Election présidentielle

Emmanuel Macron : le bilan

Publié le 1 avril 2022 à 17h44

Alexandra Milleret    Temps de lecture 15 minutes

Le quinquennat d’Emmanuel Macron aura été dans l’ensemble favorable aux entreprises. Après avoir cherché dès son élection à renforcer leur compétitivité, l’exécutif a su mettre en place avec efficacité des mesures destinées à préserver leur situation financière lors de la crise sanitaire. Il aura malgré tout fallu attendre cette dernière  pour que la réforme majeure des impôts de production commence à être mise en oeuvre.Et des chantiers importants, comme ceux lié àla transmission ou à la fiscalité verte, restent encore à ouvrir.

D’ici quelques jours, le dimanche 10 avril, aura lieu le premier tour de l’élection présidentielle. Sans surprise, Emmanuel Macron brigue un second mandat, dont il a dévoilé le programme le 16 mars dernier. Après cinq années à l’Elysée, le président-candidat entend désormais jouer la carte de la continuité. « Mon bilan est là pour dire la crédibilité des engagements que je prends aujourd’hui », a-t-il affirmé à cette même occasion. Les entreprises, une des cibles privilégiées de son programme en 2017, ont pu, de fait, constater qu’un certain nombre de réformes qui leur avaient été promises ont bien été menées au cours du dernier quinquennat. Néanmoins, le bilan reste, quant à lui, mitigé.

Pourtant, à l’époque, elles avaient été séduites par le visage social-libéral et les idées de l’ancien ministre de l’Economie, nommé en 2014 par François Hollande, et s’étaient réjouies de l’élection à la fonction suprême de celui qui leur promettait une « révolution » dans un livre-programme.

Une révolution fiscale pour les dirigeants

Il est vrai que le quinquennat d’Emmanuel Macron a démarré sur les chapeaux de roues et s’annonçait plein d’espoir. A peine élu, le nouveau président de la République a, en effet, tapé fort dès la rentrée 2017 à l’occasion de la loi de finances pour 2018 qui contient, selon les spécialistes, les dispositions fiscales les plus emblématiques du quinquennat. 

Il a d’abord engagé une ambitieuse réforme en matière de fiscalité du capital afin de favoriser l’investissement dans les entreprises. « Un paquet de mesures concernant les dirigeants et les personnes physiques qui perçoivent des dividendes ou réalisent des plus-values ont été adoptées dans le cadre de cette loi », constate Frédéric Teper, associé au cabinet Arsene. A cette occasion, le gouvernement a d’abord instauré une flat tax, ou prélèvement forfaitaire unique (PFU), de 30 % (12,8 % d’impôt sur le revenu et 17,2 % de CSG) sur tous les revenus du capital (dividendes, plus-values, intérêts). « Une mesure très attendue par les épargnants et les entreprises car, sous le quinquennat de François Hollande, la fiscalité des plus-values avait été alignée au taux progressif de l’impôt sur le revenu, jusqu’à 60 %, rappelle Michel Didier, président du comité de direction de Rexecode. La réforme de la flat tax a le mérite d’instaurer un régime simple en appliquant désormais un taux de 30 % à tous les revenus des placements, quels qu’ils soient. » Un soulagement d’autant plus appréciable pour les personnes qui bénéficient de ce type de revenus que la réforme leur a laissé la possibilité d’opter pour une imposition au barème progressif si celle-ci est inférieure au taux de la flat tax. « Avec cette réforme, la France est encore un peu au-dessus des moyennes européennes en termes de fiscalité du capital, mais elle revient à un dispositif similaire à celui de ses voisins européens (taxe forfaitaire de 25 % en Allemagne, 23 % en Espagne, 26 % en Italie…) », poursuit Michel Didier.

Autre marqueur, encore plus symbolique, de la loi de finances pour 2018 : le remplacement de l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF) en un impôt sur la fortune immobilière (IFI). « On parle souvent de suppression de l’ISF, mais il s’agit concrètement d’une diminution de l’assiette fiscale soumise à l’impôt sur la fortune, corrige Frédéric Teper. L’IFI ne concerne plus que le patrimoine immobilier, alors que l’ISF comptait également les valeurs mobilières. » Une mesure dont l’objectif était de dissuader les personnes fortunées de quitter le territoire français pour des pays où la fiscalité était plus attractive, mais aussi de favoriser l’investissement. « L’ISF a causé une vague de départs d’entrepreneurs, créateurs de croissance, qui a fait perdre à la France, en trente ans d’ISF, 40 milliards d’euros de PIB », constate Michel Didier. Cette réforme a donc, en toute logique, été perçue comme un signal très positif. « Les montants des investissements étrangers en France ont augmenté depuis les cinq dernières années », se félicite Jean-Yves Charriau, associé au cabinet Lacourte, Raquin, Tatar.

Une baisse de la fiscalité des entreprises maintenue

Mais la loi de finances pour 2018 est emblématique à un autre titre. Elle est le point de départ de la trajectoire de baisse du taux d’imposition sur les sociétés (IS), passé progressivement, tout au long du quinquennat, de 33,1/3 % en 2017 à 25 %. « Cette baisse avait en réalité déjà été amorcée lors de la dernière année du quinquennat de François Hollande, rappelle Frédéric Teper. Néanmoins, c’est sous le mandat d’Emmanuel Macron que l’IS français est revenu dans la moyenne européenne et des Etats de l’OCDE, avec un taux à 25 %. » Certes, la crise des « gilets jaunes » à l’hiver 2018 a obligé le gouvernement à revoir sa feuille de route initiale en décalant à 2021 la baisse de l’IS pour les grandes entreprises prévue initialement à partir de 2019. Néanmoins, l’exécutif a tenu son engagement. Toutes les entreprises se voient appliquer un taux de 25 % depuis le 1er janvier dernier. « Ces dernières et les investisseurs étrangers ne considéraient pas comme acquise la baisse annoncée du taux d’IS en raison des crises successives rencontrées par l’exécutif qui auraient pu la remettre en cause, remarque Jean-Yves Charriau. Or, aujourd’hui, ils constatent que la France est un pays fiable. »

Dans l’intervalle, les entreprises auront quand même été mises à contribution. Le président de la République étant contraint de prendre des mesures pour le pouvoir d’achat, les entreprises ont en effet été invitées à verser à leurs salariés, sous certaines conditions, une prime exceptionnelle, dite « prime Macron », totalement defiscalisée jusqu’à 1 000 euros. De plus, la défiscalisation des heures supplémentaires, après avoir été supprimée sous le quinquennat de François Hollande, a fait son grand retour dès le mois de janvier 2019. Une bonne nouvelle pour le pouvoir d’achat des salariés, mais moins pour les chefs d’entreprise, qui sont restés redevables des cotisations patronales.

«La loi Pacte a fait sortir les entreprises du strict cadre du capitalisme avec les notions d’intérêt social élargi, de raison d’être et de société à mission. »

Bruno Dondero Associé ,  CMS Francis Lefebvre

Une loi Pacte inaboutie

Conscient de la nécessité d’alléger les contraintes pesant sur les entreprises, l’exécutif a par ailleurs lancé, à la rentrée 2017, le projet de loi Pacte (plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises). Le texte devait être la grande loi économique du quinquennat : « Une loi qui allait donner aux entreprises les moyens de grandir, d’innover, d’exporter et de créer des emplois », selon l’exécutif. Une méthode innovante a été mise en place pour permettre aux entreprises elles-mêmes d’élaborer le contenu de la loi grâce à des auditions et à une consultation publique en mettant en lumière les réformes prioritaires à mener pour leur développement. 

Cette fois, l’initiative s’est révélée décevante. Promulguée le 22 mai 2019, presque deux ans après son lancement, la loi est qualifiée de « fourre-tout » par certaines organisations professionnelles qui la considèrent comme trop éloignée de leurs véritables préoccupations. Son principal mérite restera finalement d’avoir permis d’intégrer les critères environnementaux, sociaux et de gouvernance dans le Code civil. « La loi Pacte a fait sortir les entreprises du strict cadre du capitalisme avec les notions d’intérêt social élargi, de raison d’être et de société à mission, explique Bruno Dondero, associé au cabinet CMS Francis Lefebvre. Désormais, toutes les sociétés sont obligées de prendre en considération la RSE dans leurs activités. »

Pour le reste, les entreprises ont le sentiment de ne pas avoir été entendues, et en particulier concernant un sujet qui leur tient à cœur, celui de la transmission. Le pacte Dutreil, mécanisme utilisé depuis 2003 pour la transmission des entreprises, n’a été réformé qu’a minima. Alors que les entreprises attendaient un taux d’exonération des droits de mutation plus élevé que celui applicable jusqu’alors (75 %), seules les obligations déclaratives ont été assouplies. « De plus, les nouvelles dispositions concernant le pacte Dutreil ont été intégrées à la loi de finances pour 2019, rappelle Frédéric Teper. Or les commentaires définitifs de l’administration fiscale pour savoir comment les appliquer n’ont été publiés qu’en décembre 2021. En conséquence, les dirigeants souhaitant transmettre leur entreprise sont restés très longtemps dans l’incertitude. » Un raté que le gouvernement, pensant avoir encore du temps devant lui, semblait lui-même reconnaître en laissant entendre, en septembre 2019, la possible élaboration d’une loi Pacte 2 au cours des deux années restantes du quinquennat.

«La crise sanitaire a empêché l’exécutif de mener d’autres réformes fiscales de plus grande ampleur.»

Frédéric Teper Associé ,  Arsene

Un plan de sauvetage massif

C’était compter sans l’apparition du virus de la Covid-19 au printemps suivant qui allait bouleverser les ambitions de réformes du gouvernement et définitivement doucher les espoirs des entreprises. « La crise sanitaire a empêché l’exécutif de mener d’autres réformes fiscales de plus grande ampleur », regrette Frédéric Teper. Presque la moitié du quinquennat aura ainsi été exclusivement consacrée à la gestion de la crise sanitaire.

A défaut de réforme majeure, l’exécutif a néanmoins su prendre des mesures conjoncturelles pour protéger les entreprises de la crise. Dans le cadre de la stratégie du « quoi qu’il en coûte », un plan de sauvetage massif, sous forme de sommes allouées, de report de paiement de charges sociales et fiscales, de prêts garantis par l’Etat – que le gouvernement n’hésitera d’ailleurs pas à réactiver deux ans plus tard au moment de la guerre en Ukraine – et estimé aujourd’hui à près de 500 milliards d’euros, a très vite été déployé. Des aides bienvenues pour des entreprises confrontées à des confinements successifs et des fermetures administratives et qui reconnaissent aujourd’hui la générosité de l’exécutif. « Les acteurs économiques ont été sensibles à la qualité du travail fourni par l’administration française, sous le contrôle de Bercy, pour soutenir les entreprises », reconnaît Frédéric Teper.

Quelques mois plus tard, à partir de septembre 2020, un plan de relance de 10 milliards d’euros était lancé pour accompagner les ménages et les entreprises dans la sortie de crise. Sur cette somme, 18 milliards d’euros ont été mobilisés pour soutenir les investissements des entreprises. Une stratégie qui a séduit bon nombre d’entre elles puisque plus de 10 400 entreprises industrielles ont pu bénéficier des différentes subventions proposées, dont 86 % de TPE-PME. Par exemple, 5,4 milliards d’euros ont été accordés par l’Etat dans le cadre du programme « Territoires d’industrie » (mesure censée accélérer le développement industriel) et 73 millions d’euros ont été octroyés pour aider à la numérisation des TPE. « La réaction de l’Etat face à la crise sanitaire a sans conteste permis à de nombreuses entreprises françaises de passer le cap de la crise », observe Frédéric Teper.

Des impôts de production diminués in extremis

Surtout, le plan de relance s’est révélé être une occasion inespérée pour les entreprises de voir enfin la fiscalité de production baissée de 10 milliards d’euros, une mesure réclamée de longue date. En effet, alors que ces impôts sont pourtant considérés comme la principale cause de leur manque de compétitivité par les ETI et les entreprises industrielles, l’exécutif avait jusqu’alors toujours rechigné à les alléger. « Le sujet des impôts de production ne figurait pas dans le programme d’Emmanuel Macron en 2017, rappelle Michel Didier. A l’époque, le candidat misait davantage sur les start-up qui, elles, ne sont pas concernées par ce type de taxes. » Une erreur stratégique pour les spécialistes, car la plupart de ces taxes représentent des coûts fixes totalement déconnectés de l’activité des entreprises et qui les pénalisent donc particulièrement. « Qu’elles produisent beaucoup ou non, les entreprises sont taxées sur leurs immobilisations, qui sont des coûts fixes alors que l’impôt sur les sociétés est basé sur le résultat enregistré, et donc proportionné à ce résultat, poursuit Michel Didier. En choisissant de baisser d’abord l’IS, le gouvernement n’a pas forcément opté pour le meilleur choix en termes de compétitivité. Il aurait dû également baisser les impôts de production. »

Malgré cette baisse, l’écart reste encore de 64 milliards d’euros par rapport aux impôts de production payés en Allemagne par exemple, et de 25 milliards d’euros par rapport à la moyenne européenne, selon le Medef. « L’effort de baisse des impôts de production fait par le gouvernement est significatif, mais le poids des impôts payés par les entreprises par rapport au PIB reste encore considérable : il est aujourd’hui de 3,1 % du PIB, contre 1,7 % pour la moyenne européenne, ce qui fait toujours de la France un pays à coût de production élevé parmi les Etats membres de l’Union européenne », constate Michel Didier.

«Le sujet des impôts de production ne figurait pas dans le programme d’Emmanuel Macron en 2017. A l’époque, le candidat misait davantage sur les start-up qui, elles, ne sont pas concernées par ce type de taxes. »

Michel Didier Président du comité de direction ,  Rexecode

Toutefois, le quinquennat qui s’annonce, quel que soit le candidat ou la candidate élu(e), ne devrait pas aller beaucoup plus loin. Dans son programme, le président-candidat se contente d’évoquer une baisse supplémentaire de 7,5 milliards d’euros en supprimant la part restante de la contribution sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE). La candidate LR, Valérie Pécresse, propose quant à elle une coupe de 10 milliards d’euros, seuls Eric Zemmour et Marine Le Pen promettant une diminution de 30 milliards d’euros. Il est vrai que le ralentissement de la croissance engendrée par la guerre en Ukraine va peser sur les comptes publics, déjà dégradés par la crise sanitaire. « Il reste pourtant encore des mesures à prendre, notamment pour réduire la pression fiscale qui pèse sur les coûts des entreprises », soutient Michel Didier. Ainsi, la réforme du pacte Dutreil est toujours attendue. « Les chefs d’entreprises sont toujours confrontés à un régime de transmission qui reste complexe et qui n’est pas toujours adapté à certaines situations familiales, regrette Mathieu Selva-Roudon, associé au cabinet LPA-CGR.  Plus globalement, une adaptation des droits de succession et notamment de donation est indispensable pour fluidifier les transferts intergénérationnels de patrimoine du vivant du donateur ».

Par ailleurs, le sujet de la fiscalité verte pour les entreprises n’aura été que très peu abordé au cours du quinquennat, malgré la tenue d’une Convention citoyenne pour le climat. « Suite à la colère des “gilets jaunes”, déclenchée par un projet d’augmentation de la taxe carbone, le président de la République s’est montré timide à engager une grande réforme incitant fiscalement les entreprises à produire plus vert », déplore Frédéric Teper. Le prochain président sera donc bien obligé de prendre des mesures fortes en matière énergétique. Compte tenu des dépenses qui s’annoncent, il est fort probable que se profile plutôt une hausse des prélèvements obligatoires. 

Les relations avec l’administration fiscale se sont dégradées

  • L’année 2018 du quinquennat d’Emmanuel Macron a été marquée par l’adoption consécutive de deux lois visant les relations entre les entreprises et l’administration fiscale. 
  • La première, la loi pour un Etat au service d’une société de confiance (ESSOC) du 10 août 2018, a pour ambition d’instaurer davantage de fluidité dans leurs échanges, alors que la seconde, la loi sur la fraude fiscale du 23 octobre 2018, entend renforcer la répression contre les sociétés fraudeuses.  « L’exécutif a voulu nous présenter un régime équilibré avec, d’un côté, une volonté de dialogue et, de l’autre, un discours plus sévère sur la conformité fiscale. Si, en pratique, les entreprises qui ont adhéré aux nouveaux partenariats de la relation de confiance se montrent plutôt satisfaites, la sévérité lors des contrôles fiscaux reste de mise », observe Frédéric Teper, avocat associé au cabinet Arsene. 
  • En effet, alors que les entreprises peuvent désormais, en vertu de la loi ESSOC, faire valoir un droit à l’erreur si elles sont de bonne foi, dans les faits, les relations avec l’administration fiscale se seraient plutôt détériorées depuis 2018. « Lors d’un contrôle fiscal, il est de plus en plus fréquent sur les dossiers « sensibles » d’évoquer le risque pénal , alerte Mathieu Selva-Roudon, associé au cabinet LPA-CGR. La suppression du verrou de Bercy dans le cadre de la loi «  fraude fiscale II », permettant désormais une transmission automatique au Parquet des dossiers  fiscaux dépassant 100 000 euros ou de droits et engendrant une pénalité lourde (80%, voire 40% en cas de récidive), donne à l’administration fiscale un levier supplémentaire pour amener les entreprises à accepter les rectifications proposées en contrepartie d’un éloignement du risque pénal ».
  • Malgré les réformes et la volonté de l’exécutif à réconcilier les entreprises et l’administration fiscale, cette dernière est donc encore perçue comme un redoutable gendarme.

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