Directions financières

Digital : les comptables s’adaptent

Publié le 20 septembre 2019 à 11h52    Mis à jour le 20 septembre 2019 à 17h16

Anne del Pozo

Sous l’effet du mouvement de digitalisation de certains processus, comme la dématérialisation des factures, et de l’émergence de l’intelligence artificielle, les métiers de la comptabilité connaissent au sein des entreprises de profondes évolutions. Une situation qui conduit les recruteurs à rechercher de nouvelles compétences chez les candidats.

L’employé en comptabilité serait-il en sursis ? Oui, à en croire une étude publiée il y a quelques mois par l’Institut Sapiens ! Selon ce document, la disparition de ce métier pourrait intervenir entre 2041 et 2056. Cette sombre perspective, qui affecterait essentiellement les métiers liés à la comptabilité transactionnelle (comptabilité client/fournisseur), s’explique en grande partie par la digitalisation de certains processus. Ces derniers ont, il est vrai, déjà été largement industrialisés, notamment au travers de la mise en place de centres de services partagés (CSP) et de l’essor du digital (dématérialisation des factures, cloud, automatisation des processus d’enregistrement, développement des algorithmes d’analyses ou encore intelligence artificielle).

«L’automatisation partielle de la plupart des tâches transactionnelles, comme la saisie comptable, l’établissement des fiches de paie et la réalisation des bilans annuels, et de certains processus organisationnels (dématérialisation) s’est ainsi logiquement imposée au sein des services comptables pour améliorer leur productivité, confirme Sébastien Rocher, professeur des universités en sciences de gestion à l’IAE de Nancy. C’est notamment le cas dans les CSP ou dans les cabinets comptables en charge de l’établissement et de la révision des comptes de leurs clients.»

Une indispensable maîtrise des concepts informatiques

Cette automatisation conduit ainsi à une réduction du volume de travail de 43 % en moyenne pour les processus order-to-cash (facturation, encaissement, crédit, recouvrement et tarification), de 41 % pour la comptabilité et de 34 % pour les processus de procure-to-pay (ISG, 2017). Un gain de temps qui s’observe également pour les clôtures comptables. «La digitalisation des dossiers de révision comptable permet à nos équipes de comptabilité mais également au contrôle de gestion et à l’audit légal de gagner en visibilité sur le pilotage de la clôture et donc, en temps et en qualité, constate Emmanuel Vallée, directeur du CSP groupe de Havas. Cela conduit également au développement d’organisations plus collaboratives qui fluidifient les processus et atténuent les inconvénients de l’existence de silos.»

Ces changements tendent naturellement à modifier les attentes des entreprises en matière de compétences. «La digitalisation des processus nécessite une appétence renforcée pour les systèmes d’information, précise Emmanuel Vallée. En effet, en qualité de recruteur, nous attendons désormais des comptables qu’ils aient davantage de compétences en matière de maniement des données ainsi qu’une bonne compréhension des flux au sein du système d’information.»Fonctionnement des systèmes d’information, formalisation de règles de gestion, contrôle de l’exécution de scripts sont autant d’expertises désormais recherchées chez le comptable en entreprise. «A tel point que la frontière entre les compétences informatiques et comptables devient parfois ténue», reconnaît Emmanuel Vallée. La digitalisation de la profession génère également de nouveaux risques cyber ou de fraudes que les comptables doivent savoir appréhender. «Au sein du groupe Havas, nous nous attachons à former et sensibiliser nos comptables sur ces nouvelles menaces et les actions à mettre en place pour mieux les éviter, par exemple en leur expliquant de toujours vérifier l’expéditeur des courriels ou de ne jamais céder à une demande de règlement rapide», poursuit Emmanuel Vallée.

Des formations encore incomplètes

Alors même que le métier de comptable est en mutation permanente, les entreprises sont également attentives aux capacités d’adaptation des comptables et à leur faculté à faire évoluer leurs pratiques. «65 % des dirigeants financiers recherchent des collaborateurs capables de s’adapter aux évolutions des technologies et de leur métier (Page Groupe Finance/DFCG, 2019), mais aussi, de manière générale, ayant une capacité plus marquée à développer de nouvelles compétences, informe Mikaël Deiller, directeur de la division finance chez Michael Page. Les nouveaux schémas organisationnels font par ailleurs émerger des attentes plus grandes en matière d’autonomie et de proactivité (qualités recherchées par 80 % des répondants). L’heure est à plus de coopération et à une gestion de plus en plus transverse des projets, et les compétences comportementales (soft skills) n’ont jamais été autant mises en exergue.»

Ces nouvelles compétences commencent à être dispensées dans les cursus d’Etat préparant aux métiers de la comptabilité et à l’expertise comptable (DCG, DSCG, master comptabilité contrôle audit). «Le contenu de ces formations a été adapté aux nouveaux outils qui émergent actuellement et nos étudiants sont préparés pour faire face à la transformation digitale de leur métier», souligne Thierry Carlier, directeur de l’ENOES. L’évolution de ces cursus, entérinée par l’arrêté du 13 février 2019, publiée au bulletin officiel du 27 juin dernier et applicable depuis la rentrée de septembre, prend en compte de nouveaux sujets tels que l’environnement numérique des cabinets ou encore la programmation sur tableur.

Certains établissements proposent également des cours de programmation informatique aux étudiants en comptabilité, comme l’ENOES au sein de son master CCA. Depuis l’année dernière, l’école a aussi mis en place des «séminaires numériques» dans le cadre du cursus DCG. L’IAE de Nancy organise pour sa part, avec l’Association des directeurs de comptabilité et de gestion (APDC) ou d’autres partenaires professionnels, des conférences sur les transformations induites par le digital dans les métiers de la comptabilité. Quelques formations hors cursus d’Etat émergent en parallèle pour préparer les étudiants en comptabilité aux défis du digital. C’est par exemple en suivant un master en statistique au CNAM que Laurent Lanzini, expert-comptable en entreprise et senior manager chez Square, a acquis les compétences nécessaires à la réalisation de cartographies applicatives. Depuis la rentrée 2018/2019, l’ENOES propose un certificat professionnel «transformation digitale» et un titre métier «business data analyst». «Ces formations ont pour vocation de proposer aux comptables d’acquérir des compétences plus techniques sur des sujets particuliers tels que, par exemple, l’analyse de données tout en les aidant à mieux appréhender la transformation digitale de leur métier», précise Thierry Carlier.

La refonte des formations est cependant loin d’être achevée. Les notions d’informatique enseignées restent en effet parfois abordées de manière encore très académique, sans suffisamment de mises en pratique. «Or les applications comptables étant au cœur de différents flux informatiques dans l’entreprise, les étudiants ont par exemple besoin d’apprendre à faire des cartographies applicatives, de comprendre les différentes interactions existant entre une application de comptabilité et les autres applications de l’entreprise», insiste Laurent Lanzini. Pour le moment, l’apprentissage de ces notions autour du digital se fait donc surtout durant les périodes de stages ou dans les cursus en alternance.

Le top 5 des qualités plébiscitées

Un dirigeant financier sur trois prévoyait de recruter au moins un profil en comptabilité en 2019, selon une étude réalisée par Michael Page Finance, en partenariat avec la DFCG (Association des directeurs financiers et de contrôle de gestion). Cette tendance s’était déjà largement amorcée en 2018 car plus d’un dirigeant financier sur deux avait procédé à un renforcement de ses équipes, avec dans 59 % des cas des profils comptables.

Sources : Michael Page Finance/DFCG, 2019

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