Le grand débat gestion de trésorerie

Les fonds monétaires retrouvent de l’attractivité

Publié le 10 novembre 2022 à 12h00

Sandra Sebag    Temps de lecture 26 minutes

La hausse des taux d’intérêt engagée par la Banque centrale européenne (BCE) est plutôt favorable aux fonds monétaires dont les performances sont en train de redevenir positives. Celles-ci pourraient même dépasser les 2 % dans les prochains mois. En parallèle, les banques cherchent aussi à conserver les dépôts voire à les augmenter. Elles vont ainsi devoir changer radicalement leur approche et offrir une rémunération positive. Les solutions de gestion de trésorerie redeviennent donc concurrentielles, mais tous les investisseurs n’ont pas encore pris conscience du changement radical qui est en train de s’opérer dans la hiérarchie des placements. Les spécialistes présents lors du grand débat du magazine Option Finance veulent les alerter à ce propos. Ils souhaitent les convaincre qu’il devient impératif de placer sa trésorerie sur des supports rémunérateurs dans un contexte où les coûts de financement augmentent. Et cela d’autant plus que les opportunités se multiplient.

De gauche à droite : 

  • Damien Rio, responsable du pôle mandat, Federal Finance Gestion
  • David Guyot, dirigeant et co-fondateur de Pandat Finance
  • Warren Bellaloum, vice-président de la Commission des placements de l’AFTE 

Comment ont évolué les taux d’intérêt à court terme ces derniers mois, la hausse est-elle aussi spectaculaire que sur les segments longs ?

Damien Rio, responsable du pôle mandat, Federal Finance Gestion : L’environnement de taux d’intérêt a radicalement changé ces derniers mois. Il y a un an, ils étaient majoritairement négatifs alors qu’actuellement, les taux d’intérêt au jour le jour évoluent autour de 0,65 % avec un taux de dépôt marginal à 75 centimes. La Banque centrale européenne (BCE) est à la manœuvre depuis plusieurs mois pour agir dans le cadre de son mandat contre l’inflation. Elle devrait poursuivre cette politique dans les prochains mois car l’environnement demeure inflationniste avec de possibles effets de second tour (ajustement des salaires sur le niveau d’inflation) qui devraient se manifester. De ce fait, le marché anticipe des actions encore fortes d’ici la fin de l’année et dans une moindre mesure l’an prochain. Les prochaines hausses de taux d’intérêt devraient être de l’ordre de 75 points de base en Europe. Au regard des marchés, les taux d’intérêt directeurs finaux sont attendus sur des niveaux proches des 3 % pour la mi-2023. Pour rappel, l’environnement de taux négatifs a eu pour conséquence l’application d’agios créditeurs (taxation des dépôts) par les banques dépositaires. Cette période est terminée. Nous avons retrouvé une capacité à délivrer de la rentabilité et cette situation est plutôt avantageuse pour la gestion de trésorerie. Les gérants monétaires se retrouvent à nouveau dans le champ concurrentiel. Un point important à signaler également est la rapidité avec laquelle les taux journaliers ont évolué et continueront à le faire dans les prochains mois.

David Guyot, dirigeant et co-fondateur de Pandat Finance : La hausse des taux d’intérêt était prévue, elle a été néanmoins extrêmement brutale et rapide. Un des points qui nous paraît important est celui de la dépendance de la BCE par rapport à la banque centrale américaine (Fed). La BCE est d’une certaine façon prisonnière de la parité euro contre dollar. Une partie de notre inflation est liée à la montée des prix énergétiques et celle-ci est amplifiée par la dépréciation de l’euro face au dollar. La BCE est donc dans l’obligation d’augmenter ses taux d’intérêt directeurs afin de limiter la dépréciation de l’euro. De ce fait, nous pouvons estimer que nous n’avons pas de visibilité sur l’évolution des taux d’intérêt en 2023 en Europe. Les annonces en matière de hausse des taux d’intérêt ont été faites et planifiées pour 2022, mais pas pour 2023. Cela explique la fébrilité actuelle des marchés obligataires. Les taux d’intérêt à court terme vont-ils grimper au-delà de 3 %, de 4 % ? La hausse va-t-elle au contraire se calmer ? Il est difficile de savoir jusqu’où et jusqu’à quand la Fed poursuivra sa politique de contraction monétaire, estimant que la récession est manifeste et suffisante pour enrayer l’inflation. En ce qui concerne la courbe des taux d’intérêt, le segment à long terme est déjà inversé aux Etats-Unis, témoignant de la possibilité d’une récession. Cela n’est pas le cas en France, l’inversion de la courbe n’est manifeste qu’à partir de 25 ans. L’inversion de la courbe peut donc encore se poursuivre. Dans cette perspective, les produits à court terme pourraient devenir plus intéressants en termes de rendement que les produits à long terme.

Considérez-vous que les taux directeurs grimperont jusqu’à 3 % en zone euro ?

David Guyot : Ils y sont déjà. L’Euribor 12 mois se situe à 2,7 %, les taux de placement à deux ans sont déjà à plus de 3 %... La question est plutôt de savoir si nous nous acheminons vers des taux d’intérêt à court terme autour de 5 % ou si la Fed va rapidement atteindre le taux d’intérêt pivot, ce qui permettrait à la BCE de ne pas aller trop loin en matière de hausse des taux d’intérêt.

Warren Bellaloum, vice-président de la Commission des placements de l’AFTE (association française des trésoriers d’entreprise) : Les futures hausses de taux d’intérêt qui seront menées en 2023 dépendront des effets des resserrements monétaires sur l’inflation et sur le cycle économique. L’Europe va-t-elle connaître dans les prochains mois, une récession ? A quel moment les banques centrales auront-elles l’impression d’avoir atteint leur mission ? La réponse viendra des chiffres du chômage et du niveau de consommation des ménages puisque les banques centrales resteront, des deux côtés de l’Atlantique, dépendantes de l’évolution de ces indicateurs macroéconomiques. Si le calendrier 2022 de la Fed et de la BCE semble déjà lisible, 2023 ne ressemblera pas à l’exercice en cours. En ce qui concerne les coûts de financement des entreprises, les chiffres sont emblématiques d’une progression forte et rapide. Sur le marché de la dette à court terme à moins d’un an, les entreprises sont passées d’un niveau de taux à – 40 points de base en moyenne, à 100 points de base sur une échéance un mois à fin octobre, et certains secteurs comme les équipementiers automobiles offrent déjà 120 points de base. Sur le segment à trois mois, les niveaux atteignent 140 points de base et certains secteurs offrent déjà plus de 200 points de base. Par conséquent, la hausse des rendements est devant nous ; laisser son cash à zéro sur un compte courant, alors que les taux de dépôt à la BCE vont tendre vers 2 % à fin 2022, n’est plus pertinent. Nous constatons au sein de l’AFTE que les entreprises, y compris les plus petites d’entre elles, s’intéressent à nouveau aux placements dits « cash equivalent » court terme qui avaient été délaissés lorsque les taux d’intérêt étaient devenus négatifs.

David Guyot, cofondateur et directeur général de Pandat Finance

« Les banques y compris les grandes banques de réseaux se livrent maintenant à une “guerre des dépôts” pour les conserver, voire pour les augmenter. Elles veulent fidéliser l’épargne de leurs clients. »

Parcours

Ex-banquier, pendant 10 ans en salle de marchés, David Guyot a choisi de se lancer sur la voie entrepreneuriale en 2009. Animé par la volonté d’offrir un service de courtage sur placement pour l’ensemble des entreprises et associations françaises, il crée Pandat Finance avec son associé et ami, Thomas Forest.

Chiffres clé

  • Effectifs : environ 50 collaborateurs sur trois sites à Paris, Lyon et Bordeaux.
  • Encours/partenariats : 1 000 clients et plus de 50 milliards d’euros placés par son intermédiaire. Pandat Finance est le courtier numéro 1 pour le placement de la trésorerie des entreprises et institutionnels et compte plus d’une centaine de partenaires.

Le changement de politique des banques centrales se traduit-il d’ores et déjà par des niveaux de cash moins élevés dans les entreprises ?

David Guyot : Une étude de la Banque de France a établi récemment qu’il y avait encore énormément de liquidité en France. Le solde sur les comptes à vue des entreprises est de l’ordre de 700 milliards d’euros, tandis que les encours dans les comptes à terme sont d’environ 150 milliards d’euros. Même s’il reste encore un reliquat compris entre 50 et 75 milliards d’euros de PGE (prêts garantis par l’Etat) à rembourser, les montants de cash non placés restent colossaux.

Damien Rio : Effectivement, les niveaux de cash sur les comptes non rémunérés sont très élevés alors que les conditions de placement des marchés monétaires délivrent du rendement. Les fonds monétaires offrent une rémunération de l’ordre de 60 centimes, elle devrait grimper autour de 1,5 % en novembre et à 2 % d’ici la fin de l’année. Les trésoriers doivent se poser la question du placement de leur cash. Nous sommes face à un changement de paradigme dont ils doivent prendre conscience. L’écart entre la rémunération des placements et le taux de dépôt va être de plus en plus marqué. Par ailleurs, il n’y a pas que les entreprises qui accumulent des liquidités, les investisseurs aussi. Prenons le cas de la gestion d’actifs : alors que les dépositaires offraient des rendements cohérents avec les fonds monétaires jusqu’à récemment, l’écart se creuse également. Les gérants d’actifs ont intérêt à optimiser leur trésorerie et cela d’autant plus que les marchés actions et les marchés obligataires ont corrigé depuis le début de l’année. Il est important de générer de la performance sur tous les segments en utilisant les supports adéquats. L’utilisation de solutions comme les fonds monétaires génère un rendement supplémentaire par rapport aux dépôts auprès des dépositaires qui permet d’optimiser la gestion des fonds.

Quels rendements anticipez-vous sur les placements à court terme d’ici la fin de l’année ?

Damien Rio : Le rendement offert sur les fonds monétaires est calé sur les taux d’intérêt directeurs de la BCE. Il devrait y avoir encore une nouvelle hausse de taux d’intérêt de la part de la BCE d’ici la fin de l’année pour atteindre les 2 % voire les 2,25 % début 2023. La rémunération des fonds monétaires va suivre mécaniquement cette évolution. Je partage par ailleurs le constat que la visibilité n’est pas claire pour 2023. Le marché anticipe une poursuite des hausses de taux d’intérêt en 2023, mais cette stratégie pourrait être remise en cause si une récession intervient rapidement et si celle-ci s’avère d’une grande ampleur. Par ailleurs, la Fed devrait parvenir à atteindre son objectif avant la BCE ; se posera alors la question de la pertinence de poursuivre le resserrement monétaire en Europe. L’incertitude est également grande en ce qui concerne l’évolution de l’inflation en zone euro. Les pressions sont fortes en faveur d’une augmentation des salaires, les prix de l’énergie vont continuer à grimper, les pénuries menacent… Tous ces facteurs créent une forte incertitude quant à l’évolution de la croissance en Europe. Difficile d’anticiper dans un tel contexte quels seront les taux d’intérêt finaux en Europe.

David Guyot : Aujourd’hui, il faut absolument parvenir à rémunérer le solde à vue afin de réduire les coûts de financement des lignes de crédit bancaire ou plus généralement les crédits à court terme. Cette situation est inédite. Avant que les taux d’intérêt ne deviennent négatifs, il y a une dizaine d’années, les banques se refusaient à rémunérer les dépôts. Mais elles vont dorénavant devoir le faire car elles doivent conserver des liquidités dans leur bilan. Les 700 milliards domiciliés dans les dépôts à vue servent aux banques à financer les crédits immobiliers et aujourd’hui elles se livrent à une « guerre des dépôts » pour les conserver, voire pour les augmenter. Les banques y compris les grandes banques de réseaux veulent fidéliser l’épargne de leurs clients. La rémunération des comptes va devenir performante car les banques doivent suivre l’€STR et offrir une marge supplémentaire par rapport à celui-ci. Elles proposent aussi une surrémunération pour les comptes au-delà de 32 jours. Les banques ont besoin de ces dépôts pour financer les crédits car les régulateurs réclament un ratio relativement élevé de liquidités pour leur permettre d’octroyer des crédits, en particulier dans l’immobilier. La rémunération offerte par les banques va augmenter de facto. Il s’agit d’une magnifique opportunité pour les trésoriers. Mais surtout, l’optimisation du cash va devenir indispensable, compte tenu de la hausse des coûts de financement.

Warren Bellaloum, vice-président de la commission des placements de l’AFTE (Association française des trésoriers d’entreprise)

« L’AFTE souhaite porter un message de prudence : il n’existe pas de solution miracle qui soit “cash equivalent” et qui dépasse les niveaux d’inflation observés actuellement. »

Parcours 

Diplômé en 2012 de l’Université Paris-Dauphine, Warren Bellaloum a débuté sa carrière au front-office d’Alcatel-Lucent, puis a rejoint Alstom en 2015, d’abord au front-office avant de devenir responsable du cash management. En 2020, il intègre Alten en tant que responsable de la trésorerie. Il a été nommé vice-président de la commission placements de l’AFTE en mai 2022. Warren est en charge du cash management, du back-office, du placement des excédents de trésorerie, des projets ainsi que de la gestion des risques.

Chiffres clé

  • L’Association française des trésoriers d’entreprises (AFTE) regroupe 1 500 adhérents issus de 1 000 entreprises. Elle dispose de 9 délégations régionales et de 15 commissions. Elle organise 150 manifestations nationales et régionales et 70 formations.
  • La commission des placements apporte son expertise aux trésoriers : évaluation des stratégies de placement des entreprises, échange sur les politiques mises en place au sein de chacune ; prise de position sur les sujets importants comme les taux d’intérêt bas, la transition vers les nouveaux indices de référence, la réforme des fonds monétaires... De plus en plus, la commission travaille en étroite collaboration avec les autres groupes de travail de l’AFTE. Elle se veut un lieu d’échanges, de partage et de promotion d’innovations techniques et réglementaires concrètes afin de résoudre certaines problématiques et de faire émerger des pratiques de Place.

Constatez-vous aussi une concurrence accrue entre les différents types d’acteurs, par exemple entre les banques et les sociétés de gestion, pour attirer des flux de capitaux ?

David Guyot : Jusqu’à aujourd’hui, les fonds monétaires n’étaient souscrits que par les grandes entreprises qui se voyaient appliquer des rémunérations négatives sur leurs dépôts. En revanche, les entreprises de taille intermédiaire n’étaient pas taxées sur leurs dépôts. Elles n’avaient donc aucun intérêt à utiliser des fonds monétaires qui offrent un rendement négatif à – 30 points de base. Aujourd’hui, la situation est en train de changer. Les fonds monétaires sont en train de redevenir un produit très intéressant, ils offrent une grande facilité de souscription, une diversification des émetteurs, une gestion du risque qui est très bonne et une rémunération positive. Néanmoins, ces produits sont confrontés à une forte concurrence des banques qui souhaitent conserver l’encours de leurs clients. Et celles-ci vont mettre en place des outils comme les comptes courants rémunérés ou les comptes à terme renouvelables de façon à fidéliser la clientèle des entreprises afin qu’elles passent hors bilan. Le régulateur considère que les refinancements de marché via les OPCVM sont de moins bonne qualité qu’un refinancement direct auprès du client final. La concurrence des fonds OPCVM va pousser les banques à offrir une meilleure rémunération à leurs clients.

Warren Bellaloum : Concernant les OPCVM monétaires standards, leur rémunération se situe dans une fourchette comprise entre 60 et 70 points de base. Nous assistons à un retour récent de la collecte dans ces produits en raison de la hausse des rendements. Pour sélectionner un OPCVM, à l’AFTE, nous encourageons les trésoriers à analyser les stratégies proposées dans ces fonds, notamment en ce qui concerne la durée moyenne des titres en portefeuille qui peut varier d’un fonds à l’autre, ainsi que la part des titres en taux variables. En effet, les gérants qui privilégient les émissions à taux variables vont pouvoir capter davantage de rendement au fur et à mesure des hausses de taux d’intérêt engagées par la BCE. Il en va de même des gérants qui privilégient les maturités courtes, ils peuvent plus facilement renouveler leurs portefeuilles au gré des tombées. Concernant les dépôts à terme (DAT) et les comptes courants rémunérés, nous pouvons distinguer différentes approches parmi les entreprises. Certaines disposent de cycles de trésorerie très courts, elles ne peuvent ainsi pas se permettre de bloquer leurs liquidités. Elles vont privilégier les OPCVM monétaires et les comptes courants rémunérés. Elles peuvent trouver cependant des offres compétitives au sein des banques mutualistes par exemple. Il faut rappeler que les DAT sont bloqués sur une durée de trois à cinq ans avec des portes de sortie généralement de 32 jours, il faut donc bien penser à segmenter les excédents de trésorerie.

Damien Rio : Les performances observées des fonds monétaires sont relativement proches, les écarts se situant dans une fourchette comprise entre 10 et 15 points de base. Cependant, nous pouvons noter quelques nuances dans la gestion d’actifs et celles-ci ont des conséquences en termes de performance au jour le jour. En ce qui concerne la sensibilité moyenne, l’industrie est positionnée sur des niveaux très courts car il n’y a pas d’intérêt à jouer des inflexions dans les anticipations de hausse de taux d’intérêt. Le risque serait beaucoup trop grand et asymétrique. Par conséquent, les portefeuilles sont relativement homogènes dans ce domaine. Le risque de taux d’intérêt est ainsi globalement strictement couvert. En revanche, nous pouvons noter des différences en matière de notation crédit. La capacité des sociétés de gestion à prendre du risque de crédit va dépendre de la capacité de leurs équipes d’analystes spécialisés dans le crédit court terme. Les sociétés de gestion qui disposent d’équipes dédiées sont en mesure d’améliorer le rendement offert des fonds monétaires. Cette capacité est cependant limitée par le contexte actuel. Nous entrons dans une période de fortes incertitudes sur l’évolution des coûts de financements, la rentabilité des entreprises peut s’en trouver affectée, les spreads de crédit peuvent s’écarter. Plus le gérant augmente son risque de crédit, plus le risque d’écartement des spreads peut, en se matérialisant, entraîner une plus grande volatilité dans les valeurs liquidatives des fonds monétaires. Le rendement attendu peut être supérieur, mais la volatilité aussi. Par conséquent, certains fonds monétaires pourront être utilisés pour une liquidité au jour le jour, quand d’autres qui apporteront un supplément de rendement seront à privilégier pour des horizons un peu plus longs, à la semaine ou au mois. Le trésorier d’entreprise doit sélectionner les supports en fonction de ses besoins de liquidité. Sur des horizons à plus long terme.

La problématique de l’inflation et/ou des rendements réels est-elle prise en compte en matière de gestion de trésorerie ?

David Guyot : Les rendements offerts sur les produits de trésorerie se situent sous le niveau de l’inflation, qu’il s’agisse des fonds monétaires ou des livrets bancaires, mais ils offrent une garantie en capital et sont disponibles très rapidement. Pour se couvrir contre l’inflation, il faut acquérir des produits de long terme qui portent un risque de perte en capital. Néanmoins, la hausse de l’inflation et des taux d’intérêt est très brutale. Il faut noter qu’un rendement de 2 % sur les fonds monétaires est supérieur à celui offert sur certains fonds en euro proposés en assurance vie. Nous sommes face à un changement de paradigme pour l’ensemble des clients. La plupart des épargnants et des investisseurs n’en ont pas encore conscience.

Warren Bellaloum : Face à l’inflation, il faut être vigilant sur la stratégie de placement. Les trésoriers privilégient les produits qui sont « cash equivalent » et qui viennent en réduction de la dette brute de l’entreprise. Il existe une infime partie des entreprises – entre 5 % et 10 % – qui s’autorisent à aller sur des produits non « cash & cash equivalent » ou qui possèdent une gestion complexe (comme les produits structurés). Mais ils doivent disposer en interne d’une équipe capable d’analyser les valorisations et de travailler sur ces problématiques. L’AFTE souhaite porter un message de prudence : il n’existe pas de solution miracle qui soit « cash equivalent » et qui dépasse les niveaux d’inflation observés actuellement. L’offre en matière de gestion de trésorerie est relativement simple, elle intègre les OPCVM monétaires, les DAT et les comptes courants rémunérés. Les produits structurés ou autres ne nous semblent pas constituer un choix prudent. Et si malgré tout ils sont utilisés, cela suppose de bien les comprendre, de les faire valider par la direction financière, d’analyser avec les commissaires aux comptes la façon de les comptabiliser et de les faire approuver par sa hiérarchie.

David Guyot : La charte de trésorerie est essentielle. Par ailleurs, il ne faut jamais souscrire à un produit qui n’est pas compréhensible. Les actifs risqués présentent un risque de perte en capital.

Warren Bellaloum : Le trésorier est par essence adverse au risque. Son rôle est de garantir la liquidité en gérant le triptyque risque-rendement-cash equivalent. L’avantage des supports monétaires réside dans leur liquidité.

Damien Rio : La première question à se poser concerne les besoins et l’horizon de placement des entreprises et plus généralement des investisseurs. Est-ce qu’il s’agit de placer de la trésorerie au jour le jour et/ou avec une disponibilité immédiate à très court terme ou de placer du cash dans une logique d’investissement classique ? Si l’entreprise n’a pas besoin d’avoir des liquidités disponibles immédiatement, les solutions de placement possibles sont multiples, mais elles ne se situent plus dans l’univers de la gestion de trésorerie au sens strict. Compte tenu de l’environnement économique, la prise de risque excessive dans la gestion de la trésorerie, alors qu’il existe des produits qui offrent du rendement avec un risque maîtrisé, ne semble pas constituer une stratégie judicieuse. Les produits défensifs offrent du rendement. La comparaison des rendements offerts sur les fonds monétaires et sur les livrets bancaires qui sont en train d’augmenter avec celui proposé sur les fonds en euro va constituer un vrai sujet en 2023 pour les gestionnaires de patrimoine et pour les particuliers.

David Guyot : La diversification était intéressante dans un univers à taux d’intérêt négatifs. Aujourd’hui, les fonds monétaires s’acheminent vers un rendement à 2 % et sans risque, ils s’avèrent donc incontournables. La trésorerie d’exploitation relève d’une logique de cash & cash equivalent, une entreprise ne peut immobiliser son cash si en parallèle elle doit payer ses fournisseurs. Les produits les plus adaptés sont les OPCVM monétaires, les comptes courants et les DAT. Pour autant, il existe une typologie de clientèle qui est en mesure de placer à plus long terme sa trésorerie. Cela est notamment le cas des entreprises familiales qui s’inscrivent dans une logique patrimoniale. Elles peuvent souscrire à des placements à plus long terme pour leur holding par exemple. Il existe actuellement des opportunités très intéressantes sur le marché obligataire ; à titre d’exemple, la Caisse des dépôts a émis récemment une obligation à cinq ans fléchée vers des investissements responsables avec un rendement à 3 %. Le taux d’intérêt n’est pas très élevé, mais il s’agit d’un investissement avec un risque très faible ; dans la catégorie notée investment grade, les rendements offerts peuvent maintenant facilement dépasser les 5 %. Ces solutions sont uniquement destinées à des investisseurs de long terme ou à des entreprises qui disposent d’une trésorerie stable dans le temps.

Damien Rio, responsable du pôle mandat de Federal Finance Gestion

« Dans un monde relativement incertain, et après des corrections massives sur les obligations et les actions, les investisseurs s’intéressent  à nouveau au monétaire y compris les particuliers à travers l’épargne salariale. »

Parcours

Damien Rio est responsable du pôle mandats, la gestion institutionnelle de Federal Finance Gestion. En charge de la gestion de plusieurs OPC de taux et de trésorerie (Federal Support Monétaire ESG et Federal Support Court Terme ESG), le service intervient aussi dans le cadre de la gestion de la trésorerie et des opérations de pensions livrées pour Suravenir, l’assureur vie du groupe Arkea. Avant d’intégrer Federal Finance Gestion en 2006, en tant que gérant monétaire et obligataire, il était gérant de portefeuilles diversifiés chez BFT Gestion de 2001 à 2006. Il est titulaire d’une maîtrise de chimie de l’Université de Bretagne occidentale et diplômé de l’Ecole supérieure de commerce de Brest.

Chiffres clé

  • Effectif dans la gestion de trésorerie : 2 collaborateurs.
  • Encours sous gestion dans les fonds de trésorerie : 5 milliards d’euros en gestion monétaire sur un total de 42 milliards d’euros sous gestion.
  • Historique de performance d’un fonds phare : Fed Support Monétaire ESG-SI, performances annualisées au 14 octobre : YTD – 0,355 %, sur un an – 0,382 % et sur un mois + 0,64 %.
  • La philosophie d’investissement en quelques mots : Federal Support Monétaire ESG vise à offrir à ses porteurs une performance comparable à son indice de référence (l’Euribor 3 mois) en intégrant dans sa sélection de titres une approche ESG.

La hausse des taux d’intérêt à court terme incitera-t-elle de nouveaux types de clientèle à se tourner vers les fonds monétaires ?

Warren Bellaloum : Les fonds monétaires apparaissent aujourd’hui comme une classe d’actifs qui redevient tactique avec la hausse des rendements observés. Les actions comme les obligations affichent une performance négative depuis le début de l’année, les investisseurs ont ainsi tendance à se reporter sur le monétaire pour préserver leur capital. Le consensus table sur un taux dépôt BCE à 2 %, ce qui redevient pertinent.

Damien Rio : Dans un monde relativement incertain, et après des corrections massives sur les obligations et les actions, les investisseurs s’intéressent en effet à nouveau au monétaire y compris les particuliers à travers l’épargne salariale. Il est également possible pour un particulier de souscrire à un fonds monétaire dans le cadre de l’assurance vie à travers les unités de compte (UC).

La prise en compte des critères ESG est-elle en train de se généraliser dans le cadre des produits de trésorerie ?

Damien Rio : Chez Federal Finance Gestion, l’approche ESG est intégrée à l’ensemble de notre gestion d’actifs. Elle répond à une demande exprimée par de nombreux investisseurs, en particulier des institutionnels qui subissent une pression réglementaire les invitant à intégrer dans leur portefeuille des critères extra-financiers. En ce qui concerne les particuliers, la demande est moindre en matière d’ESG. Quelle que soit la clientèle, nous constatons à travers nos échanges que les investisseurs qui indiquent une préférence en matière d’ESG ne souhaitent pas que celle-ci se fasse au détriment de la performance financière. A plus long terme, nous anticipons que l’intégration des critères ESG dans la gestion d’actifs ainsi que la prise en compte de la problématique du réchauffement climatique finira par avantager les entreprises qui affichent une démarche construite en matière de responsabilité sociale et environnementale (RSE) et que cela se traduira par une meilleure performance financière.

David Guyot : Nous constatons une forte demande en matière d’« impact investing ». Les investisseurs institutionnels ont été les premiers à s’intéresser à ce type d’approche ; maintenant, cette démarche concerne aussi les grandes entreprises. Ces dernières indiquent de plus en plus souvent dans leur rapport annuel la façon dont elles placent leurs capitaux et affirment leur volonté de contribuer à des objectifs sociétaux et/ou environnementaux. De notre côté, nous essayons de pousser les banques – qui sont moins avancées dans ces domaines que les gérants d’actifs – à proposer des solutions adaptées. Mais ce sujet n’est pas simple car les bilans des banques sont essentiellement utilisés afin de financer des projets immobiliers. Il n’est donc pas évident de flécher les dépôts des clients vers des projets « verts ». Néanmoins des efforts sont en train d’être engagés. Les banques mutualistes comme le Crédit Mutuel Arkéa ou BPCE (Banques Populaires Caisse d’Epargne) sont les plus actives en matière de fléchage des investissements. Ces évolutions sont positives. Il existe maintenant des offres d’épargne bilantielles qui intègrent des critères extra-financiers.

Warren Bellaloum : Aujourd’hui, tous les grands gérants d’actifs ont mis en place des gammes de fonds monétaires qui disposent de labels ISR. In fine, pour un investisseur en OPC monétaires, il devient presque incontournable d’investir dans un fonds de cette catégorie. Ces sujets gagnent en importance dans l’ensemble des secteurs d’activité, d’ailleurs certaines grandes entreprises ont élaboré en interne des « guidelines » spécifiques en matière d’investissements ISR pour leurs excédents de trésorerie. Il faut cependant être prudent en matière de sélection de produits, le régulateur s’est récemment inquiété de fonds indûment estampillés ISR.

Les trésoriers sont-ils prêts à perdre une partie de la performance financière au profit de l’intégration de critères d’impact ?

Warren Bellaloum : Concernant les investissements « cash equivalent » des trésoriers, la plupart des grands fonds monétaires sont en majorité labellisés ISR. Dans la mesure où il y a de moins en moins d’alternative à ces fonds ISR, la problématique autour de leur surperformance ou sous-performance ne se pose plus. Par ailleurs, l’intégration de critères d’impact dans un fonds monétaire (au sens SFDR 9) ne semble pas d’actualité chez les gestionnaires.

Damien Rio : Dans le monde monétaire, il est difficile de concevoir un fonds à impact, nous sommes plus à l’aise avec une démarche ISR labellisée. Les fonds monétaires investissent beaucoup dans des titres émis par les banques et plus généralement dans l’industrie financière pour lesquelles il est difficile de quantifier la notion d’impact au sens de la réglementation SFDR. Les fonds article 9 doivent en effet consacrer l’ensemble de leurs lignes d’investissement à des entreprises à impact. Nous ne sommes pas ici dans une logique d’impact, mais plutôt de financement des bilans bancaires avec un horizon relativement court. A moyen terme, cependant, le marché devrait évoluer. Certaines banques émettent des titres à court terme verts,  si ce segment se développe, il sera alors possible de concevoir des fonds monétaires à impact. Pour l’heure, en ce qui nous concerne, en matière de fonds à impact au sens strict, nous privilégions des classes d’actifs avec des horizons plus longs comme les obligations. Nous proposons par exemple des fonds investis sur des « green bonds » avec un impact mesurable. 

Dans la même rubrique

Abonnés Empreinte carbone : un indicateur à manier avec précaution

Centrales dans les analyses extra-financières des investisseurs, les émissions de gaz à effet de...

Abonnés Les institutions financières face à une sophistication sans fin de leur empreinte carbone

Les corporates ne sont pas les seuls à peiner pour se mettre en conformité avec la directive CSRD :...

Abonnés Amundi accélère son développement aux Etats-Unis

Le gestionnaire envisage de fusionner Amundi US avec Victory Capital en échange d’une prise de...

Voir plus

Chargement en cours...