Les entreprises invitées à une réflexion de fond sur le partage de la valeur

Publié le 22 février 2024 à 17h19

Emanuelle Serrano    Temps de lecture 8 minutes

Faisant suite à la prime exceptionnelle de pouvoir d’achat (PEPA), la prime de partage de la valorisation de l’entreprise (PPV) est un dispositif encadré par la loi du 29 novembre 2023 portant transposition de l’accord national interprofessionnel relatif au partage de la valeur au sein de l’entreprise. Mais comment la mettre en place ? Les experts réunis par Option Finance lors d’un récent webinaire en donnent quelques clés de compréhension.

Les lois Pacte en 2019 et d’accélération et de simplification de l’action publique (ASAP) en 2020, sur le pouvoir d’achat (en 2022) et enfin la loi relative au partage de la valeur au sein de l’entreprise du 29 novembre dernier visent à encourager la mise en place de dispositifs d’épargne salariale et d’actionnariat salarié dans toutes les entreprises, y compris les TPE-PME, en les simplifiant et en les sécurisant. Jusqu’ici, le législateur avait choisi d’inciter les entreprises à se saisir de ces dispositifs. Mais les sociétés de moins de 50 salariés non soumises à la participation obligatoire sont peu enclines à mettre en place volontairement des mécanismes d’épargne salariale. « C’est la raison pour laquelle partenaires sociaux et parlementaires ont décidé de tester un dispositif expérimental de partage de la valeur qui s’impose dorénavant aux entreprises de moins de 50 salariés, non soumises à la participation obligatoire mais qui constateraient un bénéfice net fiscal égal à au moins 1 % de leur chiffre d’affaires sur trois ans », explique Thomas Salomé, avocat associé au sein de Capital Ingenium.

Obligations et modalités de mise en place du partage de la valeur

Jusqu’à présent, les entreprises de moins de 50 salariés n’étaient pas tenues de mettre en place un mécanisme de partage de la valeur. Elles le seront désormais si elles constatent un bénéfice fiscal au moins égal à 1 % de leur chiffre d’affaires pendant trois exercices consécutifs. Les sociétés de moins de 11 personnes ne sont pas concernées par cette mesure. Petite difficulté, le texte de loi n’a pas précisé les modalités de décompte. « Le calcul des effectifs devrait vraisemblablement se faire de la même manière que pour l’instauration d’un comité social et économique (CSE), en vérifiant sur les douze derniers mois si, oui ou non, la société a atteint un seuil de 11 salariés », indique Thomas Salomé.

En pratique, si les conditions de chiffre d’affaires et de résultat net fiscal sont réunies, ces entreprises devront mettre en place un régime de participation, d’intéressement, un plan d’épargne entreprise ou encore une prime de partage de la valeur. Selon les cas, cette mise en place pourra intervenir par voie d’accord ou de décision unilatérale. Cette mesure entrera en vigueur à partir de l’exercice ouvert à compter du 1er janvier 2025 avec prise en compte des trois exercices précédents. Les entreprises qui auraient déjà déployé un mécanisme de partage de la valeur (accord de participation volontaire, accord d’intéressement, plan d’épargne d’entreprise) en « avance de phase » en seront dispensées.

Du côté des grandes entreprises, la loi prévoit une obligation de négocier sur la définition et le partage d’une augmentation exceptionnelle du bénéfice. Ainsi, les entreprises soumises à la participation et pourvues d’un délégué syndical devront négocier à la fois sur la définition du bénéfice exceptionnel et sur les modalités de partage de la valeur, qui pourront prendre la forme d’un supplément de participation ou d’intéressement, un abondement au PEE ou encore le versement de la prime de partage de valeur. « Si l’accord peut prévoir un supplément de participation ou d’intéressement en cas de bénéfice exceptionnel, il est aussi possible de simplement renvoyer à une négociation ultérieure avec les représentants du personnel sur les modalités de partage de la valeur », précise Thomas Salomé.

A contrario, les sociétés ayant déjà négocié des clauses similaires dans le cadre de leurs accords de participation ou d’intéressement sont affranchies de cette obligation de négocier. Idem pour celles qui ont inclus dans leur accord de participation une formule dérogatoire incluant un montant de réserve spéciale de participation plus favorable que celui qui aurait été versé aux salariés dans le cadre de la formule légale. « Rappelons qu’en tout état de cause il s’agit d’une obligation d’engager loyalement des négociations sur la notion de bénéfice exceptionnel et son partage, mais en aucun cas une obligation de conclure », relève Thomas Salomé.

Les incitations

A côté des obligations, le législateur a créé des incitations qui visent aussi à élargir le partage de la valeur.

« Les petites entreprises de moins de 50 salariés peuvent déjà volontairement appliquer la participation, le cas échéant, par voie unilatérale, rappelle Frédéric Aknin, avocat associé chez Capital Ingenium. Elles sont alors nécessairement tenues par la formule de participation légale ou, si elles appliquent une formule dérogatoire, par le principe de l’équivalence des avantages. » Avec la nouvelle loi, ces mêmes entreprises non légalement tenues par la participation peuvent désormais, alternativement, préférer appliquer volontairement une formule de participation qui déroge à la formule légale et au principe de l’équivalence des avantages. « Mais dans ce cas, elles ne peuvent procéder par voie unilatérale et doivent, obligatoirement, soit faire application d’un accord de participation conclu au niveau de la branche, soit conclure elles-mêmes un accord de participation au sens de l’article L3323-6 du Code du travail », souligne Frédéric Aknin.

Une innovation : les « phantom shares » à la française

Le plan de partage de la valorisation de l’entreprise pourra être adopté par toutes les entreprises qui le souhaitent.

D’une durée fixe de trois ans, il consistera à attribuer un montant virtuel d’investissement à chacun des salariés de l’entreprise disposant d’une ancienneté minimale (le montant de référence). Si, au bout des trois ans, il y a eu un accroissement de la valeur de l’entreprise, la valeur correspondante est partagée avec les salariés, à concurrence de leurs montants de référence respectifs.

La formule de valorisation de l’entreprise se définit en amont dans le cadre du plan, mais le législateur n’a rien précisé sur ce point, hormis pour les sociétés cotées ou, pour les sociétés non cotées, un dispositif par défaut précisant que, s’il n’y a pas de formule dans le plan ou si la formule n’est pas applicable, il faudra se baser sur l’actif net réévalué.

Le montant versé aux salariés est plafonné chaque année à concurrence d’un montant exonéré de charges sociales dans la limite de 75 % du plafond annuel de la Sécurité sociale (PASS), soit environ 33 000 euros en 2024. Sur le plan fiscal, les bénéficiaires peuvent profiter d’une exonération d’impôt sur le revenu, à condition de verser le montant de la prime sur un plan d’épargne d’entreprise, 3,75 % du PASS seulement étant exonéré d’impôt sur le revenu. En contrepartie de l’exonération des charges sociales, l’employeur verse une cotisation patronale spécifique égale à 20 % du montant de l’avantage accordé aux salariés.

« Dans certaines sociétés, en particulier celles non cotées, faire entrer des salariés au capital a des conséquences en termes de gouvernance (notamment en multipliant le nombre d’actionnaires). Le nouveau mécanisme de partage de la valeur, fondé sur un principe “d’actions fantôme”, introduit une alternative à l’actionnariat salarié classique, note Bruno Erard, avocat associé chez Capital Ingenium. En décorrélant les droits économiques d’une action de ses droits juridiques, le plan de partage de la valeur constitue un outil complémentaire de partage, exclusivement fondé sur la performance économique de l’entreprise. Cela permet d’éviter d’entrer dans des problématiques de gouvernance, qui peuvent être source de complexité et constituer un frein au développement de l’actionnariat salarié dans certaines entreprises. »

Développement de l’attribution gratuite d’actions (AGA)

La loi contient un dispositif (cf. article 17) d’attribution gratuite d’actions (AGA) aux salariés ou mandataires sociaux. « Aujourd’hui, selon la Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (DARES) citée dans l’étude d’impact de la loi, environ 460 000 salariés bénéficient d’un plan d’AGA en France », rappelle Laurent Bibaut, avocat associé chez Capital Ingenium.

Le texte de loi introduit certains assouplissements du cadre d’attribution gratuite d’actions. Ces mesures concernent notamment l’élargissement des cas d›attribution aux mandataires sociaux des filiales de groupes non cotés, et un système de rechargement du plafond individuel de détention du capital de 10 % après sept ans. Par ailleurs, la généralité des sociétés pourra désormais allouer jusqu’à 15 % de son capital sous forme d’actions gratuites, ce seuil étant porté à 20 % dans les PME. 

Retrouvez le replay du webinaire

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