Table ronde/IT et Finance

Réforme sur la facturation électronique : la dynamique doit se poursuivre !

Publié le 13 octobre 2023 à 11h30

Anne Del Pozo    Temps de lecture 26 minutes

S’il était attendu et souhaité par les entreprises, le report de la réforme sur la facturation électronique pose de nouveaux défis aux entreprises qui avaient déjà initié leur projet sur le sujet et offre de nouvelles opportunités à celles qui n’avaient pas ou peu engagé le leur. Bien que les modalités de ce report ne soient pas encore définitivement entérinées par le gouvernement, il est néanmoins important que les différentes parties prenantes ne cassent pas la dynamique de leur projet et profitent de ce nouvel espace-temps pour le déployer plus sereinement.

De gauche à droite :  Cyrille Sautereau, président FNFE-MPE - Jamal Elassri, EMEA Chief Sales Officer, Yooz - Renaud Texcier, associate partner, Argon&Co

Cyrille Sautereau, président du FNFE-MPE : Nous avions, dans le calendrier précédent, un premier semestre 2024 assez chargé. Il fallait de manière simultanée réaliser la phase pilote, déployer 4 millions d’entreprises qui devaient faire le choix d’une PDP, sachant que l’immatriculation de ces dernières ne pouvait l’être que fin décembre de cette année ou début janvier 2024. Compte tenu de ces délais initiaux particulièrement serrés, il y a donc eu une demande des entreprises, et même d’ailleurs plus largement de l’écosystème, a minima de faire preuve de bienveillance, voire de décaler de 6 à 12 mois l’échéance initiale. Nous avons finalement appris lors d’une réunion de la Communauté des relais du 14 septembre dernier, que le portail public de facturation (PPF) était significativement en retard dans sa date de livraison. Il aurait en effet dû être livré en ce moment pour être opérationnel, donc validé, en décembre de cette année, afin de commencer un pilote en janvier. Or, il ne devrait être finalement livré qu’à l’automne 2024, donc dans un an, avec la phase de validation qui va bien. Ce premier point explique le report qui va donc être un peu plus long qu’attendu.

D’autre part, la DGFIP s’est également rendu compte de la complexité du sujet d’une façon générale, parce qu’il s’agit de basculer toutes les pratiques relevant de l’e-invoicing et de l’e-reporting avec beaucoup de cas d’usages qui sont réels, qui existent et qu’il faut pouvoir traiter. Elle souhaite donc étendre la phase pilote de 6 à 12 mois, en 2025, pour avoir le temps d’abord de conduire ce pilote puis d’en tirer les conséquences. A ce jour, plus d’une centaine d’équipes pour 1 300 entreprises se sont portées volontaires (alors que le gouvernement attendait seulement une trentaine d’équipes pour 300 entreprises). Nous sommes donc sur une disponibilité de la plateforme plutôt fin 2024 et un pilote sur l’année 2025, puis un déploiement en 2026, voire un peu en 2027. Idéalement, la DGFIP souhaiterait également resserrer ce déploiement dans la mesure où toutes les parties prenantes auront eu le temps collectivement de se préparer beaucoup plus et en même temps pour éviter d’avoir à déborder trop sur 2027. Ce déploiement se passerait alors en deux phases. La première commencerait aux alentours du mois de mars 2026, d’abord par l’obligation de recevoir pour tous (donc d’avoir choisi une PDP ou le PPF en réception) les acteurs, puis l’obligation d’émettre surtout pour les grandes entreprises et l’obligation de recevoir pour tout le monde. La deuxième phase concernerait le reste des entreprises et pourrait commencer en octobre 2026. Les ETI pourraient être dans la première ou la deuxième phase, ce n’est pas encore déterminé. Ce calendrier, qui n’est pas encore définitif, devrait faire l’objet d’amendements à la loi de Finance 2024, car il est peu probable qu’il soit dans la version présentée le 27 septembre prochain.

La date des immatriculations PDP reste inchangée

Cyrille Sautereau : Les immatriculations des PDP sont une des raisons pour lesquelles les entreprises plébiscitaient un report de la réforme. Il leur était en effet compliqué de se préparer à cette réforme et de choisir un prestataire sans savoir s’il serait finalement immatriculé PDP ou pas. Or, l’immatriculation des PDP est soumise à leur capacité de démontrer leur interopérabilité avec le PPF, qui n’est pas près…

Dans le cadre de l’évolution réglementaire en cours, cette contrainte pourrait être levée tant que le PPF n’est pas disponible. Auquel cas, il pourra donc y avoir des PDP dès que le décret et l’arrêté consécutifs à la loi de Finance 2024 seront publiés, probablement au premier trimestre 2024. Les entreprises pourront donc avoir davantage de temps pour choisir leur(s) PDP et se préparer au passage à la facturation électronique avec leur(s) prestataire(s). Pour anticiper cette période longue, il faudrait néanmoins que l’annuaire soit disponible plus tôt.

L’annuaire recense l’ensemble des entreprises qui seront assujetties et sur lequel repose en particulier le fonctionnement des PDP pour faire transiter les messages entre PDP ou même avec le PPF. Cet annuaire permettra de savoir quelles(s) PDP les entreprises assujetties ont choisies pour recevoir leurs factures, ou si elles s’appuient uniquement sur le PPF. Nous avons donc signifié qu’il est important que cet annuaire soit accessible le plus tôt possible pour l’ensemble des assujettis, car il permettrait aux futures PDP de démarrer plus tôt leurs flux. Dès lors qu’il est publié et opérationnel, tous ceux qui sont prêts peuvent avancer en attendant la mise en place de la réforme, tout en en respectant le cadre.

La mise en place de l’e-invoicing sera-t-elle déconnectée de celle de l’e-reporting ?

Cyrille Sautereau : L’e-invoicing et l’e-reporting sont deux choses assez distinctes. L’e-reporting est d’une complexité et d’une intensité plus importante que l’e-invoicing pour les entreprises. L’e-invoicing consiste à choisir une plateforme pour recevoir ses factures et à savoir faire des factures électroniques avec des données. Dans ce cadre-là, il reviendra aux PDP d’extraire des données attendues par l’administration « à la volée » de leur transmission au destinataire. L’entreprise, pour sa part, devra juste apprendre à faire des factures avec des données, puis à renvoyer les statuts de traitement sur ces factures.

L’e-reporting en revanche consiste à reporter à l’administration ce qui est écrit dans ses factures de ventes B2C et B2B internationales mais aussi dans ses factures d’acquisitions internationales hors imports de biens, à savoir les mentions obligatoires, y compris celles des lignes à terme. Or, ces factures reçues de l’international ne sont pas forcément avec des données, ce qui va donc nécessiter de la saisie et de l’organisation, dans des délais plus courts (tous les 10 jours ou tous les mois). Pour les entreprises, il s’agit d’une contrainte supplémentaire en termes d’organisation. Pour sécuriser le dispositif et permettre aux entreprises de mieux appréhender cette réforme, nous avons signifié à l’administration fiscale qu’il serait raisonnable de se concentrer sur l’annuaire pour l’interopérabilité, puis sur l’e-invoicing et enfin sur l’e-reporting.

Quel est l’impact de ce report sur les entreprises ?

Jamal Elassri, EMEA Chief Sales Officer, Yooz : En dépit du report, le sujet de la facture électronique reste vraiment d’actualité, en France mais aussi plus globalement d’un point de vue européen, voire mondial. Ce report est d’ailleurs bien perçu globalement par les entreprises qui avaient besoin de plus de temps pour se mettre en conformité et profiter des opportunités que leur offre cette réforme.

Par exemple, imposer cette réforme ou la manager, c’est aussi assurer du changement au niveau des pratiques internes de l’entreprise, auprès des collaborateurs lorsqu’on parle des experts-comptables, mais aussi auprès des partenaires commerciaux. C’est également s’assurer d’une certaine continuité de services. Ces démarches nécessitent du temps.

Les entreprises pensaient avoir du temps au regard des échéances du calendrier de mise en place de la réforme. Or, elles étaient toutes concernées dès le début par la nécessité d’être en capacité de recevoir et de traiter ces factures électroniques. Ce report laisse également du temps à l’administration de mieux préparer cette réforme.

En qualité de prestataire, nous entendons pour notre part en profiter pour accompagner et conseiller encore plus nos clients. Nous sommes d’ailleurs présents aussi bien auprès de nos clients et des entreprises que de l’ensemble des parties prenantes à cette réforme, des différents groupes de discussions, de la DGFIP, du FNFE, de la Communauté des relais. Nous maintenons également notre dynamique sur le sujet de la réforme et tenons notre feuille de route interne que ce soit au niveau de notre road map comme de nos engagements auprès de nos clients et prospects.

Renaud Texcier, associate partner, Argon&Co : Pour les entreprises qui ont déjà initié les travaux, il faut continuer à battre la mesure et conserver la dynamique. Elles ont déjà mobilisé des ressources, que ce soit à la finance ou à l’IT, sollicité les équipes, voire des partenaires externes, pour créer un momentum. Le risque, en s’arrêtant au milieu du guet, serait d’avoir du mal à relancer la dynamique plus tard.

D’autres projets vont arriver et potentiellement solliciter les mêmes équipes, rendant difficile un redémarrage du projet de mise en conformité. Nous constatons également chez certains clients, des BU qui ont des niveaux de maturité plus faibles dans le traitement des factures et qui ont stoppé leurs projets de dématérialisation historique et structurant pour eux, pour attendre que le groupe implémente une solution sélectionnée dans le cadre de la réforme. Stopper aujourd’hui ces projets-là revient à laisser les BU sous des processus à risque pendant encore deux, voire trois ans. Les entreprises qui sont déjà avancées dans ces travaux peuvent également trouver des avantages à ce report : aller plus loin dans la rationalisation des systèmes et des processus, aligner les feuilles de route des différents projets, en profiter pour faire converger les ERP. Il est important de poursuivre ces projets pour garder la dynamique et bénéficier de leurs impacts. C’est également une opportunité pour certaines entreprises de se positionner comme participant à la phase pilote et étaler les plans de bascule, anticiper la migration de certains flux et éviter un big bang en 2026. Pour les autres, bien souvent, lorsqu’on commence à leur présenter le détail du contenu de la réforme et à travailler avec elles sur les différents sujets, c’est généralement à ce moment-là qu’elles commencent à se rendre compte de l’ampleur des sujets à traiter et de la marche à franchir.

Une marche d’autant plus complexe et grande quand une entreprise regroupe plusieurs entités et des SI différents. Pour celles qui n’ont pas encore lancé les travaux, il ne faut pas attendre 2024-2025 pour se lancer : il est nécessaire de s’y mettre dès maintenant. D’autant qu’il y a un risque que les éditeurs et intégrateurs, que ce soit les PDP, les OD et même les ERP, se retrouvent face à un grand nombre de sollicitations au dernier moment qu’ils pourraient être dans l’incapacité de gérer en même temps.

Cyrille Sautereau, président FNFE-MPE

« Dans le cadre du report de la réforme sur la facturation électronique, nous sommes donc sur une disponibilité du PPF plutôt fin 2024, un pilote sur l’année 2025, puis un déploiement en 2026. »

Cyrille Sautereau est président du Forum national de la facture électronique (FNFE) depuis 2015. Il a commencé sa carrière dans les années 1990 dans le groupe La Poste où il a contribué à la création de la Banque Postale. Il a ensuite créé un des premiers opérateurs de facturation électronique en France au début des années 2000, dénommé Deskom, vendu à Cegedim en 2010. Depuis 2012, il met son expérience d’entrepreneur et d’expert de la transition digitale des processus métiers au service des entreprises, des offreurs et des régulateurs au sein de sa structure de conseil Admarel Conseil, avec un focus particulier sur le déploiement des usages de la facture électronique et de la supply chain en France et dans l’UE. Cyrille est aussi impliqué dans les travaux normatifs internationaux, y compris liés à l’interopérabilité. Il est également rapporteur du standard Factur-x.

Comment se préparer à cette réforme ?

Cyrille Sautereau : Les entreprises qui se sont déjà préparées et qui étaient prêtes à partir avec six mois d’écart ont lancé leur projet depuis près de 18 mois. Donc celles qui ne sont pas encore en train de se préparer, si elles ne commencent pas maintenant, elles auront du mal à être prêtes, même pour 2026. Il y a quand même un message fort qui est de dire qu’effectivement, cette réforme, bien au-delà de simplement émettre et recevoir des factures électroniques, avec son volet e-reporting, nécessite de repenser un tout petit peu les processus de l’entreprise, en tout cas, et aussi de respecter mieux la réglementation fiscale. Par exemple, en cas d’acomptes, il faut faire des factures d’acomptes, ce qui ne se fait pas toujours aujourd’hui. Quand une entreprise n’est pas d’accord avec une facture, il faut faire un avoir et une nouvelle facture ou une facture rectificative, et ne pas refaire la facture en erreur comme si la première n’avait pas existé… Il s’agit donc pour les entreprises de bien réfléchir à toutes ces spécificités et la façon dont elles les gèrent et devront les gérer. Nous disposons déjà aujourd’hui d’une documentation (les spécifications externes), assez précise et aboutie, qui permet aux entreprises de « screener » l’ensemble des cas métiers qui ont déjà été inventoriés.

Renaud Texcier : Se préparer à la réforme, ce n’est pas seulement choisir un outil, une PDP ou un OD. Il y a d’autres chantiers d’envergure qui doivent être anticipés. Par exemple, dans certaines entreprises, il peut y avoir des enjeux autour des référentiels de données, notamment les bases tiers. Nous constatons parfois que ces bases de données sont incohérentes, ont des doublons, ou sont incomplètes (il peut manquer des Siren, des Siret, des numéros de TVA…). Or, ce travail de qualification de la base de données est, dans le cadre de la réforme, indispensable et peut nécessiter un travail de nettoyage relativement conséquent, fastidieux, chronophage, qu’il convient d’anticiper. Sans ces données propres, l’entreprise s’exposera à un grand nombre de rejets de la part du PDP ou du PPF, elle risque de ne pas pouvoir envoyer des factures et, in fine, de ne pas être payée.

Dans la même lignée, la réforme impose d’avoir un certain nombre de données sur les factures, potentiellement des données qui ne sont pas natives dans les ERP de l’entreprise. Cette absence d’éléments va nécessiter du travail, du temps, parfois une évolution des outils en place. Autant de démarches qu’il convient d’anticiper dès maintenant.  Enfin, il convient de ne pas négliger l’accompagnement du changement impliqué par cette réforme. Il va falloir mettre de la discipline autour de certains processus, pérenniser des pratiques dans le temps. Toutes ces démarches nécessitent une conduite du changement qui peut prendre du temps.

Jamal Elassri : Entre autres bonnes pratiques à mettre en place, les entreprises doivent commencer par auditer et maîtriser leurs flux, puis trouver une solution qui soit hybride et capable de gérer des flux conformes à la réforme, mais également à tous les process et à toutes les factures qui peuvent arriver dans l’entreprise, une solution qui soit par ailleurs collaborative, qui permette de fluidifier la relation client fournisseur, qui soit intuitive et qui puisse se connecter au système d’information de l’entreprise. Anticiper sans avoir de plateforme PDP réelle, reste néanmoins un challenge.

Certains acteurs ont déjà déposé des dossiers, d’autres ne l’ont pas encore fait. Certains acteurs apportent déjà des garanties en termes de sécurisation des flux et sont aujourd’hui déjà en conformité avec la norme ISO 27 001 et SecNumCloud exigée pour être PDP, et d’autres ne le sont pas encore. Il peut donc s’agir de critères de choix de prestataire(s). Il ne faut également pas négliger la gestion des flux hybrides. Il y a différents types de factures qui vont arriver, qui arrivent déjà aujourd’hui et qui arriveront demain, qui ne sont pas toutes concernées par la réforme. Il est donc préférable de se tourner vers des solutions qui soient capables de gérer ces flux hybrides, de les canaliser, quels qu’ils soient ou quelles que soient leurs sources d’arrivée.

De même, la transmission des flux d’informations va nécessiter une collaboration simplifiée avec le fournisseur. Il faut pouvoir tchater et échanger facilement avec lui, lui faire rapidement état d’une information, lui transmettre des pièces jointes simplement. Les plateformes utilisées doivent pouvoir apporter ce niveau de services. L’intuitivité de la solution et sa simplicité d’utilisation représentent également des critères de choix essentiels pour ne pas subir la contrainte réglementaire.  Enfin, la connectivité de la solution, notamment avec les outils de gestion en place dans l’entreprise, est également indispensable. Il est important que les entreprises identifient les services dont elles ont besoin pour ensuite bien choisir leur prestataire.

Renaud Texcier : La mise en conformité avec la réforme doit être envisagée comme un véritable projet d’entreprise. Comme tout projet, la première étape est d’avoir une vision claire sur l’état des lieux, c’est-à-dire le diagnostic, et analyser tous les écarts que l’on va avoir par rapport aux futures exigences de la réforme. Cela permettra d’identifier un certain nombre d’axes de travail à lancer, dont le choix d’un partenaire. Cet état des lieux doit se faire autour de cinq principaux sujets. La compréhension des clients et fournisseurs avec qui l’entreprise travaille, l’ensemble des flux entrants et sortants, les processus et les outils qui viennent les soutenir, les référentiels de données et la conformité fiscale des factures.

Dans un premier temps, il est ainsi important de construire une vision d’ensemble des flux de factures entrantes et sortantes en fonction de la typologie de clients et de fournisseurs. Voir tous ces flux et bien les comprendre permettra à l’entreprise d’avoir une vision claire et partagée entre tous les acteurs des différents outils utilisés dans l’entreprise ou dans le groupe et des formats de facture. Gère-t-on beaucoup de papier, de PDF ou d’EDI fiscal ? Est-ce que les EDI sont déjà sur des formats du socle ou non ? Ces questions sont identifiées en analysant les flux. On pourra voir également à la fois le volume de factures traitées qui permettra d’identifier la marche à franchir et les principaux clients et fournisseurs. Est-ce qu’on travaille avec un panel resserré de clients et de fournisseurs avec qui l’on pourra travailler plus en profondeur les flux cibles ou est-ce que le panel est plutôt diffus avec un grand nombre de clients et fournisseurs ? Cette analyse des flux permettra également à l’entreprise d’identifier tous les cas de facturation spécifiques et de les mettre au regard des différents cas identifiés par l’Etat. Cela permet ensuite d’identifier les flux à faire évoluer, les cas particuliers qui seront à gérer…

En parallèle de cette vision sur les flux, il est nécessaire de bâtir une cartographie des processus et des outils, sur l’ensemble des chaînes procure-to-pay et order-to-cash, pour bien comprendre le périmètre fonctionnel et organisationnel de chacun des outils, et il est nécessaire d’identifier leurs capacités à répondre aux différents enjeux de la réforme. Cela permettra d’anticiper les évolutions nécessaires à réaliser dans l’ERP, mais aussi de voir quelles sont les fonctionnalités dont l’entreprise a besoin au-delà de l’ERP et qu’elle pourra potentiellement trouver dans une PDP ou un OD.

Il convient également de travailler sur l’analyse de la qualité de la donnée, son exhaustivité, sa cohérence, ses éventuels doublons. Cela doit être fait assez rapidement pour pouvoir travailler sur la mise à jour des données et mettre ensuite tous les processus et les contrôles au sein de l’ERP. Il faut également s’assurer de bien disposer de l’ensemble des mentions obligatoires et des informations sur les statuts. Demain, ça nécessitera potentiellement de faire des évolutions de table et/ou d’ajouter de données : il s’agit d’un axe qu’il faut regarder dès le départ. En résumé, il faut extraire une synthèse des journaux d’achats et de ventes avec une vision par client ou par fournisseur pour avoir une bonne vision sur la volumétrie, les cas spécifiques et également la qualité des bases de données. Il faut ensuite analyser le contenu des factures qui émanent des différents outils de gestion de l’entreprise, pour identifier les données qu’il faudra potentiellement rajouter. Enfin, il faut solliciter les experts métiers, bien souvent les équipes comptables ou d’administration des ventes, et les experts techniques au sein de la DSI ou les intégrateurs si la connaissance est externalisée.

Ensuite, il va falloir rapidement se mettre en contact avec l’éditeur ou l’intégrateur de l’ERP et analyser la capacité de son environnement applicatif à se projeter avec cette réforme. Il faut aussi travailler main dans la main avec les principaux clients et les principaux fournisseurs pour voir comment eux aussi s’engagent dans cette démarche. Une fois ces étapes réalisées les entreprises pourront travailler sur deux volets : le premier volet, qui est effectivement très technologique, va permettre de définir les différents scénarios en termes d’outillage, la couverture fonctionnelle de chaque outil, PDP versus OD… et qui va souvent s’accompagner par un appel d’offres pour étudier les capacités des différents partenaires PDP/OD à répondre au mieux aux enjeux qu’on a identifiés dans cette première phase d’analyse. Le deuxième volet consiste à structurer l’ensemble des chantiers, la feuille de route à mettre en place pour avancer sur les différentes thématiques (les process, les outils, les flux, les données…) et se mettre en conformité dans les bons délais.

Jamal Elassri, EMEA Chief Sales Officer, Yooz

« Le report de la réforme est bien perçu par les entreprises qui avaient besoin de plus de temps pour se mettre en conformité et profiter des opportunités qu’elle leur offre. »

Jamal Elassri est EMEA chief sales officer de Yooz. Diplômé de l’Université de Montpellier en informatique puis en commerce, Jamal a travaillé successivement chez Würth France et Dell. Il a rejoint Yooz en tant que consultant commercial senior pour la France en 2014. Après deux ans, Jamal a été promu au poste de responsable des ventes EMEA et il occupe depuis 2021 le poste de directeur des ventes EMEA.

Quels sont les atouts d’une PDP versus OD ?

Jamal Elassri : Le PPF est l’outil central proposé par l’Etat, qui permettra d’assurer le service minimum attendu par la réforme. La PDP sera immatriculée par l’Etat et sera en capacité de répondre à l’ensemble des contraintes réglementaires de la réforme. Nous devrons par exemple opérer des contrôles de manière obligatoire. Les OD pour leur part ne pourront pas tout faire ou pas tout faire seul. Parfois, un OD pourra, au travers d’un partenariat PDP ou au travers de la PPF, répondre globalement aux mêmes enjeux en rajoutant différentes interfaces à sa solution, ce qui complexifie potentiellement la vie de l’entreprise qui aura à la gérer.

Par exemple, la mise à jour de l’annuaire ne pourra se faire par un OD, mais uniquement par le PPF et les PDP. De même, la consultation de l’annuaire ne pourra s’effectuer que par les PDP et ou le PPF. La connectivité de la solution peut être assurée plus facilement par une PDP que par une OD. Enfin, l’OD peut répondre aux contraintes de la réforme mais sera un peu plus limité sur les services à valeur ajoutée qui peuvent entourer cette réforme.

Cyrille Sautereau : Sur le choix OD, PDP, PPF, il faut bien comprendre que cette réforme a deux parties. La première concerne l’échange de factures réglementées, parce qu’il y a des contrôles obligatoires qui passent par le PPF ou les PDP. La deuxième partie concerne les systèmes d’information : comment, en amont et en aval de cet échange, je fabrique des factures, je les valide, je renvoie des statuts, je les paye, je me fais payer, je rapproche, j’automatise les traitements. Tout ça, c’est du domaine de l’OD. Les PDP ne sont que des OD augmentés qui ont le droit en plus d’émettre et recevoir les factures. Le PPF pour sa part a un spectre beaucoup plus faible puisqu’il se concentre sur l’échange des factures.

Pour ce qui est de l’annuaire, effectivement, sa mise à jour et donc l’enregistrement des entreprises sont à la charge et à la main des PDP (ou du PPF dans sa fonction de plateforme d’e-invoicing). Quand on passe par un OD, il faut donc soit faire appel à une PDP partenaire, soit au PPF pour alimenter cet annuaire. En revanche, la consultation de l’annuaire peut se faire aussi bien par des PDP que par des OD pour savoir si une adresse électronique existe ou pas et si un client est assujetti ou pas. Voilà déjà pour bien positionner ce qu’est un OD. D’ailleurs, les ERP sont des OD, tout comme les experts-comptables.

Quelles sont les opportunités offertes par la réforme ?

Jamal Elassri : L’objectif même de la réforme n’est pas d’apporter un lot de contraintes, mais des opportunités au niveau de l’entreprise. En accélérant la transmission des flux, le traitement, le suivi et la traçabilité des factures, elle permet par exemple d’accélérer la résolution des litiges et d’améliorer la relation client/fournisseur. Cette gestion plus instantanée du traitement des factures contribue également à améliorer le pilotage de la trésorerie et des investissements de l’entreprise.

La facturation électronique va également renforcer la digitalisation de tout le processus de traitement de la facture, depuis sa réception jusqu’à son paiement, sans pour autant perdre en qualité et en fiabilité. Les directeurs financiers vont, pour leur part, gagner en visibilité, disposer d’informations en temps réel et optimiser ainsi l’analyse et le pilotage de la performance de l’entreprise. Enfin, cette réforme va permettre un accès à beaucoup plus de datas.

Renaud Texcier : Pour saisir ces opportunités, il est important d’anticiper et de se mettre dès maintenant en ordre de marche sur cette réforme. Négliger les étapes de préparation peut générer une perte de performance. D’autre part, si l’entreprise n’est pas prête, cela peut également générer des rejets et des risques d’impayés. Pour les entreprises les moins matures en termes de dématérialisation, qui gèrent beaucoup de PDF ou de papier, la simple mise en place de la facturation électronique est déjà un gain de temps énorme dans tout le process de réception et de contrôle des factures. Il n’y a alors plus besoin d’aller chercher les factures sur les différents portails fournisseurs, il n’y a plus de factures papiers à numériser et à archiver, plus besoin non plus de faire tous les contrôles de conformité fiscale, toutes ces tâches seront automatiques. Cette automatisation générera d’importants gains de temps.

Pour exploiter pleinement la valeur de la dématérialisation, il est également essentiel d’entreprendre une restructuration plus en profondeur des cycles P2P et O2C. Cela apportera plus de valeur à l’entreprise, plus de sens aux collaborateurs et une meilleure connaissance et expérience fournisseurs et clients. La réforme ne touche qu’un bout de la dématérialisation. Les entreprises peuvent s’appuyer sur cette dynamique un peu forcée pour mener un projet plus global de digitalisation et d’automatisation de ces cycles. Sur le cycle order-to-cash, c’est par exemple l’occasion d’étendre la digitalisation à la prise de commande, la facturation automatique, le lettrage intelligent des encaissements, la gestion du recouvrement, le risque client. Sur le P2P, c’est aussi l’occasion d’étendre la dématérialisation aux demandes d’achat, aux workflows de validation, à la mise en place d’e-catalogue, de revoir la politique achat et le rapprochement et la validation automatique des factures. La dématérialisation est aussi l’occasion de repenser et d’optimiser les processus de bout en bout, revoir les rôles et responsabilités au sein de l’organisation, les règles de gestion à chaque étape, sur la prise de commande, la création des tiers, les workflows… Cela permettra aux entreprises de gagner en fluidité, en simplicité, en efficacité. Cette réforme impacte également l’organisation et les compétences.

La dématérialisation, la normalisation et l’automatisation vont faire évoluer les comptables vers des fonctions d’analyses pour apporter plus de valeur business. C’est l’occasion également de repenser les organisations, et notamment d’imaginer à l’avenir plus de mutualisation d’un certain nombre de tâches, pour les standardiser, les industrialiser, les professionnaliser, au sein de CSP par exemple. Enfin, la digitalisation permet de générer beaucoup de datas que l’entreprise pourra structurer et analyser. Elle pourra en tirer plus de valeur pour mieux piloter la performance des processus, avoir une vision 360 des clients ou des fournisseurs, disposer d’une meilleure vision de l’encours et du risque client.

Finalement, les retours d’expériences des entreprises sur la dématérialisation sont plutôt clairs. Certaines subissent passivement les process dématérialisés qui sont imposés par leurs clients ou par leurs fournisseurs, ce qui va souvent engendrer une charge administrative supplémentaire. D’autres, depuis quelques années, saisissent cette opportunité transformationnelle pour repenser leur cycle de vente et d’achat.

Dans le cycle de vente, on peut constater une amélioration de l’expérience client et collaborateur, une fiabilisation de la base et une meilleure connaissance des clients et, in fine, un meilleur contrôle du cash grâce à une facturation de meilleure qualité et un recouvrement plus efficace. Sur le cycle achat, on peut observer une amélioration de l’expérience fournisseur, une mise en qualité des bases et une optimisation des dépenses grâce à un meilleur contrôle des engagements et un meilleur respect de la politique achat.

Renaud Texcier, associate partner, Argon&Co

« Se préparer à la réforme, ce n’est pas seulement choisir un outil, une PDP ou un OD. Il y a d’autres chantiers d’envergure qui doivent être anticipés. »

Renaud Texcier est associate partner, Argon & Co. En charge de l’offre facturation électronique chez Argon & Co, Renaud a 15 ans d’expérience dans le conseil sur des projets de compétitivité des SG&A et de transformation des fonctions support et commerciales (operating model, optimisation et digitalisation des processus, etc.). Il accompagne notamment depuis plusieurs années les directions financières dans l’optimisation des cycles d’achats (procure-to-pay, P2P) et de ventes (order-to-cash, O2C), ce qui lui a permis de développer une expertise forte autour de la facturation électronique. Il accompagne aujourd’hui ses clients dans la préparation à la réforme de la facturation électronique de la phase amont de diagnostic, de définition de la cible (processus, outils, data, organisation, etc.) jusqu’à la construction de feuilles de route opérationnelles permettant de tenir les échéances.

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