actuelle a été corroborée à la suite des jugements rendus par des instances américaines. La Court of International Trade a rendu un jugement le 28 mai 2025 invalidant les droits additionnels pris en application du International Emergency Economic Powers Act (IEEPA), qui vise notamment les droits réciproques en vigueur. Le lendemain, la Cour d’Appel fédérale des Etats-Unis a suspendu temporairement l’application de la décision et a fixé au 9 juin la date limite pour le dépôt des arguments sur le maintien de cette suspension. Il n’est, par ailleurs, pas exclu que ce litige soit finalement examiné par la Cour Suprême. De même, ce nouveau scenario impact de manière indirecte la position des Etats-Unis dans le cadre des négociations commerciales en cours avec les différents pays partenaires.
La guerre commerciale actuelle illustre la tension croissante entre souveraineté économique et multilatéralisme. Si les États-Unis invoquent leur droit à protéger leurs intérêts vitaux, les partenaires commerciaux dénoncent une instrumentalisation des règles de l’OMC. Cette dernière a déjà dénoncé une possible diminution du volume du commerce des marchandises de 0,2 % au 14 avril dernier. Le commerce pourrait se contracter encore plus et s’établir à 1,5 % en 2025 si la situation se détériorait, ce qui semble être le cas à l’heure actuelle (22).
En définitive, cette nouvelle phase de guerre commerciale accentue l’insécurité juridique pour les entreprises, fragilise les investissements et agite les marchés financiers. Elle accélère également la régionalisation des chaînes de production, bouleversant les équilibres du commerce mondial. Entre affirmation de la souveraineté économique et remise en cause du multilatéralisme, les tensions actuelles redessinent les règles du jeu commercial international.
1. Memorandum America First Trade policy, 20 Janvier, 2025.
2. Executive order, Imposing Duties To Address the Situation at Our Southern Border, 1er Février 2025.
3. Executive order, Imposing Duties To Address the Flow of Illicit Drugs Across Our Northern Border, 1er Février 2025.
4. Amendment to Duties to address the flow of illicit drugs across our northern border, 6 mars, 2025.
5. Amendment to duties to address the flow of illicit drugs across our southern border, 6 mars, 2025.
6. Federal Register, Presidential Document Adjusting Imports of Steel into the United States, 10 Février 2025.
7. Proclamation Adjusting imports of aluminum and steel into the United States.
8. RÈGLEMENT D’EXÉCUTION (UE) 2025/786 DE LA COMMISSION du 14 avril 2025 suspendant les mesures de rééquilibrage commercial visant certains produits originaires des États-Unis d’Amérique instituées par le règlement d’exécution (UE) 2025/778 et modifiant le règlement d’exécution (UE) 2023/2882.
9. Fact Sheet: President Donald J. Trump Incentivizes Domestic Automobile Production, 29 avril 2025.
10. Proclamation Adjusting Imports of automobiles and automobile parts into the United States, 26 mars 2025.
11. Proclamation Amendments to adjusting imports of automobiles and automobile parts into the United States, 29 avril 2025.
12. Executive Order, regulating imports with a reciprocal tariff to rectify trade practices that contribute to large and persistent annual united states goods trade deficits, 2 avril 2025.
13. Executive order, Amendment to reciprocal tariffs and updated duties as applied to low-value imports from the People’s Republic of China, 8 avril 2025.
14. Executive order, Imposing Duties To Address the Synthetic Opioid Supply Chain in the People’s Republic of China, 1er Février 2025.
15. Executive Order, Further Amendment to duties addressing the synthetic opioid supply chain in the People’s Republic of China, 3 Mars 2025.
16. Executive order, Modyfing reciprocal tariff rates to reflect trading partner retaliation and alignment, 9 avril 2025.
17. Executive Order, Modifying reciprocal tariff rates to relect discussions with the people’s republic of China, 12 mai 2025.
18. Département des statistiques et des études du commerce extérieur de la DGDDI. Échanges commerciaux de la France avec les États-Unis, droits de douane et spécificités françaises par rapport à l’Union européenne. Etudes et éclairages n° 100. 20 mai 2025.
19. Idem.
20. Communiqué de presse, La Commission lance une consultation sur d’éventuelles contre-mesures et se prépare à engager une procédure devant l’OMC en réaction aux droits de douane américains.
21. Fact Sheet : U.S.- UK Reach Historic Trade Deal, 8 mai 2025.
22. Prévisions Commerciales de l’OMC, La suspension temporaire des droits de douane atténue la contraction des échanges, mais d’importants risques de détérioration subsistent, 16 avril 2025.