LE GRAND DÉBAT

Gestion obligataire institutionnelle : « Bond is back ! » 

Publié le 24 février 2023 à 12h00

Sandra Sebag    Temps de lecture 39 minutes

Les gérants comme les investisseurs institutionnels présents lors du grand débat du magazine Option Finance considèrent que la hausse des taux d’intérêt redonne de l’attrait aux obligations et en particulier aux plus sûres d’entre elles, à savoir le souverain et le crédit noté investment grade. Ils affichent en revanche une certaine prudence vis-à-vis des titres notés high yield. Sur ce segment, ils considèrent que la sélectivité est de mise car même s’ils adhèrent au scénario central des marchés envisageant une diminution progressive de l’inflation et une bonne résistance de la croissance, les facteurs de risque restent nombreux. D’un point de vue relatif, les obligations sont en train de redevenir un élément central de l’allocation d’actifs des investisseurs institutionnels qui se détournent des actions et des actifs non cotés. Rendement et diversification se trouvent ainsi clairement maintenant du côté de l’obligataire.

Avec de gauche à droite : 

  • Pascal Coret, directeur adjoint du département gestion des placements, en charge des segments obligataires, au sein de la direction des gestions d’actifs de la Caisse des dépôts
  • Michael Israel, associé Ivo Capital Partners
  • Nicolas Boulet, responsable de la stratégie d’investissement d’Allianz France
  • Amir Fergani, directeur de la gestion obligataire France & EMEA chez Generali Insurance Asset Management
  • Alain Krief, responsable expertises fixed income chez Edmond de Rothschild AM

Malgré le rebond des marchés, la prudence s’impose

Quel est votre scénario macro-économique principal ?

Pascal Coret, directeur adjoint du département gestion des placements, en charge des segments obligataires, au sein de la direction des gestions d’actifs de la Caisse des dépôts (CDC) : La question principale à se poser actuellement concerne l’évolution de l’inflation. Le consensus de marché anticipe une réduction progressive de l’inflation qui a été déjà engagée aux Etats-Unis et le sera prochainement en Europe. Mais ne sommes-nous pas dans tous dans l’erreur ? Certes, nous avons des raisons d’être optimistes quant à une diminution de l’inflation en 2023, les effets de base vont aboutir à une réduction progressive, mais il n’est pas sûr que l’inflation sous-jacente connaisse la même décrue. De même, le risque de récession est de moins en moins présent. Les derniers chiffres publiés aux Etats-Unis en matière d’emploi témoignent d’un fort dynamisme. Au niveau macro-économique, les perspectives restent ainsi favorables. Un ralentissement devrait se mettre en place, mais pas de récession. L’an dernier, le mix inflation plus croissance réelle a permis que les résultats et les bénéfices par actions publiés par les entreprises soient très bons. Comment faut-il alors interpréter les stratégies des banques centrales et leur réception par le marché ? Sont-elles devenues subitement crédibles après avoir longtemps tergiversé quant à la nécessaire réaction face aux fortes pressions inflationnistes ? Les marchés financiers ne sont-ils pas trop optimistes en considérant que la politique monétaire qu’ils anticipent suffira à ramener l’inflation vers l’objectif des banques centrales ? On peut en tout cas se satisfaire que les marchés considèrent que nous sommes sortis d’un monde régi par la déflation. Le risque d’une erreur d’appréciation par rapport au scénario central retenu par les investisseurs est élevé.

Nicolas Boulet, responsable de la stratégie d’investissement d’Allianz France : Nous nous inscrivons en ligne avec le scénario central des marchés avec un ralentissement de l’économie mondiale et une inflation qui ralentit, mais reste supérieure au régime d’avant Covid. Tous les experts ont été surpris par les chiffres sur l’emploi américain publiés début février. Les grandes économies développées font preuve d’une certaine résilience, la récession qui était annoncée pour le premier et le deuxième trimestre semble maintenant moins probable. Nous anticipons plutôt un ralentissement et une résilience de l’économie mondiale. Cependant, contrairement aux années précédentes, nous attribuons une plus faible probabilité à notre scénario central. Nous considérons en effet que d’autres scénarios sont probables. Dans l’un d’entre eux, l’inflation restera persistante, elle va décliner, mais restera supérieure durablement à l’objectif des banquiers centraux jusqu’en 2025. Les banques centrales seraient alors obligées d’agir de façon plus rigoureuse et de façon plus longue, ce qui constitue pour nous un risque majeur de politique monétaire pour les économies car elles plongeront alors en récession. Nous envisageons aussi un scénario dans lequel la dichotomie entre le discours des banquiers centraux et les anticipations de marché est importante. Les banques centrales pourraient ne pas parvenir à imposer leurs vues aux marchés financiers qui anticipent que le niveau « pivot » des taux d’intérêt sera atteint fin 2023. Les marchés financiers devront s’ajuster et cette évolution porte en germe de la volatilité. Nous devons nous y préparer.

Alain Krief, responsable expertises fixed income chez Edmond de Rothschild AM : Il est certain que ces derniers mois et dans les prochains, la macro-économie va dominer le marché. La publication de chaque chiffre – sur l’emploi, l’inflation, la croissance, les banques centrales – oriente les tendances de marché. Ces données sont toujours très attendues. Comme indiqué par les intervenants précédents, notre scénario central envisage un ralentissement modéré. Quelle est la probabilité de réalisation de ce scénario ? D’après nous, elle est maintenant plus forte qu’en tout début d’année au regard des derniers chiffres publiés, notamment ceux sur l’emploi aux Etats-Unis. Nous pensons que si l’inflation a longtemps été sous-estimée, sa baisse est actuellement sous-estimée. Par ailleurs, nous observons que les marchés ont tendance à surestimer la corrélation entre l’inflation et l’emploi. Les relations entre ces deux variables macro-économiques sont complexes et s’inscrivent dans de multiples dynamiques. Prenons le cas de l’emploi : le niveau de chômage est très bas aux Etats-Unis, mais tous les ménages en recherche d’emploi ne sont pas comptabilisés dans les statistiques. Il existe par ailleurs un grand nombre d’emplois non pourvus… Les stratégies de resserrement de la banque centrale américaine (Fed) ne peuvent se traduire mécaniquement et rapidement par une hausse du chômage et donc par un ralentissement des tensions sur le marché du travail et les salaires. Pour autant, elles peuvent avoir un impact sur la croissance. Le vrai risque est bien celui d’une erreur de politique monétaire, qu’il s’agisse d’ailleurs de la Fed ou de la Banque centrale européenne (BCE) qui pourraient être trop rigoureuses dans leur volonté de lutter contre l’inflation.

Amir Fergani, directeur de la gestion obligataire France & EMEA chez Generali Insurance Asset Management : Notre scénario central a beaucoup évolué depuis le début de l’année. Aux Etats-Unis, les derniers chiffres publiés sur l’emploi ont été spectaculaires. Le chômage n’avait pas été aussi bas depuis 53 ans ! Nous pensions en fin d’année dernière que la volatilité sur les taux d’intérêt allait baisser, les investisseurs semblaient rassurés. Mais maintenant, nous nous interrogeons sur le comportement de la Fed ? Jusqu’où peut-elle aller dans sa volonté de resserrement ? Le marché a pour l’heure intégré encore au moins deux hausses de taux d’intérêt aux Etats-Unis de 25 points de base et en ce qui concerne l’Europe au moins une nouvelle hausse de taux d’intérêt de 50 points de base à laquelle devraient s’ajouter encore deux hausses de taux d’intérêt de 25 points de base ou bien une 50 points de base, puis 25 points de base. Comment les économies vont-elles réagir à ces hausses ? Pour essayer de déterminer le taux terminal aux Etats-Unis, il faut monitorer non seulement le taux de chômage, mais aussi la qualité de l’emploi et l’évolution de l’inflation sous-jacente qui semble assez ancrée en ce moment. Nous sommes par ailleurs assez surpris – depuis le début de l’année – par l’appétit des investisseurs pour le risque, ils sont présents sur les marchés financiers et plutôt positifs. Nous pensons que la volatilité sur les taux d’intérêt devrait maintenant baisser. Nos équipes de recherche anticipent une baisse des taux longs d’ici la fin de l’année, ce qui soutiendra les cours des obligations. Pour un gérant obligataire, cette configuration est favorable car il est possible d’investir sur des titres à long terme et de rallonger la duration des portefeuilles.

Michael Israel, associé, Ivo Capital Partners : Sur le plan des taux d’intérêt américains, qui sont ceux qui dominent les émissions obligataires internationales, les marchés ont intégré une désinflation et un pivot de la Fed. Nous constatons aussi un resserrement des spreads qui démontre que ce scenario central (désinflation, pivot, ralentissement économique moins grave que prévu) est déjà celui anticipé dans les prix de marché. Il est par ailleurs intéressant de souligner la déconnexion déjà évoquée entre la macro-économie et la micro-économie en 2022. L’an dernier, les perspectives macro-économiques n’étaient pas favorables, en revanche, les entreprises ont affiché de bons résultats. La situation pourrait être inverse en 2023, les indicateurs macro-économiques pourraient s’améliorer, tandis que la santé des entreprises se dégraderait. Le risque principal que nous identifions reste l’inflation aux Etats-Unis. L’année 2022 a rappelé que tous les actifs sont corrélés aux taux, que vous les appeliez taux de rendement, taux de cap, etc. Finalement, les taux d’intérêt guident les marchés bien plus que le reste (géopolitique incluse). La réouverture de l’économie chinoise constitue aussi une évolution majeure, d’après nous, à analyser pour 2023.

Nicolas Boulet, responsable de la stratégie d’investissement d’Allianz France

« Le nouvel environnement de taux d’intérêt nous permet de mettre en oeuvre une allocation sur les obligations plus diversifiée. »

Parcours

Nicolas Boulet a rejoint le groupe Allianz il y a 15 ans. Il a commencé sa carrière au sein d’Allianz Trade, en tant que gérant de portefeuilles actions et obligataires, avant d’évoluer à Munich au sein des équipes ALM Allianz Investment Management SE où il était responsable de l’allocation des portefeuilles des entités P/C et Réassurances. En 2016, il est nommé responsable du département investissement et trésorerie d’Allianz Trade et il dirige depuis 2021 la stratégie d’investissement d’Allianz France.

Chiffres clés

  • Effectifs dans l’expertise obligataire : il y a 5 personnes dans les équipes d’Allianz France pour l’investment management, et la gestion obligataire est ensuite déléguée à différents gestionnaires.
  • Encours en obligataire et % des encours totaux : sur le segment property & casualty, la gestion obligataire représente 75 % (soit environ 9 milliards d’encours) et 81 % pour le segment life & health (environ 45 milliards d’euros d’encours).
  • Philosophie d’investissement en quelques mots : gestion obligataire assurantielle en ligne avec le passif de chaque portefeuille et des budgets de risques alloués.

Pascal Coret : Dans un environnement particulièrement incertain, la politique des banques centrales court le risque d’être inadaptée. Il y a un peu plus d’un an, Christine Lagarde, la présidente de la BCE, indiquait qu’elle n’augmenterait pas les taux d’intérêt en 2022 et pourtant, c’est ce qu’elle a fait. La Fed a aussi longtemps estimé que l’inflation n’était que transitoire. Actuellement, l’inflation est élevée partout (y compris dans un pays comme le Japon qui a connu de nombreuses années de déflation) ; de ce fait, les principales banques centrales ont significativement monté les taux, il n’est pas sûr que cela suffise.

Amir Fergani : Nous ne pouvons tout de même pas faire totalement l’impasse sur les risques géopolitiques : la guerre en Ukraine, les tensions entre les Etats-Unis et la Chine…

Pascal Coret : L’émergence d’un monde multipolaire bien peu coopératif tel qu’il se profile constitue aussi un facteur inflationniste.

Amir Fergani : Nous pouvons également faire face à un risque peu souvent évoqué ou intégré dans les cours qui est celui de la liquidité de certains actifs financiers dans un contexte de durcissement des conditions financières et du retrait des liquidités de la part des principales banques centrales.

Pascal Coret : Ce risque est en effet important et il s’est réalisé en Grande-Bretagne à l’automne dernier quand les fonds de pension se sont retrouvés en difficulté. Il ne faut pas confondre l’abondance de liquidité et la liquidité - la profondeur - d’un marché. En Europe continentale les liquidités disponibles sont abondantes, mais les marchés obligataires ont perdu en profondeur et avec des niveaux d’endettement parfois très élevés en Europe du Sud, un assèchement de la liquidité sur un segment de marché pourrait vite susciter un effet de contagion. Ce risque ne semble pourtant pas inquiéter les marchés financiers.

Nicolas Boulet : En effet, le risque de liquidité lié à un mouvement panique ne peut être totalement évacué. Par ailleurs, après avoir augmenté les taux d’intérêt, la BCE va réduire son bilan. Ce changement constitue un facteur de risque sur le marché car l’un des acteurs majeurs n’agira plus en soutien. Enfin, toujours parmi les risques peu pris en compte par le marché figure le plafond de la dette aux Etats-Unis. Des négociations vont se mettre en place, mais il n’est pas évident qu’elles aboutissent facilement. La volatilité risque d’être encore très élevée cette année.

Alain Krief : La réduction à venir des achats de la BCE sera largement compensée par les flux en provenance des investisseurs privés. Depuis quelques mois, nous assistons à un retour massif des investisseurs institutionnels sur les marchés obligataires. Les stratégistes sous-estiment ce phénomène qui soutient actuellement la valorisation des marchés obligataires.

Pascal Coret : La BCE ne va que très progressivement réduire sa détention de titres. Par ailleurs, depuis le début de l’année en zone euro, le volume d’émission est largement supérieur à 150 milliards d’euros et pourtant toutes les émissions sont achetées voire surachetées, les investisseurs ont été très actifs sur l’obligataire primaire. La BCE va certes réduire son bilan, mais d’autres acheteurs sont très présents. Il en va de même aux Etats-Unis où, déjà l’an dernier, les achats menés par des non-résidents ont largement compensé la réduction des interventions de la Fed. Ces flux massifs sont d’ailleurs surprenants.

Alain Krief : La configuration des marchés est en effet en train de changer. Actuellement, les entreprises se préoccupent ainsi bien davantage de satisfaire les détenteurs de dette que leurs actionnaires. Les rachats d’actions sont dans cette perspective en train de se réduire.

Nicolas Boulet : Les flux sur les marchés obligataires sont effectivement importants ces dernières semaines. Depuis fin septembre, les investisseurs profitent de points d’entrée. Les spreads (ou écarts de crédit) ont ainsi eu tendance à se réduire. De même, les actions sont orientées à la hausse. Depuis le mois d’octobre, ces dernières ont progressé de près de 25 % ! La configuration a radicalement changé ces derniers mois. Sur certaines classes d’actifs, nous avons retrouvé les mêmes niveaux qu’en janvier 2022, pourtant, les perspectives macro-économiques sont très différentes.

Alain Krief : Les investisseurs affichent un fort appétit pour les actifs à risque, mais ils restent tout de même très prudents et envisagent plutôt des surprises à la baisse qu’à la hausse. Cela se traduit par un positionnement sur les actifs obligataires sur les segments à court terme voire à très court terme. Et cela concerne aussi les particuliers. Le livret A offre depuis peu un rendement de 3 %, tandis que les fonds monétaires affichent un rendement de 2,5 %. Les investisseurs devraient pourtant s’intéresser à des segments plus longs. Aujourd’hui, le high yield offre un rendement de 7 % et le segment noté en catégorie investment grade de 4,5 % sur les titres longs. Les subordonnées qui sont aussi notées investment grade apportent des rendements encore supérieurs. Ces actifs sont attractifs en termes absolus. Par ailleurs, si des risques sont présents, ils ne sont pas systématiques. Certains secteurs et/ou entreprises sont plus impactés que d’autres par la hausse des prix de l’énergie et/ou par l’inflation. D’autres s’en sortent beaucoup mieux. Il existe une forte différenciation entre les secteurs. Il est possible que les taux de défaut augmentent légèrement et/ou que nous assistions à des évolutions dans les notations des entreprises, mais la crise n’est pas systémique contrairement à 2008. Il est donc possible de trouver de la valeur.

Michael Israel : Il y a de la valeur dans le segment investment grade court terme (1-3 ans) en dollar car le segment est défensif à la fois si le cycle économique se retourne et si les taux d’intérêts ne se stabilisent pas aussi vite qu’espéré par le marché. Sur la partie à plus long terme, des risques sont présents au cas où les taux longs sur les bons du Trésor américains repartent à la hausse, mais il faut aussi envisager la possibilité d’une réduction des taux longs autour des 2,5 % en cas de normalisation de l’inflation américaine contre des rendements compris actuellement entre 3,5 % et 4 %. Les titres investment grade sur des échéances moyennes et longues possèdent des avantages et des inconvénients, mais ces derniers sont gérables.

Alain Krief : Il existe encore de nombreuses anomalies ou disparités sur les marchés financiers qui devraient à terme être corrigées. Cela est notamment le cas sur le segment des petites et moyennes capitalisations qui sont en retard par rapport aux plus grandes. Une correction des excès ainsi que des disparités est actuellement à l’œuvre.

Pascal Coret : La hiérarchie des spreads n’a pas beaucoup changé, malgré la volatilité. Les évolutions sont plus importantes entre les produits de taux et les autres classes d’actifs. Les taux redeviennent attractifs par rapport aux actions et surtout par rapport aux produits non cotés dont les valorisations et les rendements ont encore peu évolué.

Amir Fergani : Les obligations redeviennent très attractives en termes relatifs, pour autant, les gérants obligataires doivent faire preuve de beaucoup de sélectivité car les défauts vont augmenter, en particulier sur le segment high yield.

Michael Israel : Comme le disent les Anglo-Saxons, lorsque le cycle se retourne, les sociétés travaillent pour les créanciers. Elle cherche à se désendetter plutôt qu’à investir, ce qui est positif pour le high yield. Les accidents dans le high yield arrivent surtout quand les sociétés s’endettent et que le cycle se retourne. C’est précisément pour cela que les obligations internationales des entreprises émergentes sont particulièrement attractives car elles entrent dans cette période de retournement en étant très peu endettées. Si l’on compare avec le segment high yield européen, l’endettement moyen y est quasi trois moins élevé (moins de 2 fois le ratio Ebitda versus plus de 5 fois l’Ebitda). Le segment HY émergent est même moins endetté que le segment investment grade des pays développés. Ce niveau d’endettement externe moins élevé n’était – ces dernières années – finalement qu’un élément de confort pour les investisseurs car les sociétés et les économies endettées s’en sortaient toujours notamment grâce aux interventions des banques centrales. L’endettement faible va peut-être faire la différence maintenant qu’un nouveau cycle est engagé, surtout si les banques centrales disposent de marges de manœuvre réduites.

Amir Fergani, directeur de la gestion obligataire France & EMEA chez Generali Insurance Asset Management

« Nos équipes de recherche anticipent une baisse des taux longs d’ici la fin de l’année. »

Parcours

Amir Fergani possède plus de 22 années d’expérience et a rejoint Generali Investments en octobre 2014. Il a été auparavant gérant senior de portefeuille obligataire et crédit chez Natixis Asset Management en charge de portefeuille d’assurances, et de fonds en valeur de marché. Amir avait rejoint Swiss Life en tant que gérant senior multi-actifs de 2006 à 2010 en tant que responsable de la gestion des fonds d’assurances vie et non-vie. Il a débuté sa carrière en 2000 chez HSBC Assurances en tant que gérant actif/passif en charge de l’allocation stratégique d’actifs et des couvertures des risques du fonds euro d’ERISA. Amir est diplômé de l’Ecole polytechnique (master en ingénierie mathématique) et de l’Université Pierre et Marie Curie, Paris VI (DEA de statistique).

Chiffres clé

  • Effectifs dans l’expertise obligataire : 55 personnes, dont 23 gérants et 13 analystes crédit chez Generali Insurance Asset Management (GIAM).
  • Encours en obligataire et % des encours totaux : près de 255 milliards d’euros soit un peu plus de 50 % des encours totaux de Generali Investments (chiffres au 31/12/2022).
  • Philosophie d’investissement en quelques mots : Generali Investments a une expérience significative en gestion obligataire (gestion sous mandat, LDI, ou gestion de fonds en valeur de marché) dans le cadre d’un processus de gestion robuste. Les décisions d’allocations tactiques par profil de fonds sont prises à la suite des comités mensuels internes auxquels participent les différentes équipes de recherche, de gestion et de risques. Le processus de sélection des titres se base sur les analyses fondamentales qui couvrent plus de 650 émetteurs « investment grade » et « high yield » et sur les analyses ESG.

Comment avez-vous fait évoluer vos allocations ?

Pascal Coret : Nos encours obligataires s’élèvent à environ 180 milliards. Ces trois dernières années, nous avons fortement collecté via le fonds d’épargne en raison de la hausse des souscriptions des ménages dans les livrets bancaires réglementés. Depuis la crise sanitaire, nos encours ont fortement grimpé de l’ordre de 60 milliards d’euros. Pour rappel, la Caisse des dépôts gère 60 % de l’encours du livret A et du livret de développement durable et solidaire. Nous nous attendons à une poursuite de l’accroissement des souscriptions liées à la hausse de la rémunération des livrets à 3 %. Compte tenu de nos niveaux d’encours, il est peu aisé d’avoir une forte rotation selon les évolutions des marchés. Nous sommes de toute manière un investisseur de long terme ; par conséquent, lorsque nous acquérons une obligation, nous la détenons bien souvent jusqu’à maturité. Ces dernières années, nous avions privilégié les obligations d’entreprise par rapport aux obligations souveraines, mais depuis quelques mois, nous nous intéressons à nouveau à ces titres qui offrent maintenant un rendement attractif et sans risque. Nous continuons également à investir dans le crédit. En revanche, alors que la part investie en actions reste élevée avec plus de 20 % de notre portefeuille, les allocations favorisent moins les actions ou les actifs non cotés.

Michael Israel : Le grand changement, très positif d’ailleurs, réside dans le fait que, les titres notés investment grade redevenant intéressant, la combinaison investment grade et high yield donne un résultat particulièrement approprié au contexte macro, chaque segment ne possédant pas les mêmes moteurs de performances (taux, spread, coupon, duration).

Pascal Coret : Nous sommes également investis dans des titres notés high yield pour capter leur prime de risques. L’attrait relatif du high yield vis-à-vis des autres catégories d’obligations s’est réduit avec la hausse des rendements, mais pas vis-à-vis des autres classes d’actifs.

Michael Israel : Comme déjà indiqué, les rendements de l’investment grade sont intéressants, mais attention car le segment a l’inconvénient d’offrir, sur une grande partie de l’univers, des obligations très convexes car le coupon est minime. La compression attendue des spreads sur l’investment grade étant limitée, la revalorisation des prix de ces obligations peut être lente et, en attendant, le coupon est très faible. Les titres idéaux sont ceux notés investment grade avec un coupon correct, ce qui est le cas uniquement sur le marché primaire. L’association avec le high yield est aussi intéressante, surtout lorsque le risque crédit est bien géré.

Nicolas Boulet : Nous sommes également positifs sur le crédit et avons augmenté notre exposition à cette classe d’actifs depuis le quatrième trimestre 2022. Nous avons aussi renforcé notre exposition sur les obligations souveraines et sommes plutôt neutres en ce qui concerne le positionnement sur la courbe des taux d’intérêt. Nous pensons qu’il se faut se préparer à une repentification de la courbe. Nous avons également investi sur des segments de niche dans le crédit au sens large. Nous nous intéressons à des actifs qui avaient disparu de nos portefeuilles, mais qui ont gagné en attractivité avec la hausse des taux d’intérêt à savoir les ABS (asset-backed securities) ou encore les « covered bonds » (obligations sécurisées) qui offrent maintenant des taux positifs. Le nouvel environnement de taux d’intérêt nous permet de mettre en œuvre une stratégie d’allocation sur les obligations plus diversifiée.

Alain Krief : Nous mettons en avant auprès de nos clients le crédit ainsi que des classes d’actifs de diversification comme les subordonnées financières ou encore les hybrides corporates. Nous considérons également que les titres notés en catégorie high yield sont attractifs. Cependant, dans un contexte de ralentissement de la croissance, il faut demeurer prudent. Par conséquent, nous sélectionnons dans cet univers les titres avec les meilleures notations et/ou nous les associons à des titres notés investment grade. En matière d’actions, nous sommes relativement prudents, nous préférons sous-pondérer cette classe d’actifs au profit des convertibles dont le potentiel de diversification nous semble actuellement plus intéressant.

Amir Fergani : Il existe deux types de portefeuilles à savoir les fonds qui sont valorisés en prix de marché et les portefeuilles assurantiels comptabilisés en prix historique. Pour les seconds, nous nous inscrivons dans le consensus et surpondérons les titres notés investment grade, sans prendre trop de risque de duration pour l’instant. Nous sommes neutres sur les titres notés « high yield » et commençons à nouveau à nous intéresser à la dette émergente en raison notamment de la baisse du dollar par rapport à l’euro, qui devrait se poursuivre. Il existe beaucoup de dispersion dans cet univers qu’il convient d’exploiter. En ce qui concerne les fonds valorisés en prix de marché. Nous étions jusqu’à présent neutres en duration, mais nous commençons à augmenter notre exposition au risque de taux très progressivement. Nous essayons dans la mesure du possible de tirer avantage de la volatilité, tout en étant prudents sur le risque de duration grâce à l’utilisation des produits dérivés. Nous considérons qu’idéalement un portefeuille obligataire doit être composé à 80 % d’obligations d’entreprise en particulier sur des notations investment grade et à 20 % d’obligations souveraines. Il s’agit d’une stratégie assez agressive, même si nous sommes couverts contre l’écartement des spreads. Ces couvertures sont actuellement chères, mais elles ont l’avantage de nous permettre d’ajuster notre spread de duration. Enfin, nous pensons que des produits (de type fonds à maturité) permettant de fixer dès aujourd’hui le rendement attractif des obligations d’entreprises dans la catégorie investment grade auraient de l’intérêt dans le contexte de marché actuel.

Michael Israel : Avec les niveaux atteints dans les rendements, nous sommes convaincus qu’il sera difficile pour les autres classes d’actifs de « battre » un bon portefeuille obligataire diversifié sur les trois à cinq prochaines années. Mieux que le chiffre du rendement, la valeur embarquée (pour simplifier le rendement multiplié par la duration) donne la mesure de la valeur retrouvée dans les portefeuilles obligataires. Les spécialistes évoquent des fourchettes allant de 20 % à 50 % de valeur embarquée sur trois à cinq ans. Du point de vue de l’actionnaire, la hausse des coûts d’emprunt crée la nécessité de produire encore davantage de valeur pour être rémunéré une fois la dette remboursée. Coté investisseur, ce que nous trouvons unique dans le contexte actuel est le fait de pouvoir se replier dans la structure du capital vers les obligations qui sont plus protectrices en cas de retournement de cycle économique, tout en étant mieux rémunéré. Généralement ce repli intervient lorsque les taux baissent du fait du ralentissement économique. L’expression « bond is back » évoque précisément cette notion de rendement/risque idéale dans un contexte d’incertitude sur l’évolution des taux et de la croissance. Si les nouvelles macro-économiques s’avèrent positives, la valeur embarquée des portefeuilles obligataires va être distribuée plus vite aux investisseurs via les prix de marché, et si les développements macro-économiques s’avèrent finalement négatifs, en tant qu’investisseurs, nous sommes bien rémunérés pour attendre soit la maturité soit des jours meilleurs. Sur le risque de défaut, il y a beaucoup à dire, mais résumons-le à deux stratégies clés : trouver les gisements où les sociétés sont peu endettées et paient correctement et/ou construire de la valeur embarquée pour absorber les potentiels défauts. Au sein de l’univers des obligations internationales, le meilleur segment de marché sur le long terme est celui des dettes corporate émergentes libellées en devise dure qui présentent justement ces deux caractéristiques.

Alain Krief : Nous apprécions en ce qui nous concerne les émissions primaires. De nombreux fonds à échéance ont été lancés ces derniers mois afin de profiter justement de la hausse des taux d’intérêt, tout en contrôlant le risque de défaut. Il est intéressant de noter dans ce cadre que lorsque nous investissons dans des titres émis par des industriels, le taux de recouvrement en cas de défaut peut être élevé – de l’ordre de 70 % contre une moyenne de 40 %. Les titres étant souvent achetés avec une décote, la perte en cas de défaut est donc très réduite. Ce type de stratégie est intéressante lorsqu’il n’y a pas de risque systémique qui pourrait emporter toute la classe d’actifs. En revanche, il convient d’avoir un horizon de temps à moyen terme. En ce qui concerne Edmond de Rothschild Asset Management, nous avons lancé un fonds à échéance dont l’horizon d’investissement est 2028.

Michael Israel : En ce qui concerne les titres investment grade, les notions de prix décotés et de valeurs de recouvrement ont moins de pertinence car le risque de défaut est faible. C’est pourquoi, sur l’investment grade, c’est le coupon qui est plus important d’après nous dans le contexte actuel. Sans coupon, il se peut qu’il faille attendre l’échéance pour gagner de l’argent, surtout si les banques centrales sont limitées en termes d’intervention au moins temporairement. Sur le segment high yield, nous privilégions les entreprises les moins endettées en raison du risque de solvabilité et nous évitons les échéances courtes du fait du risque de liquidité (refinancement).

Michael Israel, associé Ivo Capital Partners

« Les titres idéaux sont ceux notés investment grade avec un coupon correct, ce qui est le cas uniquement sur le marché primaire. »

Parcours 

Michael Israel a débuté sa carrière en 2000 chez Paribas. Il rejoint ensuite Rothschild & Cie à Paris en 2001. En 2005, il rejoint Merrill Lynch ou il dirige une équipe de gestion spécialisée sur le crédit corporate en situation spéciale. Son équipe couvre l’ensemble des instruments de crédit corporate avec un focus spécifique sur les crédits structurés et les marchés high yield européen et emerging market pour un encours de 500 millions de dollars. Michael quitte Merrill Lynch en 2012 pour fonder IVO Capital Partners avec l’ambition d’en faire un acteur de la gestion obligataire internationale. Il est également membre du Comité d’investissement des fonds de litigation finance gérés par IVO Capital Partners. Michael est titulaire d’un master’s degree de la Toulouse Business School.

Chiffres clé

  • Effectifs obligataires : 10
  • Encours en obligataire et % des encours totaux : 1,25 milliard d’euros d’encours sous gestion au total (à fin 2022), dont 1,1 milliard en gestion obligataire.
  • Historique de performance sur un fonds phare : Les fonds IVO Fixed Income et le fonds IVO Short duration font partie de la même catégorie Morningstar à savoir obligations d’entreprises émergentes. Le fonds IVO Fixed Income est à la première place du classement de cette catégorie sur cinq ans et second sur trois ans (en effet, le premier de la catégorie sur trois ans est le fonds IVO Short Duration).
  • Philosophie d’investissement en quelques mots : Ivo Capital Partners est spécialisé sur les marchés de financement cotés et non cotés. Sur les actifs cotés, IVO investi sur le marché des obligations internationales libellées en devises dures sur lequel se retrouvent des émetteurs de toutes les zones géographiques (pays émergents et pays développés). IVO propose, au travers de quatre fonds UCITS, des portefeuilles diversifiés d’obligations émises par des sociétés des pays émergents car elles offrent plus de rendement, tout en étant moins endettées que leurs consœurs des pays développés.

Avez-vous également augmenté votre exposition aux obligations indexées sur l’inflation ? 

Amir Fergani : Les obligations indexées sur l’inflation présentent un attrait pour les investisseurs institutionnels qui possèdent des passifs longs (type retraite) à couvrir contre ce risque ou pour protéger son actif contre l’inflation réalisée. Actuellement, les points d’entrée sur cette classe d’actifs sont intéressants compte tenu des points morts d’inflation qui ont rebaissé vers les 2,3 %. Les obligations sécurisées ou « covered bonds » présentent aussi de l’intérêt pour les assureurs avec la hausse des primes de risques et des rendements absolus plus attractifs. Elles sont notées pour leur majorité AAA et le ratio rendement sur pertes probables attendues est très attractif actuellement.

Nicolas Boulet : Nous utilisons des obligations indexées sur l’inflation afin de nous couvrir nos passifs. Aujourd’hui, lorsque nous considérons les points morts à long terme, nous sommes redescendus à des niveaux proches des cibles d’inflation des banques centrales et qui apportent donc une protection en cas de scénario de nouvelle hausse forte de l’inflation.

Pascal Coret : Nous pouvons raisonner relativement à une obligation « classique » qui sert un rendement nominal et à ce titre il faut considérer les niveaux de points morts : est-ce que le niveau d’inflation anticipé par le marché est inférieur ou supérieur à nos anticipations ? En ce moment, de notre point de vue les anticipations de marché sont un peu basses. Mais nous pouvons aussi raisonner en prix de marché. Il faut alors considérer le taux réel et l’inflation réalisée sur la période. Actuellement, les taux d’intérêt réels sont à nouveau positifs, à 0,5 % ou 0,6 %, ce qui n’avait pas été le cas depuis longtemps. Nous pouvons nous poser la question de savoir si nous sommes dans un monde dans lequel le PIB potentiel de la zone euro a vraiment monté pour justifier une hausse des taux réels. Cela est loin d’être sûr d’après nous, mais le taux d’intérêt monte. Dans une optique de long terme, voire de retraite pour les particuliers, investir sur des titres avec des taux d’intérêt réels positifs constitue une bonne stratégie d’investissement, en fond de portefeuille. Mises à part les obligations indexées, il est difficile de trouver des classes d’actifs qui apportent une protection vraiment satisfaisante contre l’inflation. L’immobilier est souvent utilisé pour se couvrir contre l’inflation car les loyers sont indexés, mais les prix doivent encore s’ajuster. Il en va de même pour l’ensemble des actifs illiquides. Les portefeuilles de la gestion des actifs de la CDC ayant un passif pour partie indexé à l’inflation (la formule du livret A intègre l’inflation française), il est normal qu’ils détiennent une part significative d’exposition inflation (un peu plus de 50 milliards d’euros) et compte tenu de ce qui précède, il n’est pas surprenant que nous ayons massivement acheté des obligations indexées sur l’inflation.

Amir Fergani : Aujourd’hui, Il est très difficile de couvrir des portefeuilles gérés en prix de marché contre l’inflation. Il faut avoir une vision à la fois sur les taux d’intérêt réels et sur l’inflation réalisée dans le futur.

Alain Krief, responsable expertises Fixed Income chez Edmond de Rothschild AM

« Nous sélectionnons dans l’univers des titres notés high yield les meilleures notations et nous les associons à des titres notés investment grade. »

Parcours

Alain Krief a rejoint le groupe Edmond de Rothschild en juillet 2019 en tant que responsable des expertises dettes d’entreprises et obligations convertibles. Il a débuté sa carrière en tant que consultant chez Andersen Consulting, puis responsable de projet IT au Crédit Lyonnais. Il a ensuite exercé des fonctions de trader au Crédit Lyonnais, puis celle de responsable du high yield Europe chez Crédit Lyonnais Asset Management/Crédit Agricole Asset Management. En 2005, il rejoint BNP Paribas Asset Management où il va occuper plusieurs fonctions majeures dont celle de co-responsable des portefeuilles total return, responsable high yield Europe et responsable global des investissements crédit. En 2012, Alain Krief intègre Oddo BHF AM où il prend la direction de l’équipe fixed income & convertibles.

Chiffres clé

  • Effectifs dans l’expertise obligataire : 16
  • Encours en obligataire et % des encours totaux : 7,2 milliards d’euros, soit 8,5 % des encours totaux.
  • Historique de performance sur un fonds phare : EdR SICAV Financial Bonds, performance sur 10 ans de la part I en euro, performance annualisée : +3,4 % contre 1,4 % pour le benchmark (80 % ICE BofA Euro Financial + 20 % ICE), performance cumulée : +39,80 % vs 14,79 % pour le benchmark (données au 26/01/2023).
  • Philosophie d’investissement en quelques mots : la société de gestion a adopté une approche active et flexible de l’investissement obligataire, et démontrant une compréhension avancée du risque. Cette méthode permet de construire des portefeuilles robustes qui génèrent de la performance dans la durée.

Des méthodologies ESG et en faveur du climat qui s’affinent

Est-il possible d’intégrer les critères ESG et /ou la problématique du réchauffement climatique dans l’ensemble des actifs obligataires ? Qu’en est-il en particulier du souverain ?

Pascal Coret : En ce qui concerne le souverain, l’intégration des critères ESG (environnement, social et gouvernance) est délicate car il s’agit d’évaluer des gouvernements élus la plupart du temps démocratiquement. Plus généralement, nous ne pouvons engager un dialogue, une action auprès d’un gouvernement comme nous pouvons le faire pour une entreprise. Néanmoins, nous nous sommes engagés dans le cadre de l’« Asset Owner Alliance » à réduire notre empreinte carbone. Nous calculons les émissions de carbone de nos portefeuilles souverains et évaluons les stratégies mises en œuvre collectivement pour la réduire. Nous pouvons citer d’autres limites concernant l’ESG par exemple dans les pays émergents, les données publiées peuvent être questionnées. Nous avons tous développé des scores ESG à partir des mêmes sources, notamment la Banque mondiale, la FAO (organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture) et historiquement l’Université de Yale. Cette uniformité permet d’évaluer le positionnement de notre portefeuille par rapport à notre univers d’investissement à la fois d’un point de vue statique et d’un point de vue dynamique. Mais les scores correspondent à des moyennes ; par conséquent, ils masquent ou lissent certaines faiblesses. Un pays peut posséder un score dans la moyenne, mais afficher des lacunes importantes par exemple sur les droits de l’homme. Il faut donc analyser finement les scores et procéder à des exclusions. Enfin, il est intéressant de souligner que le score ESG d’un souverain est totalement corrélé avec le PIB par habitant. La Finlande, la Suède, plus généralement les pays nordiques arrivent en tête des classements, mais ce sont des pays qui n’ont pas forcément besoin de notre soutien en tant que créanciers. En intégrant ce critère, les analyses deviennent plus pertinentes.

Nicolas Boulet : Nous appliquons des exclusions et ensuite les critères ESG traditionnels pour l’ensemble des émetteurs souverains et des émetteurs corporate, dans toutes les géographies. Nous analysons tous les critères E, S et G et, au sein de chacun, nous considérons les sous-notes en prenant garde à mettre en place des notations minimales ou des seuils à ne pas franchir sous peine d’exclusion. D’une année sur l’autre, nous augmentons nos exigences sur ces notes minimales afin d’améliorer la qualité de nos portefeuilles. En matière de décarbonation, Allianz est également un des membres fondateurs de l’Asset Owner Alliance. Nous nous sommes engagés dans ce cadre à réduire notre empreinte carbone de 25 % d’ici 2024 sur notre portefeuille d’obligations corporate. Une stratégie ESG et de décarbonation est mise en œuvre aussi pour nos investissements dans les obligations souveraines. Ce secteur est plus compliqué à appréhender que celui des entreprises. Nous essayons d’estimer si les politiques mises en œuvre correspondent aux plans de décarbonation annoncés.

En nous appuyant sur notre expertise interne et en partenariat avec des fournisseurs de données externes et des organismes de recherche, nous cherchons à développer l’analyse des enjeux du changement climatique au sein de notre portefeuille à différents niveaux de granularité (portefeuille, classes d’actifs et secteurs, entreprises). Nous utilisons également des scénarios de stress test climatiques. Les stress tests climat permettent d’identifier les impacts financiers potentiels liés aux risques climatiques. Que se passera-t-il pour certains émetteurs en cas de réchauffement climatique supérieur à 2 degrés ? Ces stress tests ont été lancés initialement par la BoE (Bank of England) et sont maintenant aussi mis en œuvre par la BCE. Nous les incluons dans nos analyses de portefeuille afin d’estimer sur quels émetteurs nous sommes le plus à risque y compris sur le souverain.

Pascal Coret : Ce type d’approche est effectivement en train de se développer. Nous arrivons maintenant à cartographier pays par pays notre sensibilité au risque climatique extrême. Par ailleurs, nous nous posons la question : est-ce qu’un portefeuille qui est compliant avec un réchauffement climatique à 1,5 degré est en mesure de résister à un monde où la hausse des températures moyennes serait de 4 degrés ? Quel portefeuille serait le plus résistant sachant que sa composition n’est pas la même ? La réponse à cette question est importante.

Alain Krief : Nous investissons sur les émissions corporate et avons développé une méthodologie pour cette classe d’actifs. Nous abordons le souverain via les émergents. Nous nous appuyons dans ce cadre sur des fournisseurs de données externes. En revanche, en matière d’obligations corporate, nous poussons beaucoup plus loin l’analyse, même si nous utilisons aussi les travaux de fournisseurs de données externes comme MSCI ou encore Carbone 4. Tous nos fonds sont catégorisés en article 8 dans le cadre du règlement SFDR. Nous allons prochainement lancer un fonds climat dans la catégorie article 9 qui investira sur des « green bonds », des « social bonds » ou encore des « sustainable bonds » émis par des acteurs du monde émergent principalement en Asie. Nous pensons que le champ d’actions dans cet univers pour agir sur le climat est important.

Amir Fergani : Nous disposons chez Generali Asset Management d’une équipe d’analystes ESG et d’une équipe d’analystes crédits qui travaillent en collaboration. En effet, les risques ESG, climatiques et physiques peuvent avoir une incidence sur la qualité de crédit d’une entreprise sur le moyen/long terme. Le groupe Generali s’est également engagé à être neutre en carbone à un horizon 2050 conformément à l’objectif de l’Accord de Paris et à l’engagement pris par Generali dans le cadre de la Net-Zero Asset Owner Alliance et il s’engage à investir à un horizon 2025 sur des obligations vertes et durables. Nous disposons de notre propre filtre d’analyse des obligations durables. Nous remarquons du côté des clients externes des approches différentes et des appétences différentes pour l’ESG, même si maintenant, tous les acteurs sont forcés d’intégrer ces critères. Ils ont besoin d’accompagnement dans ce domaine. Nous pouvons les aider à analyser leur empreinte carbone, à améliorer la qualité de leurs données. Il faut posséder les outils nécessaires pour sélectionner les émetteurs. Nous avons élaboré un filtre pour exclure les émetteurs non éthiques, ensuite nous appliquons un filtre ESG en nous appuyant sur un fournisseur de données externes. Les équipes de gestion et ESG ont également développé en interne des outils d’optimisation de portefeuilles avec ces multiples paramètres dits « extra-financiers ». Nous sommes capables de réduire l’empreinte carbone d’un portefeuille, tout en optimisant son rendement ou le ratio rendement sur charge en capital sous Solvency 2.

Michael Israel : 95 % des entreprises qui intègrent les grands indices émetteurs émergents sont couvertes par l’agence Sustainalytics. La complexité réside surtout dans les besoins de ces émetteurs de préserver leur croissance, tout en la servant sans interruption énergétique. Les agences et les organisations climatiques en sont désormais conscientes et ont adapté leur scoring en intégrant mieux cette réalité.

Pascal Coret, directeur adjoint du département gestion des placements, en charge des segments obligataires, au sein de la direction des gestions d’actifs de la Caisse des dépôts

« Nous arrivons maintenant à cartographier pays par pays notre sensibilité au risque climatique extrême. »

Parcours

Pascal Coret, 57 ans est diplômé de l’ESCP. Après un début de carrière en banque d’investissement, puis à la direction financière du groupe Louis Dreyfus, Pascal Coret rejoint la filiale allemande de la Caisse des Dépôts à Francfort comme primary dealer sur la dette de l’Etat fédéral. De retour à Paris, il intègre le service de recherche économique de CDC-Marchés avant de rejoindre la gestion taux du compte propre de la Caisse des Dépôts, pour en prendre la tête en 2005. En juillet 2017, il devient responsable de la gestion taux du département des placements financiers. Depuis 2018, Pascal Coret est directeur adjoint du département gestion des placements, en charge des segments obligataires, au sein de la direction des gestions d’actifs à la Caisse des dépôts.

Chiffres clé

  • Effectifs dans l’expertise obligataire : 12 gérants/analystes.
  • Encours des portefeuilles obligataires et % des encours totaux (en mark-to-market au 31/12/2022) : 184 milliards d’euros, pour un total des placements financiers de la CDC à 245 milliards d’euros, soit 75 %.
  • Philosophie d’investissement : long terme, gestion internalisée/directe, 100 % ESG, diversifiée, détention à échéance, prépondérance France et Union européenne.

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