Le mal et le remède

Publié le 22 octobre 2021 à 10h39

Gilles Moëc    Temps de lecture 4 minutes

Le marché attend la première hausse des taux directeurs en décembre 2021 au Royaume-Uni, septembre 2022 aux Etats-Unis et mai 2023 dans la zone euro, entre un et trois ans plus tôt qu’au début de cette année. Ces révisions reflètent pour partie un changement de communication des banques centrales. Le comité de politique monétaire de la Fed est maintenant divisé en deux camps égaux sur l’opportunité d’une hausse des taux en 2022 – alors qu’en juin les partisans du statu quo restaient très majoritaires. Le gouverneur de la Banque d’Angleterre lui-même n’a pas fait mystère de la possibilité d’une hausse dès la fin 2021. L’emballement des anticipations sur la BCE nous semble moins justifiable par des « bruits » en provenance de Francfort : la conversation entre « colombes » et « faucons » nous y semble encore focalisée sur le calibrage du quantitative easing et non sur les taux. Mais le marché européen est probablement emporté par la vague d’inquiétude générale autour d’un possible décrochage du régime d’inflation.

Pourtant, l’essentiel de l’accélération actuelle des prix continue à s’expliquer par des phénomènes exogènes dans toutes les grandes économies avancées (pénurie de semi-conducteurs, hausse des cours de l’énergie). Certes, les loyers ont commencé à accélérer aux Etats-Unis, ce qui constituerait le premier signe d’une inflation « intrinsèque », mais il peut s’agir d’un simple rattrapage après des mois de progression anormalement lente au pire de la pandémie, et même si les loyers restaient à leur vitesse actuelle pendant les 12 mois à venir, leur contribution à l’inflation sous-jacente n’atteindrait que 0,2 %. Partout, les marchés du travail montrent des signes de tension, avec en Europe la remontée très rapide des difficultés de recrutement. Toutefois, en Allemagne, là où elles sont les plus aiguës, elles s’étaient déjà maintenues à des niveaux élevés entre 2016 et 2019 sans pour autant déclencher d’emballement des salaires. De fait, les syndicats allemands abordent le nouveau « round » de négociations avec des revendications plus modérées qu’en 2019.

Il n’y a donc pas d’urgence à agir. Les « faucons » peuvent certes avancer qu’une « petite hausse préventive » des taux pourrait nous prémunir contre le risque d’émergence d’effets de second tour, mais le bilan « coût/avantage » d’une telle approche nous paraît très négatif. Le marché obligataire va déjà devoir gérer l’arrêt imminent (Etats-Unis, Royaume-Uni) ou la diminution drastique (zone euro) du quantitative easing. Ceci est justifiable du fait d’un bien meilleur contrôle de la situation pandémique qui éloigne les risques d’écroulement brutal de l’activité. Toutefois, si en plus de la disparition de ce support essentiel, les rendements doivent intégrer une normalisation des taux directeurs, une surréaction est parfaitement possible.

La politique budgétaire sera moins accommodante en 2022 qu’en 2021, et l’on voit déjà les difficultés éprouvées par Joe Biden pour faire passer ses nouveaux programmes. En 2023, si aucune négociation n’aboutit, le pacte de stabilité et de croissance s’appliquera de nouveau aux Etats de l’UE. Avec l’accumulation de dette publique des deux dernières années, beaucoup de gouvernements réagiraient à la perspective de hausse des taux directeurs par une conversion rapide à l’austérité. On retrouverait les enchaînements désastreux de la sortie de la grande crise financière de 2008-2009, avec la hausse malencontreuse des taux de la BCE en 2011.

Le Royaume-Uni va nous fournir un « laboratoire » riche d’enseignements. La BoE semble être décidée à remonter ses taux très rapidement, et le gouvernement y a déjà annoncé une hausse des impôts en avril 2022. Cette combinaison peut entraîner un atterrissage brutal de l’économie britannique d’ici à la fin du printemps. Il ne sera pas trop tard pour les autres banques centrales d’opter pour la prudence, au regard de cette expérience risquée, d’autant plus que d’ici là, les effets de base sur les prix auront joué en sens inverse et que l’inflation aura ralenti.

Gilles Moëc Chef économiste ,  AXA

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