A un an de l’entrée en vigueur de la facturation électronique, la profession comptable est contrainte de revoir son modèle d’activité. La volonté partagée par de nombreux cabinets de monter en gamme vers un rôle de conseil renforcé doit s’accompagner d’un effort important de formation des collaborateurs.
Les cabinets d’expertise comptable n’ont pas le choix. Ils doivent repenser leur organisation interne, faire évoluer leur rôle, voire changer de modèle économique. En cause, la facturation électronique. S’il s’agit d’abord d’une obligation fiscale, cette réforme les pousse à une automatisation maximale, les plateformes agréées (homologuées par l’administration fiscale pour la facturation électronique et l’e-reporting) s’imposant dès septembre 2026. « Les plus petits sont parfois les plus agiles », a avancé François Millo, directeur du marché experts-comptables de l’éditeur Cegid, à l’occasion 80e Congrès de l’Ordre, mi-septembre.
Le 6e baromètre annuel d’OpinionWay est rassurant : près de 9 experts-comptables sur 10 (86 %) sont désormais engagés dans la mise en place de la réforme, « pleinement mobilisés pour en faire une réussite collective », déclare Damien Charrier, président du CNOEC. Et leurs équipes ? Certains cabinets « appréhendent déjà la nécessité des nouveaux recrutements et les besoins en formation que cela va générer », voire « craignent la baisse de l’attractivité de la profession et même la disparition du métier », selon l’Observatoire des techs de la profession comptable.
Accompagner la transformation
Le numérique a déjà fait son entrée dans les cabinets. Les éditeurs (Cegid, Sage, Septeo, etc.) proposent des solutions plus ou moins sophistiquées : de la numérisation aux outils complets de gestion et de comptabilité, l’intelligence artificielle (IA) y trouve même sa place. « Ses usages sont multiples, une vraie manne pour automatiser les tâches à faible valeur ajoutée, s’enthousiasme Murielle Adagbe-Perrin, rapporteure générale du Congrès. On l’utilise déjà en précompta. Elle va se généraliser avec la facturation électronique. L’IA soulève aussi la question de la sécurité : les cabinets sont détendeurs des données clients, ils en sont responsables. Pour entraîner l’IA, il faut former les collaborateurs à lui fournir des données pertinentes. »
Sont-ils au moins prêts au tout-numérique ? Gérer l’entrée des flux, récupérer les factures, effectuer les relances, etc., ces tâches peuvent encore représenter plus de 80 % du temps de travail d’un cabinet pour une clientèle de TPE. Or, elles vont disparaître avec la facture électronique. « Le vrai changement, c’est pour ces collaborateurs qui effectuent les saisies, scannent, etc. Il faut les former, tout de suite les inclure pour qu’ils assurent un accompagnement de premier niveau auprès des clients », prévient Murielle Adagbe-Perrin, qui a fondé Ad’Co Experts en 2019. Vladimir Komnenovic, co-fondateur de Numéris, qui fédère Secab (une centaine de collaborateurs) et la Compagnie des comptes (une cinquantaine), va dans le même sens : « L’administratif ne disparaît pas mais le numérique libère du temps pour d’autres services, par exemple du recouvrement. Nous avons la conviction que chacun peut évoluer en remontant la chaîne de valeur vers la gestion client. »
Monter en puissance
Data, cybersécurité, développement de nouvelles missions… « Les cabinets sont tenus à un minimum de formation des collaborateurs, rappelle Murielle Adagbe-Perrin. C’était une obligation. C’est devenu une recommandation. » Conscient des défis, le CNOEC a lancé la plateforme gratuite Cap 2030, pour former les collaborateurs à un champ d’exercice élargi. Si les plus grands cabinets ont leurs propres parcours, d’autres se regroupent pour passer le cap. « Nous avons créé l’Académie, explique Vladimir Komnenovic, co-fondateur du groupe Numéris, qui a vocation à rallier d’autres cabinets de taille intermédiaire. L’objectif est de fournir des formations à l’ensemble des collaborateurs identifiés pour leur fort potentiel. L’entretien client, les bases du management ou de l’IA, etc. : nous privilégions des ateliers pratiques pour une meilleure adoption. » Les formations commencent en ce mois d’octobre avec une vingtaine de personnes. « Ce sera la première promotion : ils ne seront pas issus d’un seul cabinet, afin de créer un esprit de corps, explique Vladimir Komnenovic. L’ensemble des collaborateurs des cabinets du groupe en bénéficieront dans les douze prochains mois. »
Les éditeurs de logiciels sont également mobilisés. « Nous proposons des webinaires sur les basiques de la facturation électronique : la facturX, les principes de la réforme, sa mise en place concrète, son impact sur les outils et les entreprises, etc., détaille Béatrice Piquer, directrice générale de Septeo, spécialisé dans ces professions réglementées. Nous avons par ailleurs une Académie en ligne, tout aussi concrète, et l’IA intégrée à notre plateforme d’automatisation comptable permet au collaborateur d’interroger le chatbot. » Pour elle, qui a vécu la mutation des postiers, passés de distributeurs de courrier à prestataires de services, comme VP Business Développement chez Docapost, la transformation des métiers du chiffre est aussi une opportunité pour les collaborateurs.
La comptatech, structurée « à la fois autour de leaders historiques (Sage, Cegid, EBP, RCA) et d’acteurs plus récents qui ont tiré parti des nouvelles technologies pour proposer des solutions 100 % SaaS et API (Pennylane, Indy, Dougs, MyUnisoft) », explique le document produit par L’Observatoire de la fintech et l’Ordre des experts-comptables, emploie elle-même plus de 40 000 personnes. Et les effectifs vont croissant, notamment chez Qonto (environ 2 000 salariés dans huit pays d’Europe) dont les effectifs ont crû de 41 % en deux ans.
«Nous avons la conviction que chacun peut évoluer en remontant la chaîne de valeur vers la gestion client.»
Proposer des services à valeur ajoutée dans le domaine patrimonial et fiscal
Lorsqu’il s’agit de développer des services complémentaires, grâce au temps libéré par l’automatisation, tels que la gestion des budgets et de la trésorerie, le secrétariat juridique ou l’examen de conformité fiscale (ECF) – qui « permet de générer un revenu récurrent, sans compétences supplémentaires à acquérir », souligne Béatrice Piquer – et d’élargir l’offre, vers le contrôle de gestion pour les TPE par exemple, la formation des équipes peut être suffisante.
Mais de nouveaux profils sont nécessaires lors de changements radicaux de modèle. « Certains cabinets pivotent depuis un an pour se spécialiser dans la création juridique de l’entreprise, en lien avec les avocats, ou sur la dimension patrimoniale et immobilière, dont la transmission, avec les notaires voire des agents immobiliers, explique la directrice générale de Septeo. Nous avons des exemples d’experts-comptables qui ont augmenté d’un tiers leur chiffre d’affaires (de 3 millions d’euros) en proposant du service à valeur ajoutée, patrimonial et fiscal. » La profession recrute désormais d’anciens conseillers bancaires ou en patrimoine, indique Arthur Waller, co-fondateur et CEO de Pennylane, dans L’Observatoire de la tech de la profession comptable.
Les cabinets font tout pour s’assurer un avenir durable. La tendance est la même au sein des PME où de nouveaux rôles émergent (data analyst financier, digital finance manager, credit risk analyst augmenté par IA…). « La digitalisation ne supprime pas massivement les métiers, mais elle reconfigure les compétences : moins de saisie, plus d’analyse et de pilotage. Les équipes seront plus réduites quantitativement mais plus qualifiées, avec un rôle de conseil interne renforcé », explique Marie-Hélène Pebayle, présidente de l’association des directeurs financiers et contrôleurs de gestion (DFCG). Elle pointe aussi les soft skills qui sont recherchés : capacité de communication, agilité, travail en transverse et esprit critique.
« Les experts-comptables sont au cœur de la réforme de la facturation électronique »
Trois questions à… Philippe Vincent, président de Compagnie nationale des commissaires aux comptes (CNCC)
Qu’est-ce que la facturation électronique et les plateformes agréées vont changer pour les commissaires aux comptes (CAC) ?
Les experts-comptables sont au cœur de la réforme. Ils joueront un rôle de prescripteurs. Les commissaires aux comptes, pour leur part, poseront la question de l’homologation, des critères de choix et de la sécurité – qu’il faudra maintenir dans le temps.
Comment appréhendent-ils la dématérialisation globale ?
Les évolutions technologiques font partie de la vie des entreprises. Les commissaires aux comptes ont su s’y adapter depuis 150 ans. Face à la transformation digitale, ils doivent garder le rythme pour apporter une option crédible.
Les CAC disposent-ils de formations spécifiques ?
Ils ont une obligation de formation, de 40 heures par an en moyenne. La CNCC va délivrer dans les prochains mois des modules pour les commissaires aux comptes couvrant les sociétés assujetties à la TVA, concernés à ce titre par la réforme. Puisqu’il n’y aura pas de plateforme publique, nous leur exposerons les spécificités des plateformes disponibles, certaines ne proposant pas l’archivage des factures, par exemple.