Mettre en avant des rôles modèles pour susciter des vocations, revoir les processus RH ou encore favoriser le développement de réseaux et de mentorats : autant d’initiatives menées par des associations professionnelles et sociétés de gestions pour tenter d’accélérer la féminisation du private equity.
En juin dernier, la cofondatrice et managing partner de Demeter, Sophie Paturle Guesnerot, a pris la présidence de France Invest, devenant la troisième femme à occuper cette fonction au sein de l’association du capital-investissement. Il faut dire que l’univers historiquement très masculin du private equity a progressé en termes de mixité. En moins de quinze ans, la proportion de femmes dans les équipes d’investissement est passée de 17 % en 2010 à 30 % en 2024. « Il y a eu de véritables avancées en particulier depuis la publication, en 2020, de la Charte France Invest en faveur de la parité », relève Céline André, directrice chez Eiffel Investment Group, et co-présidente du Club private equity au féminin de l’association professionnelle. De nombreuses sociétés de gestion se sont en effet engagées, par le biais de cette charte, sur des objectifs chiffrés comme celui d’atteindre les 40 % de femmes dans les équipes d’investissement d’ici 2030. « Nous constatons toutefois un ralentissement de ce mouvement et une certaine lassitude vis-à-vis de ce sujet, poursuit-elle. Les femmes ne veulent pas qu’on réduise leur embauche à leur genre, et les gérants des sociétés de gestion ont un peu délaissé les enjeux de diversité et de mixité pour se concentrer sur le business, le contexte macroéconomique étant plus difficile. » En effet, si entre 2019 et 2020, la proportion des femmes est passée de 23 % à 27 %, ce chiffre depuis ne progresse en moyenne que d’un point par an.
Pour lutter contre ce qui s’apparente à un plafond de verre, des initiatives se multiplient tant au niveau des associations professionnelles qu’au sein de certaines sociétés de gestion. Plusieurs acteurs financiers (Ardian, Vauban Infrastructure Partners, Amala, Eight Advisory, Lombard Odier, Ondra) ont par exemple noué un partenariat avec l’ESCP pour créer la chaire Women in Finance. Lancée il y a deux ans, celle-ci vise est à éclairer les causes de la sous-représentation des femmes dans la finance, et à soumettre des propositions pour renverser cette tendance. « Les premiers résultats mettent en avant l’importance d’avoir été sensibilisé assez tôt à un métier pour pouvoir s’orienter vers celui-ci », indique Gwen Colin, responsable de la RSE et de la recherche au sein du fonds Vauban IP. Les relations avec les écoles supérieures sont ainsi essentielles pour promouvoir les perspectives de carrière dans le non-coté, à condition néanmoins de ne pas cibler uniquement les masters en finance, eux-mêmes déficitaires en étudiantes. L’organisation, depuis six ans par France Invest, des Prix des talents féminins répond aussi à ce besoin de rôles modèles en mettant en avant des professionnelles de divers niveaux d’expérience.
Revoir les process RH
Au-delà de l’aspect communication, l’enjeu de mixité est avant tout un sujet de politique RH. Il est essentiel de revoir les process de recrutement pour lutter contre les différents biais. « Nous avons commencé ce travail en 2019, raconte Maxime Letissier, responsable du pôle Talents au sein de la direction RH d’Ardian. L’ensemble des équipes RH ont suivi des formations sur les stéréotypes et les micro-agressions afin d’être vigilants sur ces sujets. Nous avons également revu la manière d’écrire nos offres d’emploi. » Des actions qui ont porté leurs fruits puisque la part des femmes dans les équipes d’investissement est passée de 15 % à 27 % entre 2019 et 2025 ; une proportion qui monte à 33 % pour le bureau français. « L’évolution la plus notable concerne le rang d’analyste, où nous comptons 40 % de femmes en France, mais nous commençons aussi à voir un impact sur le niveau intermédiaire », note le RH. Au sein de Vauban, la question de la parité a tout de suite été centrale. La société de gestion, fondée par Gwenola Chambon et Mounir Corm, compte ainsi 34 % de femmes dans ses équipes d’investissement, et 33 % au comex, soit bien plus que la moyenne de 20 % observée dans le secteur. « L’essentiel de nos recrutements porte sur des juniors que nous nous attachons à fidéliser et à faire évoluer », indique la responsable RH, Floriane Stefanello. Le gérant veille notamment à l’équité dans les rémunérations : « Nous vérifions régulièrement que pour chaque poste, le salaire moyen des femmes soit équivalent à celui des hommes. Notre index égalité professionnelle femmes-hommes 2025 est d’ailleurs de 90 points. »
Et pour faire changer les mentalités sur la « problématique » du congé maternité, dix semaines de congés sont offertes au père, soit la durée du congé maternité post-accouchement. « Cette mesure a rapidement été adoptée par les nouveaux parents car la prise de ce congé est encouragée par la direction, note Gwen Colin. Elle permet aux pères de s’impliquer davantage dans l’accompagnement de leur enfant mais aussi de leur faire vivre une reprise de poste après plusieurs mois d’absence. »
Entre coaching et networking
Car pour que les recrutements de femmes juniors se transforment en talents confirmés, il faut réussir à les garder. Si le sujet de la maternité est encore perçu comme un obstacle à franchir dans sa carrière, il est loin d’être le seul frein. Des programmes de mentorat sont ainsi proposés par Level 20. L’association européenne, qui promeut la diversité de genre dans le private equity, permet aux femmes déjà en poste d’être accompagnées par un ou une professionnelle plus expérimentée, et de bénéficier d’un coaching sur différentes thématiques en parallèle. De la même manière, Ardian a structuré un programme de six mois pour les femmes senior managers de ses équipes d’investissement. Les participantes ont ainsi accès à une série de sessions sur le développement professionnel et personnel, abordant des thèmes comme le leadership ou le personal branding. « Ce programme créé une communauté de femmes qui sont au même stade de leur vie professionnelle, et souvent de leur vie personnelle, témoigne Anaïs Robin, une des participantes. Il favorise une solidarité entre nous. » La senior investment manager œuvre également à ce networking en interne en co-dirigeant Ardian Women. Née en 2018, cette initiative vise à attirer les talents féminins et à favoriser leur évolution professionnelle. Trois leviers sont ainsi mis en œuvre : la constitution et l’animation d’un réseau avec des événements internes et externes, la gestion de carrière avec des séances de coaching et de mentorat, et l’organisation de conférences plus généralistes ouvertes à tous. « Nos événements sont complets très rapidement, ce qui montre qu’ils répondent à un vrai besoin », relève Anaïs Robin.
Faire comprendre l’importance du networking pour la gestion de carrière, c’est aussi l’ambition du Club féminin de France Invest. « Alimenter son réseau, se rendre visible auprès des intermédiaires, des dirigeants, c’est du travail » assène la co-présidente Céline André. Régulièrement, les 200 membres sont conviés à des petits-déjeuners, des tables rondes et des afterworks pour favoriser les échanges. « L’objectif est que nos membres se connaissent pour partager leurs expériences mais aussi pour éventuellement se retrouver lors d’événements organisés par des tiers, et ainsi être plus à l’aise », poursuit-elle. Des rendez-vous qui se déclinent tant à Paris qu’en régions. Le club organise également depuis un peu plus d’un an, des soirées de rencontre avec les LP. « L’accès aux investisseurs est clé dans notre profession, souligne Céline André. Ces rencontres visent à la fois à aider les femmes seniors à se positionner lors des levées de fonds et à lutter contre une forme de conservatisme des LP. Si l’on veut sortir d’un jeu à somme nulle, où les recrutements de profils seniors se font uniquement entre sociétés de gestion, il faut être capable d’intégrer des profils différents. » Un travail qui nécessite de la pédagogie tant vis-à-vis des GP que des LP. Lors des levées de fonds, ces derniers examinent en effet le track record des gérants et valorisent difficilement les parcours atypiques. Céline André, ancienne avocate en private equity, en a fait les frais. « J’avais plus de dix ans d’expérience en private equity, certes pas en tant qu’investisseur, mais cette expérience pouvait être valorisée et être créatrice de valeur. »
«Alimenter son réseau, se rendre visible auprès des intermédiaires, des dirigeants, c’est du travail.»
Susciter des vocations parmi les étudiantes, attirer les profils féminins et accompagner leurs évolutions au sein des équipes, autant d’actions que les acteurs du non-coté doivent poursuivre pour atteindre les objectifs de mixité fixé par la Charte de France Invest. Mais au-delà du contexte économique plus difficile qui fait parfois passer cet enjeu au second plan, il faut aussi parfois lutter contre un certain agacement, baptisé « gender fatigue », et éviter que ces initiatives soient perçues comme discriminantes. « Nous faisons plus d’efforts pour trouver des profils féminins car ils sont plus rares, mais in fine nous recrutons évidemment le meilleur candidat quel que soit son genre », clarifie Gwen Colin. Mais l’argument ultime est sans doute d’ordre financier, la mixité favorisant la performance. « La diversité des profils de manière générale constitue une richesse puisqu’elle évite que tous les investisseurs prennent leurs décisions avec les mêmes biais » souligne Céline André. Une récente étude réalisée par Skema Business School atteste ainsi que les groupes du CAC 40 comptant le plus de femmes au niveau de leur management ont une rentabilité opérationnelle deux fois supérieure à celle des sociétés peu féminisées.
Une quasi-parité pour les juniors
Les campagnes de sensibilisation dans l’enseignement supérieur semblent porter leurs fruits. Selon l’étude annuelle de France Invest sur la parité dans le capital-investissement, la proportion de femmes chez les moins de 25 ans est passée de 34 % à 44 % entre 2019 et 2020, avant de redescendre à 38 % l’année dernière. Sans surprise, ce sont donc au niveau des analystes et des chargés d’affaires que les femmes sont les plus nombreuses puisqu’elles représentent 40 % des effectifs, un chiffre quasiment stable depuis quatre ans. Cette proportion se retrouve au niveau des recrutements avec 44 % de femmes embauchées à ce grade en 2024, contre 35 % pour les directeurs de participations et 29 % chez les associés.