L'analyse de Gilles Moëc

Les conditions d’un retour durable de l’inflation

Publié le 23 avril 2021 à 15h47

Gilles Moëc

Un spectre hante l’économie mondiale : le retour de l’inflation comme legs de la crise pandémique. Les risques d’un emballement durable des prix à la consommation nous paraissent toutefois très concentrés sur les Etats-Unis uniquement.

Les Etats-Unis ont émergé rapidement de la crise pandémique. Il faut y voir la combinaison d’un « appétit au risque » élevé des décideurs politiques qui ont toujours choisi de lever les restrictions sanitaires plus tôt que leurs homologues européens pour un même degré de propagation du virus, d’une politique budgétaire extrêmement active, dont le stimulus de 1 900 milliards de dollars lancé par Joe Biden n’est qu’un avatar supplémentaire, et enfin d’une campagne de vaccination plus rapide qui réduit la probabilité de vagues de contagion supplémentaires. Il est vraisemblable que l’économie américaine passera d’une récession sans précèdent au printemps 2020 à une « surchauffe » à l’été 2021. En effet, l’écart de production – la distance entre le niveau effectif du PIB et là où il devrait être si l’économie avait poursuivi sa croissance au rythme tendanciel – n’est probablement plus que de -1,5 % du PIB à la fin du premier trimestre 2021. Le stimulus budgétaire supplémentaire de 10 points de PIB fera passer cet écart de production en territoire positif, même en prenant des valeurs très faibles pour l’effet « multiplicateur » des dépenses publiques. Cet « emballement » est normalement associé à un redémarrage des prix à la consommation, et les anticipations d’inflation mesurées dans les enquêtes menées auprès des ménages et des entreprises ont été fortement révisées à la hausse ces derniers mois.

La situation américaine est exceptionnelle. La Chine, qui a émergé encore plus rapidement que les Etats-Unis de la récession l’année dernière, a choisi de maintenir une orientation très prudente de sa politique économique, à l’inverse de sa stratégie de 2008-2009, pour éviter de « sur-stimuler » et de nourrir une nouvelle accélération des prix d’actifs et un redémarrage de l’inflation. La masse monétaire a commencé à ralentir. L’Europe est bien loin de pouvoir lever complètement les restrictions sanitaires, même si le rythme des vaccinations a fini par décoller. Le soutien budgétaire y est significatif, du fait de la prolongation des mesures d’urgence prises l’année dernière, mais sans la puissance déployée aux Etats-Unis. Les risques de « surchauffe » sont donc faibles, même si des « effets de base » vont transitoirement faire monter l’inflation en Europe.

Au-delà de l’impact immédiat de la reprise sur les prix à la consommation, un vrai changement durable du rythme d’inflation ne peut se produire sans une pression significative sur les salaires. Joe Biden n’a pas réussi à ajouter à son stimulus la forte hausse du salaire minimal qu’il attendait, et la « surchauffe » américaine pourrait bien n’être que temporaire, puisque les effets sur la demande du programme d’investissement qui devrait prendre le relais du stimulus d’urgence – et qui doit encore être voté au Congrès – seront beaucoup plus limités. En Europe, les « salaires négociés » ont fortement ralenti, et en Allemagne, IG Metall, qui donne le « la » en la matière, entame le nouveau round de négociations avec des revendications modestes.

Historiquement, l’inflation est rarement un phénomène purement économique. Il faut un environnement institutionnel propice, qui n’est pas établi aujourd’hui, avec comme ingrédients nécessaires une re-régulation du marché du travail, une « dé-globalisation » qui empêcherait de compenser une hausse des prix des producteurs domestiques par l’appel à des producteurs étrangers, et des banques centrales complaisantes. Sur ce dernier point, la conversion de la Fed à la tolérance de phases où l’inflation dépasserait son objectif est à surveiller, mais la BCE nous en semble loin. 

Gilles Moëc Chef économiste ,  AXA

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