Les entreprises opérant sur le marché européen sont aujourd’hui confrontées à un maillage dense de réglementations dites « ESG » (Environmental, social and governance) impactant les opérations d’importation et d’exportation des biens. Bien que distinctes dans leur objet – par exemple, lutte contre la déforestation (1), mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (MACF) (2), interdiction des produits issus du travail forcé (3) –, elles partagent une même logique d’action : responsabiliser les acteurs économiques sur l’ensemble de leur chaîne logistique et de valeur, au-delà des frontières européennes.
Ces nouvelles réglementations viennent s’ajouter au corpus des règles non douanières devant être respectées lors de l’importation et l’exportation des marchandises. L’Administration des douanes française rappelle, à cet égard, qu’elle assure la « vérification du respect de 350 réglementations non douanières pour les marchandises entrant sur le territoire » (4).
Or, si les règlementations ESG ne constituent pas des réglementations douanières, la maitrise de notions douanières telle que le classement tarifaire, l’origine et la sensibilisation aux enjeux douaniers portant sur la traçabilité des flux et la gestion de la data sont essentiels à la bonne application des réglementations en question.
Sensibilisation aux enjeux douaniers et traçabilité des flux
Les obligations de traçabilité, de transparence et de conformité s’étendent de la production de la matière première jusqu’à la mise sur le marché européen du produit fini, rendant indispensable la maîtrise des flux douaniers.
Les enjeux pour l’importateur sont ainsi conséquents. Il devra démontrer la traçabilité des produits à risque de déforestation (tels que que le soja, cacao, café, huile de palme, etc.), depuis la parcelle d’origine. Les nouvelles obligations sur le travail forcé exigeront une justification active de l’absence de recours à ce type de main-d›œuvre à chaque étape de la chaîne de production, en fournissant « des informations sur les mesures pertinentes qu’elles ont prises pour déceler, prévenir, réduire ou supprimer les risques de travail forcé, ou pour apporter réparation à cet égard, dans leurs activités et leurs chaînes d’approvisionnement ». (5) Quant au MACF, l’importateur devra justifier des émissions de carbone émises par son fournisseur lors de la production des marchandises dans son pays d’origine, nécessitant un niveau de granularité de l’information très fin.
Il est alors évident que la gestion de la data, et particulièrement de la data douane, constitue l’enjeu central de ces nouveaux défis. Sa collecte, sa qualité et sa gestion sont devenues des axes stratégiques indispensables pour les opérateurs économiques. La capacité à disposer d’une information fiable et exhaustive conditionne non seulement la conformité aux exigences réglementaires, mais aussi l’optimisation des processus internes et la maîtrise des risques.
On observe dès lors un momentum dans la gestion de la donnée douanière, qui s’inscrit dans un contexte de digitalisation accrue. Ainsi, la réforme du dédouanement en France, matérialisée par la mise en place du nouvel applicatif douanier DELTA I/E, constitue un changement de paradigme dans l’approche de la donnée douanière. En effet, ce dispositif permet la récupération automatisée et informatisée du jeu de données déclaré à l’importation et bientôt à l’exportation. De même, le customs data hub, une plateforme européenne centralisant les données douanières déclarées, constitue un des piliers de la réforme de l’Union Douanière en cours.
Il nous apparait dès lors essentiel de se saisir de l’opportunité stratégique de cette évolution pour renforcer le mapping et le traitement des données douanières en interne, particulièrement à l’aide d’outils technologiques. Cela permettra aux opérateurs de mieux appréhender leurs flux, les produits importés et exportés ainsi que d’identifier et d’anticiper les risques, tout en ayant une approche proactive, notamment au vu des nouvelles réglementations ESG.
Gestion transversale des nouvelles obligations
Il apparaît évident que la gestion des réglementations ESG requiert une approche résolument collaborative et transversale, dépassant les cloisonnements traditionnels des fonctions internes.
La nature transversale des obligations ESG implique effectivement la mobilisation de multiples services au sein de l’entreprise. Si le service en charge des douanes demeure un acteur essentiel, il ne saurait, à lui seul, garantir la conformité à l’ensemble des réglementations. Le respect de ces règlementations suppose en effet une collaboration active, par exemple avec le service achats pour la sélection et l’évaluation des fournisseurs, le service logistique pour la traçabilité des flux, le service qualité pour la conformité des produits, le service juridique pour la gestion des contrats fournisseurs, le service RSE et sustainability, pour les aspects environnementaux et sans oublier les départements fiscalité et finance.
L’articulation entre les différents services ainsi que la détermination de la personne de référence, chef d’orchestre responsable de la coordination des différentes équipes concernées, devient un enjeu majeur afin d’assurer la conformité à ces nouvelles exigences. Il appartient dès lors à chaque entreprise de définir, en fonction de sa structure et de la complexité de ses flux, le schéma de pilotage le plus adapté.
La due diligence, un incontournable
L’obligation de due diligence (ou diligence raisonnée) est l’un des dénominateurs communs de ces réglementations, s’imposant tant comme une exigence de conformité que comme outil de gestion proactive des risques. Elle impose aux opérateurs de recenser, évaluer, prévenir et atténuer les incidences négatives sur certains secteurs d’activité considérés à risque. Cela s’inscrit dans le même esprit que le devoir de vigilance établi par les Directives CS3D ou CSRD.
A noter que la Commission européenne préconise un mécanisme de due diligence généralement basé sur les risques, adapté à la taille de l’entreprise et à son activité.
Il convient de noter que les règlementations ESG disposent d’un pendant répressif dissuasif commandant une excellente connaissance de ses opérations douanières. Les sanctions associées peuvent engendrer un blocage des flux logistiques, voire l’impossibilité d’importer ou d’exporter les marchandises, une perte de contrats et/ou de clients, ainsi que des conséquences réputationnelles importantes.
Pour autant, en cas de contrôle dans l’Union européenne sur la base de ces réglementations douanières européennes, seule l’entreprise importatrice sera responsable devant les autorités compétentes. L’importateur reste donc dépendant de l’existence et de la qualité de l’information transmise par ses fournisseurs en-dehors des frontières.
Afin de circonscrire et de partager les risques, il est généralement recommandé d’intégrer dans les contrats des clauses contraignantes permettant de garantir la récupération de l’information mais aussi l’éventuel partage de l’impact logistique ou financier d’une mauvaise gestion des obligations, quand cela n’est pas directement imposé par la réglementation. Peuvent ainsi être inclus dans les contrats avec les fournisseurs : des engagements de conformité aux règlements applicables, l’obligation de fournir des informations ou documents justificatifs, l’obligation de coopération, un mécanisme de résolution des non-conformités, voire des clauses de suspension ou de résiliation en cas de manquement.
Toutefois, ces clauses ne peuvent être envisagées comme un remède miracle face à des fournisseurs généralement décontenancés vis-à-vis de réglementations européennes complexes et lointaines. Les opérateurs européens se voient donc contraints d’investir du temps et des ressources dans des mesures d’accompagnement des fournisseurs, telles que des formations ou des mécanismes de contrôle internes, établissement de mesures de due diligence solide étant ainsi indispensable afin de réduire les risques.
Afin de répondre à ces nouvelles exigences, il est donc indispensable de procéder à une cartographie précise des flux douaniers et des points de vulnérabilité. Cela implique d’identifier les marchandises et codes douaniers à risque, de sécuriser la traçabilité des produits tout au long de la chaîne logistique en amont comme en aval et de mettre en place des procédures de contrôle interne robustes. Une analyse des impacts douaniers permet d’anticiper les blocages potentiels, d’éviter les sanctions et de garantir la fluidité des opérations commerciales. Une approche fondée sur des outils technologiques peut, par ailleurs, permettre de gagner du temps l’utilisation de l’intelligence artificielle pouvant également être considérée notamment en vue de faciliter le contrôle des risques.
En tout cas, la mise en conformité ne peut plus être un exercice ponctuel, mais doit être envisagée comme un chantier continu, qui nécessite une approche intégrée, pilotée au niveau de la direction de chaque entreprise, avec une vision stratégique et gestion efficace de la data douanière et d’investissement au long-terme.
1. Règlement 2023/1115 du 31 mai 2023 relatif à la mise à disposition sur le marché de l’Union et à l’exportation à partir de l’Union de certains produits de base et produits associés à la déforestation et à la dégradation des forêts.
2. Règlement 2023/956 du 10 mai 2023 établissant un mécanisme d’ajustement carbone aux frontières.
3. Règlement 2024/3015 du 27 novembre 2024 relatif à l’interdiction des produits issus du travail forcé sur le marché de l’Union.
4. Dossier de presse du Projet de loi Portant mise en conformité du droit de visite douanière et de modernisation de l’action douanière. Avril 2023.
5. Règlement 2023/1115 relatif à la mise à disposition sur le marché de l’Union et à l’exportation à partir de l’Union de certains produits de base et produits associés à la déforestation et à la dégradation des forêts.