La lettre gestion des groupes internationaux

Avril 2022

Première application jurisprudentielle de la « nouvelle » clause anti-abus de l’article 119 ter

Publié le 8 avril 2022 à 15h26

PwC Société d'Avocats    Temps de lecture 6 minutes

Par Diane Laske, avocat, PwC Société d’Avocats

Depuis le 1er janvier 1992, en vertu de la directive mère-fille du 23 juillet 19901, les dividendes versés par une société établie dans un Etat membre de l’UE à sa société mère établie dans un autre Etat membre sont, sous certaines conditions, exonérés de retenue à la source dans l’Etat de la société distributrice.

Cette exonération, transposée par la France à l’article 119 ter du Code général des impôts par la loi de finances rectificative pour 1991, a été assortie depuis l’origine d’une clause anti-abus. Dans un premier temps, celle-ci prévoyait que l’exonération de retenue à la source n’était pas applicable « lorsque les dividendes distribués bénéficient à une personne morale contrôlée directement ou indirectement par un ou plusieurs résidents d’Etats qui ne sont pas membres de la Communauté, sauf si cette personne morale justifie que la chaîne de participations n’a pas comme objet principal ou comme un de ses objets principaux de tirer avantage [de cette exonération] » (article 119 ter, 3). Il appartenait ainsi à la société bénéficiaire des dividendes d’établir que la structure de détention de la société distributrice française n’avait pas pour objet principal de bénéficier en France d’une exonération de retenue à la source sur les dividendes. Cette disposition fut jugée incompatible avec le droit de l’UE dans l’arrêt C-6/16 rendu le 7 septembre 2017 par la Cour de justice de l’UE en ce qu’elle imposait aux sociétés mères non-résidentes une obligation de preuve qui n’incombait pas par ailleurs à une société mère résidente.

Aux fins de transposition de la directive (UE) 2015/121 du 27 janvier 2015, la loi de finances rectificative pour 2015 n° 2015-1786 du 29 décembre 2015 a modifié la rédaction de cette disposition anti-abus par une nouvelle rédaction applicable depuis le 1er janvier 2016. Ainsi l’exonération ne s’applique pas « aux dividendes distribués dans le cadre d’un montage ou d’une série de montages qui, ayant été mis en place pour obtenir, à titre d’objectif principal ou au titre d’un des objectifs principaux, un avantage fiscal allant à l’encontre de l’objet ou de la finalité de [cette exonération], n’est pas authentique compte tenu de l’ensemble des faits et circonstances pertinents ».

L’arrêt rendu le 13 janvier 2022 par la cour administrative d’appel de Lyon (CAA Lyon, 5e chambre, 13 janvier 2022, n° 19LY03610) est, à notre connaissance, la première illustration notable de la mise en œuvre de cette nouvelle disposition.

Dans cette affaire, une société française avait versé des dividendes à sa société mère luxembourgeoise, détenue par deux personnes physiques résidentes de Suisse, au cours des exercices clos les 31 décembre 2014, 2015 et 2016, soit à cheval sur la date d’entrée en vigueur de la nouvelle clause anti-abus de l’article 119 ter, 3 au 1er janvier 2016.

L’administration avait redressé la société distributrice sur le fondement de l’ancienne disposition au titre de 2014 et 2015, et de la nouvelle au titre de 2016. En appel, l’administration arguait qu’aucune raison économique, commerciale ou stratégique ne justifiait l’implantation de la société holding au Luxembourg dont l’activité concernait des magasins implantés quasi exclusivement en France. Elle ajoutait que les conventions de prestation de services conclues avec certaines de ses filiales ne lui procuraient que de faibles revenus au regard des dividendes perçus, et enfin qu’elle était dépourvue de substance puisqu’elle n’employait que peu de salariés, ne détenait que peu d’immobilisations et supportait des frais généraux peu importants.

Le contribuable apporta alors un certain nombre d’éléments permettant de justifier de la réalité économique de sa société mère luxembourgeoise.

Ces éléments ont été décrits par le rapporteur public M. Jean-Paul Vallecchia qui relève notamment que :

– la société luxembourgeoise est une holding créée au Luxembourg en 2007, qui détient une quinzaine de filiales opérationnelles dont l’activité consiste notamment en l’exploitation de magasins de distribution alimentaire ;

– sa création répondait à un besoin de structuration juridique du groupe ;

– bien que la plupart de ses filiales se trouvent en France, le développement à l’international du groupe est une réalité ;

– si cette société holding emploie peu de salariés et si ses immobilisations sont peu nombreuses et ses frais généraux peu élevés, cela correspond à son activité de prestation de services notamment pour l’étude des projets de développement du groupe à l’international.

La cour administrative d’appel souligne que la création de la holding luxembourgeoise a permis de promouvoir le développement international du groupe et en particulier en Europe avec l’ouverture d’un magasin en Belgique en 2013, de deux magasins dans le nord de l’Italie en 2016 et de trois magasins au Luxembourg en 2020 et 2021.

Elle retient en outre que la société a développé une activité de prestations de services administratifs et comptables à destination de ses sous-filiales, qu’elle dispose de ses propres locaux au Luxembourg dont la superficie s’est accrue de manière significative depuis sa création, qu’elle emploie plusieurs personnels chargés de réaliser les prestations et dispose de matériel de transport, de mobilier et de matériel de bureau informatique lui permettant de réaliser ses activités, pour lesquels elle justifie de l’engagement de frais généraux.

Elle juge donc que l’administration n’a pas apporté la preuve que la création de la société constituerait un montage artificiel, dépourvu de réalité économique et destiné à permettre l’interposition de cette société au Luxembourg, afin de procurer à la requérante un avantage principalement fiscal. Cet arrêt montre ainsi l’importance des notions de substance et de réalité économique, lesquelles doivent évidemment permettre de faire obstacle à la mise en œuvre de la nouvelle clause anti-abus. On relèvera aussi avec intérêt que le juge est susceptible de prendre en compte, pour apprécier cette réalité économique, de faits postérieurs aux exercices en litige. 

1. Directive 90/435/CEE du 23 juillet 1990, désormais remplacée par la directive 2011/96/UE du 30 novembre 2011.


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