La lettre de l'immobilier

Les nouveaux défis de l'immobilier

Le traitement des comptes courants d’associé dans l’appréciation de la prépondérance immobilière

Publié le 30 novembre 2021 à 18h25

CMS Francis Lefebvre    Temps de lecture 7 minutes

Par Sebastian Boyxen, avocat counsel en droit fiscal. Il intervient en matière de fiscalité nationale et internationale des entreprises, notamment dans le cadre de la structuration fiscale d’investissements immobiliers et de fonds immobiliers. sebastian.boyxen@cms-fl.com

Dans les groupes immobiliers, le financement des actifs immobiliers des sociétés par endettement auprès des associés est une pratique fréquente et la question se pose dans cette situation de la façon d’appréhender les créances intra-groupe correspondantes pour l’appréciation de la prépondérance immobilière selon que l’on traite de la taxe de 3 % (1), des plus-values de cession de titres (2), des droits de mutation (3), ou bien encore de l’impôt sur la fortune immobilière (IFI) (4).

Alors que le cadre légal semble relativement balisé, une précision apportée par la jurisprudence civile en matière de taxe de 3 % et les positions prises par certains services vérificateurs dans les contrôles fiscaux sont source de nouveaux défis en la matière. 

Déductibilité de principe

Si le Code général des impôts (CGI) contient différentes définitions de la prépondérance immobilière (PI) selon les impôts concernés, celles-ci impliquent toutes la détermination d’un ratio ou coefficient de PI et ainsi l’identification des biens ou actifs devant figurer respectivement au numérateur et au dénominateur de ce ratio.

Or, pour la détermination du ratio de PI, les dispositions légales ne prévoient pas de traitement spécifique des comptes courants d’associés et plus généralement des créances intra-groupes, sinon pour neutraliser dans certains cas particuliers de façon ciblée leur impact. 

Une créance de compte courant n’est pas un actif immobilier

En l’absence de traitement spécifique des comptes courants d’associé, il est acquis, quel que soit l’impôt concerné pour les besoins duquel la PI est appréciée, qu’une créance de compte courant, quand bien même elle serait détenue sur une filiale à PI, ne constitue ni un immeuble, ni un droit immobilier. Dans ces conditions, elle ne peut que figurer au dénominateur du ratio de PI.

Prise en compte pour l’évaluation des titres de sociétés immobilières

En matière de plus-values de cession de titres, de droits de mutation et d’IFI, le financement en compte courant d’une filiale immobilière peut par ailleurs avoir un effet diminutif sur la valeur des actifs immobiliers pris en compte au numérateur du ratio de PI de l’associé créancier. En effet, dans ces situations ce n’est pas la valeur de l’immeuble qui figure directement au numérateur de son ratio de PI, mais la valeur des titres détenus dans la filiale immobilière financée qui tient en principe compte des dettes envers les associés. 

Il en résulte en pratique que lorsque les comptes courants sont d’une valeur égale ou supérieure à celle des immeubles, les titres de la filiale sont pris en compte au numérateur pour une valeur symbolique.

Neutralisation exceptionnelle

Règles anti-abus de non-déductibilité

En matière d’IFI, il existe des règles spécifiques anti-abus5 qui conduisent à exclure pour l’évaluation des parts ou actions de sociétés immobilières la prise en compte de certaines dettes contractées, directement ou indirectement, par la société notamment auprès du redevable et des personnes de son foyer fiscal ou de son cercle familial, présumées contractées dans un but principalement fiscal. Le contribuable garde cependant la possibilité de la preuve contraire.

Les règles fiscales ne prévoient pas de correction de l’évaluation des titres de sociétés à prépondérance immobilière en matière de plus-values de cession de titres et de droits de mutation. 

Il n’existe par ailleurs aucune règle qui exclurait spécifiquement les créances de compte courant détenus sur une société à prépondérance immobilière des actifs non immobiliers pris en compte au dénominateur du ratio immobilier. Le bien-fondé de l’existence de comptes courants d’associés reste néanmoins soumis aux règles générales anti-abus. 

Approche par transparence en matière de taxe de 3 %

En matière de taxe de 3 %, les créances ne sont pas susceptibles d’impacter la valeur des actifs immobilisés au numérateur qui, contrairement aux principes applicables en matière de plus-values de cession de titres, de droits de mutation et d’IFI, tient compte des actifs immobiliers français détenus directement ou indirectement au travers d’entités interposées, sans considération du nombre et de la valeur des entités interposées.

Une incertitude existait sur la prise en compte des créances de compte courant au dénominateur en tant qu’actif mobilier, mais la Cour de cassation a confirmé récemment l’analyse de la cour d’appel de Paris selon laquelle les actifs français non immobiliers détenus directement ou au travers d’entités interposées susceptibles d’être inscrits au dénominateur du rapport de PI doivent être recherchés au même niveau que les immeubles dans un chaine de détention.6 Il résulte de cette approche consolidante qu’en cas de détention d’un immeuble en France par l’intermédiaire d’une société française, les créances de compte courant détenues sur la société française propriétaire de l’immeuble sont purement et simplement ignorées. 

La Cour avait relevé que le mode de calcul proposé par la société requérante consistant à ajouter au dénominateur du ratio la créance de compte courant correspondant au prêt consenti par la société mère pour l’acquisition de ce bien, reviendrait à prendre deux fois en compte la valeur de l’immeuble, une première fois directement, une seconde fois par anticipation sur son prix de vente. 

Quelle portée de l’approche par transparence ?

Au regard des positions prises par certains services vérificateurs, la question se pose si l’analyse économique qui sous-tend l’approche par transparence doit s’étendre à l’appréciation de la PI dans le cadre d’autres impôts.

Toutefois, il faut souligner les différences fondamentales existant entre les modalités d’appréciation de la prépondérance immobilière en matière de taxe de 3 % et d’autres impôts. Si on peut comprendre que la rédaction de l’article 990 E du CGI laisse place à une appréciation de la PI, selon un principe de transparence absolue, au regard de la valeur de l’ensemble des actifs français détenus directement et indirectement, les dispositions applicables en matière de plus-values de cession de titres, de droits de mutation et d’IFI, commandent, au contraire, d’apprécier la PI d’une société au regard de la seule valeur des actifs de nature immobilière ou mobilière qu’elle détient directement. 

Il nous semble également que les motivations dont s’inspire le dispositif de la taxe de 3 % qui justifient l’évaluation d’un patrimoine immobilier sous une acception consolidée sont parfaitement étrangères au concept de la PI pour le besoin d’autres impôts. 

Le raisonnement par transparence propre à la taxe de 3 % ne devrait ainsi pas pouvoir être invoqué par l’administration dans le cadre d’autres impôts pour s’opposer au fait qu’en lieu et place d’un investissement immobilier direct ou d’un financement en fonds propres d’une société immobilière, il est préféré un financement en prêt d’associé. Dès lors que la loi n’interdit pas le financement en quasi-fonds propres et que la jurisprudence confirme depuis longtemps le principe du libre choix du mode de financement, l’exclusion des comptes courants ne devrait pouvoir intervenir que dans des situations exceptionnelles sur la base des règles générales anti-abus, si les opérations de financement ou de refinancement mises en place apparaissent fictives ou si leur existence peut être considérée comme ayant pour seul but ou but principal de « déprépondériser » une chaine de détention immobilière. 

1. CGI, art.990 E, 2° a).

2. CGI, art. 219, I-a sexies-0 bis, art. 244 bis A, 2.

3. CGI, art. 726, I-2°.

4. CGI, art. 965.

5. CGI, art. 973.

6. Cass.com, 2 décembre 2020, n°730 F-D ; CA Paris, 7 mai 2018, n°16/03476.

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CMS Francis Lefebvre est l’un des principaux cabinets d’avocats d’affaires français, dont l'enracinement local, le positionnement unique et l'expertise reconnue lui permettent de fournir des solutions innovantes et à haute valeur ajoutée en droit fiscal, en droit des sociétés et en droit du travail. 

 

Au sommaire de la lettre


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