dossier spécial

ISR & capital humain - Le rendez-vous des investisseurs et des entreprises responsables

Publié le 20 janvier 2023 à 12h00

Séverine Leboucher

Se préoccuper de l’emploi, c’est s’intéresser à un triple enjeu sociétal, économique et financier. « Rêvons un peu, exhorte André Coisne, fondateur d’Humpact, agence de notation extra-financière dédiée à l’emploi, en ouverture des Rencontres ISR et capital humain organisées par Option Finance en décembre dernier. Si l’on parvenait à créer les 3,5 millions d’emplois qui séparent la France de l’Allemagne, nos retraites seraient mieux financées, le climat social s’améliorerait et la dette de l’Etat pourrait reculer. Mais pour cela, il faudrait que les grandes entreprises prennent leur part. Or depuis fin 2019, le SBF 120 a collectivement détruit 26 000 emplois, quand l’économie dans son ensemble en créait 830 000. » L’appel est lancé.

Le capital humain : un enjeu de résilience et de performance des organisations

Dans cette période post-Covid, la gestion des ressources humaines est au cœur des préoccupations des entreprises. Les investisseurs cherchent la manière d’accompagner ces dernières.

Avec de gauche à droite : Ivan Best (modérateur), rédacteur en chef adjoint, Option Finance, Adrien Couret, directeur général, Aema Groupe, Michel Escalera, CEO, Palatine Asset Management, Dominique Laurent, SVP ressources humaines France, Schneider Electric

Le concept de « capital humain », apparu dans l’univers anglo-saxon, reste assez délicat à utiliser en France. Il a pourtant le mérite, en reliant deux termes a priori contradictoires, de souligner les paradoxes auxquels fait en ce moment face la gestion des ressources humaines, met en avant Adrien Couret, directeur général de l’assureur Aema Groupe : « Après avoir pendant des années expliqué que tout serait digitalisé, on s’est finalement rendu compte que, dans les métiers de services, la compétitivité passe d’abord par la qualité des personnes que nos assurés ont au bout du fil. » La crise sanitaire a mis en lumière l’importance de ce capital humain… et sa rareté. « Dans notre groupe de 19 000 personnes, il nous manque 10 % des effectifs », ajoute le dirigeant.

Alors que le spectre de la « grande démission », telle que les Etats-Unis en font l’expérience ces derniers mois, plane en France, Dominique Laurent, SVP Ressources Humaines France chez Schneider Electric, tient à nuancer les difficultés. « En 2021, nous n’avons jamais eu aussi peu de démissions, signale-t-il. Nous rencontrons certes des difficultés à recruter mais nous les avons toujours eues. Le sujet de la guerre des talents n’est pas nouveau : il a 20 ans ! Ce qui est très nouveau, c’est que l’on est dans un monde VUCA, c’est-à-dire volatil, incertain, complexe et ambigu, avec des crises qui succèdent à des crises. Et une telle période est marquée par une très forte hétérogénéité entre les entreprises. »

Un levier à activer pour les financiers

Le capital humain, surtout dans un monde post-Covid, est donc un concept particulièrement difficile à appréhender pour un investisseur. Parent pauvre de l’ESG, « le pilier social de l’ESG renvoie à un univers de mesures beaucoup plus large que le pilier environnemental, allant de l’emploi des seniors à la qualité de vie au travail en passant par la prévention et la sécurité », reconnaît Adrien Couret, prenant sa casquette de dirigeant d’OFI Invest. En particulier, il est difficile à traduire en termes financiers. « Beaucoup d’études ont établi qu’il y a un lien entre performance financière et extra-financière pour les dimensions environnementales et, plus encore, de gouvernance. C’est en revanche moins évident pour le social », rappelle Michel Escalera, CEO de Palatine Asset Management.

Mais la situation change, avec la plus grande disponibilité des données sociales. « A partir du moment où le marché commence à les prendre en compte, elles vont devenir un levier de performance, se réjouit le gestionnaire d’actifs, qui a créé un fonds sur le thème de l’emploi en France. Cela va permettre d’avoir une lecture plus précise de l’entreprise. »

La croissance inclusive, impératif stratégique ou pilier de rendement à long terme

Alors que les inégalités sociales sont montées en flèche ces dernières années, accentuées par la crise sanitaire, entreprises et pouvoirs publics s’attellent à rendre plus inclusif le système économique.

Avec de gauche à droite et de haut en bas : Olivier Fournier, directeur général en charge de la gouvernance et du développement des organisations, Hermès, Hugues Franc (modérateur), cofondateur, Humpact, Séverine Laugier, directrice de projets au sein de la direction de l’innovation sociétale, Sodexo, Marie-Pierre Rixain, députée de l’Essonne, Assemblée nationale

Pour permettre une croissance plus inclusive, le législateur a en particulier travaillé sur la question de l’égalité femmes-hommes au sein des entreprises. C’est tout l’objet de la loi « Rixain » du 24 décembre 2021. Cette dernière impose notamment aux entreprises de plus de 1 000 salariés de publier la part des femmes dans leurs instances dirigeantes, comme c’est déjà obligatoire pour les conseils d’administration depuis 2011. « L’un des facteurs de succès de la loi “Copé-Zimmermann” est d’avoir laissé du temps aux entreprises pour mettre en place ce qu’elle exigeait, explique Marie-Pierre Rixain, députée de l’Essonne qui a inscrit sa propre loi dans le plan France 2030. Il faut du temps pour engendrer un changement systémique. Mais l’objectif est aussi de montrer que l’on se place dans une perspective d’impact et d’innovation, pas seulement sur un principe d’égalité républicain. On ne parle pas seulement d’éthique mais aussi de croissance. »

Un double objectif économique et social

Un message qui parle à certaines entreprises en avance sur ces sujets, telles que Sodexo qui vient de développer un projet autour du thème de l’employabilité : la Passerelle. « Nous avons créé une société qui poursuit un double objectif d’impact financier et extra-financier, témoigne Séverine Laugier, directrice de projets au sein de la direction de l’innovation sociétale chez Sodexo. Il s’agit d’un lieu en cœur de ville où l’on apporte les services qui manquent le plus sur un territoire. Le premier lieu a été créé à Clichy-sous-Bois en avril 2022 et regroupe par exemple une légumerie, une crèche et une salle de formation. Nous avons pour objectif de créer une dizaine de lieux similaires en France. »

Ce double impact économique et social au sein des régions françaises est également un objectif poursuivi par Hermès. « L’ancrage territorial renvoie à une conviction forte de l’entreprise, celle que l’on ne peut pas créer de valeur économique sans créer de valeur sociale », assure Olivier Fournier, directeur général en charge de la gouvernance et du développement des organisations chez Hermès. Pour le groupe de luxe, cela se traduit notamment par une politique poussée en matière de formation. « Nous avons créé notre propre école des savoir-faire Hermès, que l’on peut suivre sur l’ensemble du territoire, poursuit-il. Les personnes qui nous rejoignent, qui sont en reconversion professionnelle pour la plupart, obtiennent ainsi un diplôme reconnu. »

Des initiatives sociales utiles à la gestion de l’entreprise : « En travaillant la question de l’emploi dans les quartiers prioritaires de la ville, nous enrichissons nos pratiques grâce à des approches un peu différentes », conclut Séverine Laugier. 

Green management, gestion des talents…comment accompagner les grandes transformations organisationnelles

Les organisations se transforment à vitesse grand V depuis deux ans. Un défi pour les DRH qui doivent accompagner au mieux ces mutations.

Avec de gauche à droite : Géraldine Galindo (modératrice), professeur management & ressources humaines, ESCP Business School, Emilie Hubert, directrice des opérations RH et des affaires sociales, Unilabs, Florence Wiener, directrice de la stratégie sociale et de la qualité de vie au travail, Groupe La Poste

Bouleverser des codes ancrés dans les entreprises depuis des dizaines d’années est un enjeu pour un nombre croissant d’entreprises dans la période post-Covid. Télétravail, difficultés de recrutement, recherche de sens, les directions des ressources humaines doivent trouver la manière de parler à des collaborateurs dont les attentes évoluent, mais pas toujours au même rythme selon leur statut dans l’entreprise, leur parcours et bien entendu leur âge. « Pour les plus jeunes, l’important n’est pas nécessairement qu’ils soient fidèles mais qu’ils soient engagés, assure Emilie Hubert, directrice des opérations RH et des affaires sociales chez Unilabs. Nous encourageons le management par le résultat pour que les collaborateurs s’approprient les responsabilités de leur mission. Le télétravail, la flexibilité sur les horaires, nous sommes d’accord, mais il n’y a pas de dérogation sur le résultat. Ce sont eux-mêmes qui se fixent les limites. »

Une approche partagée par le groupe La Poste. « Face aux difficultés de recrutement actuelles, nous devons répondre à une réponse centrale des jeunes, celle de l’autonomie, abonde Florence Wiener, directrice de la stratégie sociale et de la qualité de vie au travail au sein du groupe La Poste. Nous essayons d’organiser des lieux dans la semaine de travail pour que l’équipe se réunisse avec son manager et amène les sujets dont elle veut parler en étant force de proposition sur la manière de les traiter au mieux. Il s’agit de permettre aux collaborateurs d’être parties prenantes de la marche de leur établissement. » Les outils à la disposition des RH sont à la fois multiples – formations, sondages, entretiens individuels, notamment à l’embauche, etc. – et délicats à utiliser lorsque l’on touche aux questions de responsabilité sociale de l’entreprise, notamment en matière de diversité. « Nous cherchons à avoir une communication de preuve, pas uniquement une bannière sous laquelle se placer mais la démonstration que ces sujets sont régulièrement travaillés », conclut Florence Wiener. 

Fonds emploi : les facteurs clés de succès

Et si l’emploi devenait une thématique d’investissement pour les gérants actions ? Plusieurs ont fait ce pari ces derniers mois.

Avec de gauche à droite : Jun Dumolard, directeur financier, Unedic, Julie Fardoux, responsable ISR, BFT Investment Managers, Julien Fauvel, gérant du fonds Talence Humpact Emploi France, associé, Talence Gestion, Séverine Leboucher (modératrice), journaliste, Jon Sallé, responsable de l’observatoire de la finance à impact social, FAIR

Investir en ciblant prioritairement les entreprises qui créent de l’emploi en France : tel est l’objectif de plusieurs fonds récemment lancés. « L’emploi est un axe d’investissement qui permet de toucher différentes problématiques sociales : il permet de sortir de la précarité, de contribuer à l’accès au logement et à la santé, de pourvoir à une meilleure éducation des enfants, d’apporter une reconnaissance sociale. C’est aussi une clé pour avoir une économie française en bonne santé demain », explique Julie Fardoux, responsable ISR chez BFT Investment Managers qui a créé un tel fonds. Malgré la baisse du taux de chômage ces derniers mois, les besoins restent en effet très conséquents. « Nous avons en France une exigence de création d’emplois durables beaucoup plus importante qu’en Allemagne par exemple, du fait de notre démographie plus dynamique, abonde Jun Dumolard, directeur financier de l’Unedic. 900 000 emplois ont été créés dans la période post-Covid, ce qui est exceptionnel. Mais il faudrait encore trois à cinq phases de cette nature pour atteindre le plein emploi. »

Un intérêt théorique indéniable mais des défis pratiques conséquents pour ces fonds qui s’appuient souvent sur les données du fournisseur spécialisé Humpact. « En amont du process, nous appliquons un filtre social en plus des critères financiers et ESG globaux, témoigne Julien Fauvel, gérant du fonds Talence Humpact Emploi France. En aval, on entretient un dialogue régulier avec les entreprises en portefeuille, pour essayer d’avoir une perspective sur leur création d’emplois à moyen terme. » Les aspects quantitatifs et qualitatifs se mêlent. « Un tiers de la note porte sur la création d’emplois en France, un tiers s’intéresse aux “verticales” de l’emploi des seniors, des jeunes et des personnes en situation de handicap, et un dernier tiers vise à estimer la qualité des emplois créés », complète Julie Fardoux.

L’épineuse question de la mesure d’impact

En aval du process de sélection, la difficulté tient aussi à l’évaluation de l’impact généré par ces fonds. Ces derniers peuvent ainsi s’inspirer des pratiques historiques du non coté. « L’approche de la finance solidaire est de maximiser l’additionnalité de l’investissement en ciblant des personnes très éloignées de l’emploi, analyse Jon Sallé, responsable de l’observatoire de la finance à impact social au sein du collectif FAIR, qui pilote notamment le plus vieux label de finance responsable européen, le label Finansol. Mais plus on se focalise sur ces publics, plus il y a un coût : il faut mettre en place des modèles économiques hybrides et investir sur le temps long, de l’ordre de 10 ans. » Dans l’univers coté, les gérants utilisent d’autres mécanismes pour générer de l’additionnalité. « Nous nous efforçons de participer aux opérations primaires : en 2022, nous avons consacré 5 % de notre encours à ce type d’opérations, telles que l’introduction en Bourse du fournisseur d’hydrogène vert Lhyfe, qui projette de créer 100 emplois par an », illustre Julien Fauvel. Une manière de concilier performance financière, création d’emplois et environnement.

Alors que les attentes des investisseurs vis-à-vis des sociétés de gestion se précisent en matière de finance durable, le risque de greenwashing n’a jamais été aussi important. Pour le prévenir, Robeco a pris une décision radicale. « Nous avons ouvert à nos clients et nos partenaires académiques notre data et notre savoir-faire en matière de notation des entreprises », explique Karim Carmoun, président de Robeco France. Avec une priorité : « faire avancer le débat sur la propriété intellectuelle ».

L’ESG et le capital humain, deux leviers de création de valeur fondamentaux : regards croisés investisseur et émetteur

Au sein d’une stratégie RSE, la prise en compte des collaborateurs est un pilier crucial que les investisseurs responsables valorisent de plus en plus.

Avec de gauche à droite : Emilie Da Silva, gérante et directrice de la gestion actions, Eiffel Investment Group, Pascal Imbert, président-directeur général, Wavestone, Catherine Malecki (modératrice), professeur de droit privé, Université de Rennes 2

Une bonne gestion des collaborateurs est-elle un gage de réussite pour une entreprise ? Si l’on peut avoir une conviction sur le sujet, le prouver est plus compliqué. « Il y a assez peu de littérature qui permet de démontrer que de bonnes pratiques sociales améliorent la performance économique d’une entreprise, regrette Emilie Da Silva, gérante et directrice de la gestion actions chez Eiffel Investment Group. En revanche, dans les faits, c’est ce que nous constatons à travers nos investissements dans les PME et ETI. » L’une de leurs participations historiques, Wavestone, peut en témoigner : « Le capital humain est un facteur de performance absolument incontournable sur le long terme pour une entreprise de conseil, insiste Pascal Imbert, PDG de Wavestone. Dans nos opérations de croissance externe, c’est sur la manière dont sont sélectionnés les talents que nous cherchons à influer en premier. Cette sélection doit être basée sur un mélange de compétences, de potentiel mais aussi d’adhésion au projet d’entreprise. En trois ans, on peut voir un impact de ces efforts sur la performance de l’entreprise. »

Outre ces opportunités, le capital humain est aussi source de risques. « Si, sur le plan des ressources humaines, les choses ne fonctionnent plus, c’est toute la marche de l’entreprise qui peut être mise à terre, poursuit le dirigeant, témoignant des difficultés rencontrées en 2021, dans un contexte de très forte reprise de l’activité. Il faut être particulièrement attentif aux risques psychosociaux. » La crise sanitaire a, de fait, confirmé les intuitions des investisseurs sur l’importance du S de l’ESG. « Il est édifiant de voir comment les entreprises qui n’ont pas cessé d’investir et de soutenir leurs équipes ont mieux tiré leur épingle du jeu dans la période post-Covid », confie Emilie Da Silva. Le capital humain semble bien un facteur de performance à condition d’investir sur le temps long. 

La gestion des talents dans un monde en constante mutation

L’attractivité d’une entreprise sur le plan RH est clé dans une période de tension sur le marché du travail. La question du sens semble centrale.

Avec de gauche à droite : José-Maria Aulotte, directeur pédagogique de mastères et MBA RH et ancien DRH international, Alexis Manso, head of compensation and benefits, OVH Cloud, Sandrine Rampont (modératrice), présidente, Cercle Magellan, Celica Thellier, co-founder, Choosemycompany

Pour attirer les talents, une entreprise doit être capable de donner du sens au travail. Mais cette quête est le résultat d’un processus. « L’entreprise doit aider le collaborateur à explorer, avec sécurité, la logique de ce qu’il fait, analyse Celica Thellier, co-fondatrice de Choosemycompany. Est-ce qu’il trouve du sens parce qu’il apprend, parce qu’il accomplit, parce qu’il fait partie d’une communauté, parce qu’il est dans une position d’altruisme par rapport à d’autres ? Le sens ne se donne pas, il se crée. » Le corollaire est que ces attentes peuvent s’avérer très hétérogènes d’une personne à l’autre, d’une catégorie socio-professionnelle à l’autre, d’un pays à l’autre. Et ce, même lorsque la portée de la mission de l’entreprise semble évidente. « Nous avons le privilège d’être le défenseur du cloud souverain. Mais au-delà, les attentes des collaborateurs sont très différentes », souligne Alexis Manso, head of compensation and benefits, OVH Cloud.

Les outils pour créer l’engagement doivent, eux aussi, refléter cette diversité. « Il est important d’avoir un package global, en laissant aux collaborateurs le choix d’utiliser ou non certains éléments de rémunération », poursuit Alexis Manso. Ce qui est vrai dans les services informatiques l’est encore plus dans l’industrie lourde. « Lorsque vous recrutez un ouvrier dans un bassin d’emploi, sa perspective est là et tout ce que l’on va imaginer sur la mobilité n’a aucun sens : il faut trouver autre chose, signale José-Maria Aulotte, directeur pédagogique de mastères et MBA RH et ancien DRH international dans des entreprises industrielles. C’est un vrai défi pour les RH qui ont la même ambition pour toutes les populations de salariés mais ne peuvent pas appliquer les mêmes réponses. »

Savoir innover et écouter

Imaginer de nouvelles méthodes est indispensable, les tester aussi, mais sans oublier d’écouter ce qu’en disent les principaux intéressés. « En 2015, nous étions l’une des premières entreprises à avoir un “chief happiness officer”, se souvient Alexis Manso. En 2016, nous étions l’une des premières à ne plus en avoir ! » Au-delà des effets de mode propres à un monde du travail en mutation, certains fondamentaux ne changent pas en matière de talents, comme le rappelle José-Maria Aulotte : « Le modèle qui fait que, dans une entreprise, des gens se mettront plus spontanément en avant et la tireront vers le haut, est bien toujours présent et il faut que l’on y reste attentif. »

L’engagement actionnarial, pilier d’une économie plus durable et responsable

Dialoguer avec une entreprise pour la pousser à changer est un credo des investisseurs responsables. Ils l’appliquent aussi aux sujets sociaux.

Avec de gauche à droite : Frédérique Barthélemy, ESG investor relations manager, TotalEnergies, Olivia Blanchard (Modératrice), présidente et co-fondatrice, Acteurs de la finance responsable, Jean-Philippe Desmartin, directeur de l’investissement responsable, Edmond de Rothschild Asset Management, Nathalie Lhayani, présidente, FIR – Forum pour l’investissement responsable & directrice de la politique durable du Groupe, Caisse des Dépôts

Plutôt que de désinvestir, les investisseurs responsables préfèrent souvent dialoguer avec une entreprise controversée pour l’inciter à se transformer. Mais pour être efficace, cet engagement actionnarial doit répondre à plusieurs exigences. « Dans cette relation entre le top management d’un investisseur et celui d’une entreprise, il y a des enjeux de pouvoir et d’influence qui ne peuvent être évités qu’en basant l’action sur des objectifs chiffrés, met en garde Nathalie Lhayani, présidente du FIR et directrice de la politique durable du groupe Caisse des Dépôts. Il faut aussi avoir un engagement sur le long terme tout en se fixant des limites dans le temps : faire pression sur une entreprise, ce n’est pas lui donner 15 ans pour avoir une stratégie ambitieuse. »

Les émetteurs sont preneurs de ce type de dialogue. « L’engagement actionnarial sert à mieux comprendre les attentes des investisseurs et la granularité des informations qu’il est nécessaire de donner, souligne Frédérique Barthélemy, ESG investor relations manager chez TotalEnergies qui a renforcé ses équipes pour accompagner cette montée de l’engagement actionnarial. Au sein de la direction de la communication financière, l’équipe ESG comptait deux personnes en 2019 et nous serons cinq en 2023. Outre les courriers auxquels nous répondons, nous avons réalisé en 2022 plus de 250 dialogues bilatéraux avec des investisseurs sur ces sujets, contre moitié moins il y a un an. »

L’enjeu de la transition juste

Si le climat est au cœur des thématiques couvertes, le social n’est pas non plus en reste. « Cet engagement sur le social passe d’abord par une étape de transparence », indique Jean-Philippe Desmartin, directeur de l’investissement responsable chez Edmond de Rothschild Asset Management. Un focus est tout particulièrement mis sur la question de la transition juste. « Nous avons engagé un dialogue avec les constructeurs automobiles européens car la transition énergétique soulève un enjeu majeur en termes d’emplois : il faut 30 % de “cols-bleus” en plus pour fabriquer un moteur thermique. Les constructeurs sont engagés à ne laisser personne sur le carreau, grâce à d’énormes efforts de formation », poursuit Jean-Philippe Desmartin.

Mais en matière d’engagement actionnarial sur les sujets sociaux, l’humilité de l’investisseur reste de mise. « Lorsqu’il s’agit de faire évoluer la culture de l’entreprise dans un secteur comme celui des jeux vidéo, il faut faire preuve de beaucoup de modestie : faire évoluer une culture d’entreprise peut prendre des années, voire des décennies », conclut-il.

Vers plus d’exigence pour la finance durable ?

L’arsenal réglementaire en matière de finance durable est en train de se construire. A ce stade, il n’est pas suffisant pour inspirer confiance.

Avec de gauche à droite : Jean-François Coppenolle, investment director – climate and ESG, Abeille Assurances, Philippe Dutertre (modérateur), directeur au sein de la direction des investissements & du financement, AG2R La Mondiale, Adina Gurau-Audibert, chef de pôle des gestions d’actifs, AFG, Frédéric Pelèse, directeur adjoint, direction de la régulation et des affaires internationales, AMF

Beaucoup d’acteurs de l’investissement parlent d’un « tsunami réglementaire » qui s’est abattu sur eux dans le champ de la finance durable. L’objectif central est louable puisqu’il s’agit de lutter contre le greenwashing. Toutefois, le secteur se retrouve au milieu du gué avec une réglementation encore incomplète. Le règlement SFDR, en particulier, suscite beaucoup d’interrogations quant à la définition des catégories « article 8 » et « article 9 » dans lesquelles se classent les fonds. Le superviseur français lui-même appelle à des clarifications. « Il y a une urgence à développer des critères minimaux pour les produits “article 8”, exhorte Frédéric Pelèse, à la direction de la régulation et des affaires internationales de l’AMF. Il y a d’autant plus urgence que les Britanniques sont en train de développer leur propre système de labellisation en apprenant des errements de l’Europe. C’est aussi une urgence car les régulateurs sont de plus en plus pris à partie par l’opinion publique sur ces sujets. »

Le flou des définitions

Une demande de clarification largement relayée par les utilisateurs des fonds, tels que les assureurs. « Le nœud du problème est que l’on ne sait pas ce qui constitue un “investissement durable”, soulève Jean-François Coppenolle, investment director climate and ESG chez Abeille Assurances. Comment calcule-t-on le montant minimum d’investissements durables ? Sur quels critères ? Avec quels seuils ? Comment mesure-t-on les différents indicateurs d’impact négatif ? Dans un tel contexte, il faut faire preuve de beaucoup de prudence dans la classification. » Au risque, en cas de désaccord sur l’interprétation, d’être accusé de greenwashing.

Les sociétés de gestion, qui sont en première ligne dans ce débat, pointent le sujet de la disponibilité de la donnée. « Nous ne parlons pas simplement de données pour quelques gérants de conviction, mais de données réglementaires : c’est une question de conformité et de risque de réputation, abonde Adina Gurau-Audibert, chef de pôle des gestions d’actifs à l’AFG. Nous avons donc besoin de pouvoir nous appuyer sur les données brutes des émetteurs. » Des progrès sont à venir, notamment avec l’arrivée de la directive CSRD et la création envisagée d’une base de données européenne commune, mais le temps presse. « Au final, ce qui sera intéressant et important, c’est d’arriver à donner des éléments factuels, des données dans lesquelles on a tous confiance, et qui soient comparables, poursuit Adina Gurau-Audibert. Mais pour cela il faut que les choses se mettent en place le plus vite possible. » C’est la confiance des épargnants qui est en jeu.

Étude de cas : Les fonds thématiques actions innovent pour la création de valeur sociale

Avec de gauche à droite : Vincent Auriac (modérateur), président, Axylia, Marie de Mestier, gérante du fonds CM-AM Human Care, Crédit Mutuel Asset Management, Caroline Lamy, co-responsable gestion actions, Crédit Mutuel Asset Management

  • Ces dernières années, les gammes de fonds se sont beaucoup étoffées dans le domaine de l’environnement, beaucoup moins dans celui du social. Certaines sociétés de gestion cherchent à rattraper ce retard, à l’image de Crédit Mutuel Asset Management. « Nous avons commencé à réfléchir il y a plus d’un an au sujet du social, en lançant un premier fonds axé sur l’emploi en France qui s’oriente sur des critères sociaux assez fins avec une approche à la fois historique et prospective, explique Caroline Lamy, co-responsable gestion actions chez Crédit Mutuel Asset Management. Plus récemment, nous avons voulu aller au-delà du périmètre français avec un fonds sur le bien-être », dont le périmètre est européen.
  • Ce fonds de « stock picking », lancé en juin dernier, s’intéresse à la thématique du bien-être de manière intergénérationnelle. « Il ne s’agit ni d’un fonds Silver Age ni d’un fonds Millennials : il cible la question du bien-être de tous à tout âge », insiste Marie de Mestier, gérante du fonds CM AM Human Care. Une recherche dans l’air du temps : « Depuis la crise Covid, on constate une prise de conscience des individus qui veulent se sentir bien, chez eux, dans l’entreprise, et pour eux-mêmes, poursuit la gérante. Nous traitons le sujet à travers trois piliers : prévenir les maladies chroniques du quotidien, guérir et enfin s’épanouir. » Des priorités qui conduisent par exemple à investir dans la nutrition (probiotiques), les technologies médicales (audioprothèses) ou encore les loisirs (fabricants de sauna).
  • Un univers de 300 valeurs a été obtenu à la suite de l’application d’un filtre thématique sur la part du chiffre d’affaires et des investissements des entreprises. Mais cela ne suffit pas. « L’idée n’est pas seulement d’investir dans des solutions pour le bien-être qui placent l’individu en tant que consommateur, prévient Marie de Mestier. Nous voulons aussi regarder son bien-être en tant qu’employé. Nous appliquons donc un filtre sur le critère S de l’ESG pour identifier les sociétés de cet univers qui font attention au bien-être de leurs salariés. » 

Grand Prix Humpact Emploi France 2022

Lors d’un déjeuner à l’hôtel Westin Paris Vendôme, en présence de professionnels de la finance et des ressources humaines, l’agence de notation dédiée à l’emploi Humpact a remis, pour la troisième année consécutive, ses Grands Prix Humpact Emploi France 2022. Des distinctions attribuées sur la base d’une étude poussée des analystes d’Humpact, à partir de 70 indicateurs quantitatifs et 60 indicateurs qualitatifs. « Nous voulons récompenser les bonnes pratiques, les initiatives inspirantes », souligne André Coisne, fondateur d’Humpact. Au final, une quinzaine d’entreprises, dont 7 lauréats, ont été mises en valeur.

Avec de gauche à droite : André Coisne, Humpact, Corinne Oremus, Vendôme Associés, Arlette Berliocchi, Thermador Groupe, Olivier de la Clergerie, Groupe LDLC, Adrien Leal Recio, Thermador Groupe, Élise Maury, ENGIE, Dominique Laurent, Schneider Electric, Véronique Lamboglia, STEF, Caroline Garnier, SAP, Hugues Franc, Humpact, Beloya Peiffer, Humpact, Jean-Philippe Desmartins, Edmond de Rothschild Asset Management. Etaient également présents à l’événement mais absents sur la photo : Gérard Bekerman, AFER et Guillaume Delaval, ID Logisctics

A propos d’Humpact : la mission d’Humpact, agence de notation extra-financière, est de montrer qu’il est possible d’allier réussite économique et préservation de l’emploi sur nos territoires. Humpact fournit aux investisseurs, qu’ils soient institutionnels ou particuliers, les outils nécessaires à la compréhension de l’impact sociétal de leurs investissements.

Les nommés : 

  • Grand Prix Emploi France : Engie, TF1 et Hermès
  • Grand Prix Parité Femmes-Hommes : Schneider Electric, Michelin et FDJ
  • Grand Prix Jeunes : Thermador Groupe, TF1 et Engie
  • Grand Prix Seniors : Fleury Michon et ID Logistics
  • Grand Prix Personnes en situation de handicap : STEF, Hermès et bioMérieux

Les lauréats

Grand Prix Emploi France : Engie a été récompensée pour sa politique de gestion des talents dans le cadre de sa transition vers un monde décarboné. <br/>Le prix a été remis par Jean-Philippe Desmartins, directeur de l’investissement responsable chez EDRAM à  Elise Maury (au centre), adjointe au DRH groupe en charge des talents et de la diversité et Anne-Emmanuelle Semin, directeur de la stratégie d’acquisition des talents chez Engie.

Grand Prix Parité Femmes-Hommes : Schneider Electric L’entreprise poursuit un triple objectif « 50/40/30 » (50 % de femmes parmi les nouvelles recrues, 40 % parmi les managers juniors et 30 % dans les postes de direction) d’ici 2025. Le prix a été remis par Corinne Oremus, directrice générale de Vendôme Associés à Dominique Laurent, directeur des ressources humaines chez Schneider Electric.

Grand Prix Jeunes : Thermador Groupe dont 9 % des effectifs sont des alternants. Le prix a été remis par Gérard Berkerman, président de l’AFER à Adrien Leal Recio, chargé de communication digitale chez Opaline - Thermador Groupe et Arlette Berliocchi , directrice générale d’Opaline SAS

Grand Prix Seniors : ID Logistics pour ses efforts d’aménagement de l’organisation du travail ou d’adaptation de postes, et son programme de mentorat. Le prix a été remis par Corinne Oremus, directrice générale de Vendôme Associés à Guillaume Delaval, directeur RSE , ID Logistics

Grand Prix Personnes en situation de handicap : STEF qui compte 7,7 % de collaborateurs en situation de handicap en France, quand la loi en impose un minimum de 6 %. <br/>Le prix a été remis par Beloya Peiffer, analyste ESG chez Humpact à Véronique Lamboglia, responsable mission handicap, STEF 

Prix Coup de cœur France : Groupe LDLC pour son initiative sur la semaine des 4 jours. Le prix a été remis par Gérard Berkerman, président de l’AFER à Olivier de la Clergerie, directeur général, Groupe LDLC

Prix Coup de cœur Europe : SAP pour son programme « Autism at work ». Le prix a été remis par Hugues Franc, co-fondateur d’Humpact à Caroline Garnier - DRH, SAP

Le jury

  • Anne-Laure Pams, directrice de la practice leadership, Grant Alexander
  • Joël Bentolila, Cto & co-founder Talentsoft, Cegid / Talentsoft
  • Karim Cherif, associé, Magellan Consulting
  • Marc Sabatier, Ceo, Julhiet Sterwen
  • Cécile Moizard, senior manager, Convictions Rh
  • Christophe Perilhou, directeur activité groupe, Cegos
  • Jean-Michel Lecuyer, directeur général, Inco Ventures
  • Nicolas Pette, partner, Oliver Wyman
  • Jean-Claude Lamoureux, directeur exécutif, Sopra Steria Next
  • Claude Monnier, chief people officer, Sony Music Entertainment
  • Marie-Agnès Delucenay, avocate en droit social, Fiducial Legal by Lamy
  • Fanny Letier, co-fondatrice, Geneo Capital Entrepreneur
  • Eric Gras, spécialiste du marché de l’emploi, Indeed

Photos : Christopher Salgadinho

Merci à tous nos intervenants : 

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