En quelques années, le pilotage par les risques a pris une place centrale au sein des organisations et la collaboration entre équipes d’actuaires et directions financières s’est intensifiée. Elle se développe aujourd’hui davantage encore, afin de répondre à de nouveaux enjeux, même si les horizons temporels de la direction financière et ceux des actuaires, qui s’inscrivent dans le long terme, diffèrent sensiblement.
Au sein des grandes entreprises, la direction actuariat joue aujourd’hui un rôle clé. Si la montée en puissance est particulièrement sensible au sein des groupes d’assurances où la composante risque est inhérente à l’activité (un secteur qui concentre 52 % des actuaires en activité, selon l’étude Rémunération OpinionWay pour l’Institut des actuaires), d’autres secteurs sont également dotés d’équipes actuariat robustes. On les trouve dans l’audit, la gestion d’actifs voire même l’industrie.
Dans un environnement macro-économique, climatique et social incertain, la prise en compte des risques est une question de pérennité de l’activité de l’entreprise. L’acronyme VUCA (volatilité, incertitude, complexité, ambiguïté), imaginé par le US Army War College pour qualifier un monde multilatéral, a été popularisé par les chefs d’entreprise et les théoriciens du management pour qualifier l’imprévisibilité de notre époque. Anticiper, prévoir, est devenu une question de survie pour les grands groupes. Dans ce contexte, les équipes actuariat montent en puissance et travaillent en lien étroit avec la direction financière.
« Directions financières et actuaires partent des mêmes données, mais n’ont pas les mêmes enjeux ni la même cible.»
Un mille-feuille réglementaire
A quel moment s’est opéré le rapprochement ? « Il y a toujours eu des interactions entre directions de l’actuariat et directions financières », assure David Dubois, vice-président de l’Institut des actuaires et dirigeant d’Hexarisk Conseil. « Avec l’évolution des obligations réglementaires, ces interactions s’intensifient et les frontières qui existaient auparavant sont aujourd’hui en train de tomber. » Thibaut Gilliard, responsable des professional services France, Addactis, situe ce rapprochement à 2015. « Solvency II a fait évoluer les gouvernances dans les groupes d’assurances et a intensifié la notion de pilotage par les risques », explique-t-il. Une directive à laquelle il faut également ajouter les normes IFRS qui, en dix ans, ont induit un passage du reporting comptable à une logique de pilotage intégré, à la fois prudentiel, financier et stratégique. « Depuis dix années, l’explosion réglementaire a porté un nouvel éclairage sur l’actuariat, poursuit Thibaut Gilliard. En proportion, le rôle des actuaires est renforcé. » Dans le secteur de l’assurance, Solvabilité II et IFRS 17 ont « énormément poussé à la transversalité », abonde Chloé Parfait, vice-présidente de l’Institut des actuaires et directrice souscription santé et prévoyance collective, Allianz France. Elle ajoute que « pour répondre au mieux aux exigences de la réglementation, il est nécessaire d’avoir des silos moins étanches ».
L’émergence de nouveaux outils a également permis de rendre la collaboration plus étroite. Dans un environnement de plus en plus normé, l’infrastructure logicielle a pris une place centrale et permet d’accélérer la production de KPI financiers dans l’élaboration de nouveaux scénarios. « Au-delà de la collaboration entre actuaires et financiers, je pense qu’il faut ajouter l’IT, souligne Thibaut Gilliard. Le recueil puis l’analyse des datas nécessitent une étroite collaboration entre équipes IT, actuaires et direction financière. Si auparavant, l’analyse prédictive se basait sur l’historique, désormais data science et IA permettent de passer à une modélisation prédictive pour prendre des décisions stratégiques. » Avec la data, le rôle de l’actuaire augmente. Et le développement de l’intelligence artificielle va permettre d’intensifier encore plus cette collaboration.
Une réconciliation des horizons temporels
Reste que financiers et actuaires évoluent souvent dans des mondes distincts. « Le DAF et le directeur de l’actuariat partagent un objectif commun : piloter l’entreprise dans un univers compliqué », assure David Dubois. Pour autant, le travail avec les directions financières n’est pas toujours simple, étant donné les horizons de temps très différents sur lesquels opèrent les deux entités. « Il faut bien avoir à l’esprit qu’un directeur financier travaillera avec, en ligne de mire, un horizon de temps de trois ans voire au maximum de cinq ans, explique Thibaut Gilliard. A l’inverse, les actuaires travaillent sur le temps long, souvent plusieurs dizaines années. » Il est vrai que les enjeux sont différents. « Nous partons des mêmes données, mais nous n’avons pas les mêmes enjeux ni la même cible », souligne Chloé Parfait. Un élément de taille a permis une collaboration plus étroite : la mise en place de comités des risques à partir de 2014. « Les comités des risques sont une nécessité et permettent d’institutionnaliser la gouvernance, poursuit Chloé Parfait. L’objectif est de réussir à raconter une histoire commune, entre les différentes visions : financière, risque et commerciale. »
Des profils de plus en plus diversifiés
Si les équipes actuariat sont moins nombreuses que les équipes finance (en considérant la direction financière dans son ensemble, le ratio est d’environ un actuaire pour deux financiers), elles sont composées de profils de plus en plus diversifiés. « Je suis adepte des équipes diverses, affirme David Dubois. Pour obtenir des consensus dans des univers incertains, il est important d’avoir des profils transverses. » Les directions actuariat et finance sont rarement regroupées. Par ailleurs, les actuaires tiennent à conserver leur indépendance : « Ce n’est pas un sujet d’organisation hiérarchique dans l’entreprise ; il y a une forme d’indépendance technique que les actuaires doivent conserver », explique David Dubois. Il n’est désormais pas rare que le directeur de l’actuariat siège au comex aux côtés du directeur financier, comme c’est le cas au sein des groupes d’assurances. Reste que celui qui dispose d’une oreille attentive de la part du CEO reste le directeur financier. « Lorsqu’il s’agit de trancher, la conduite du business actuel reste la priorité, relève Thibaut Gilliard. C’est au CFO que revient, in fine, l’arbitrage entre prudence et optimisation des bénéfices. Le directeur financier est exposé à de fortes responsabilités et c’est lui qui prend les décisions. »
Des salaires attractifs, mais jugés perfectibles
Selon l’enquête Carrière & rémunération menée à l’été 2024 par OpinionWay pour l’Institut des actuaires, le salaire brut annuel moyen des actuaires atteint 92 000 €. Pour 10 % des répondants, il dépasse les 150 000 €. La part variable reste modeste : 4 actuaires sur 10 perçoivent moins de 6 000 €, pour une moyenne globale de 20 000 € annuels. Côté perception, les avis sont partagés : 48 % des actuaires se disent bien rémunérés, tandis que 47 % jugent leur rémunération insuffisante.