La lettre gestion des groupes internationaux

Avril 2022

(Faux) départ à l’adoption, par le Conseil de l’Union européenne, de la proposition de directive GloBE

Publié le 8 avril 2022 à 16h17

PwC Société d'Avocats    Temps de lecture 7 minutes

Par Emmanuel Raingeard de la Blétière, avocat associé, PwC Société d’Avocats et Valentin Leroy, PwC Société d’Avocats

La présidence française du Conseil de l’Union européenne, par le truchement du ministre des finances Bruno Le Maire, avait annoncé lors de son premier Conseil Ecofin du 18 janvier 2022 sa volonté d’adopter, en priorité, le projet de directive relative à la mise en place d’un niveau minimum d’imposition mondial pour les groupes multinationaux dans l’Union. Ce projet entend assurer une mise en œuvre ordonnée, dans les 27 Etats membres, du Modèle de Règles GloBE publié par l’OCDE/Cadre inclusif tout en assurant sa compatibilité avec les libertés fondamentales. Malgré un agenda chargé et bousculé par la guerre en Ukraine, cette proposition a fait l’objet d’intenses discussions, entre les délégations, au sein des groupes du travail du Conseil Ecofin au cours des derniers mois au point que la France espérait dégager, à l’occasion de la réunion du 15 mars 2022, un accord (orientation générale) sur son texte de compromis. Tel ne fut pas le cas.

La proposition initiale de la Commission européenne a fait l’objet, en l’état du compromis du 12 mars 2022, de deux types de modification : d’une part, des ajustements techniques ayant pour objet de rapprocher sa rédaction de celle du Modèle de règles de l’OCDE/Cadre inclusif et de clarifier certaines parties (en particulier celles nécessaires à la mise en conformité des règles GloBE au droit de l’Union européenne et celles peu développées par le Modèle OCDE, par exemple en matière d’impôt complémentaire national) ; et d’autre part, des amendements substantiels sans lesquels l’adhésion de plusieurs Etats aurait été impossible.

Il s’agit, en premier lieu, du report d’application de ces règles d’une année. Si, conformément à la déclaration commune de l’OCDE/Cadre inclusif en date du 8 octobre 2021, la directive entrerait en vigueur en 20221 avec une transposition au plus tard le 31 décembre 2023 de ses dispositions au sein du système fiscal respectif des Etats membres, en revanche, les règles GloBE ne s’appliqueraient qu’aux exercices ouverts à compter du 31 décembre 2023 (et à compter du 31 décembre 2024 – sauf exception – pour la règle sur les bénéfices insuffisamment imposés (« RBII »), dénommée « règle sur les paiements insuffisamment taxés » dans le Modèle de règles de l’OCDE/Cadre inclusif). En pratique, l’imposition minimale concernerait donc exclusivement, dans l’Union européenne, les profits générés à partir de l’année 2024.

En second lieu, à la demande d’une poignée d’Etats membres pour lesquels le coût de mise en œuvre des règles GloBE pourrait excéder les gains attendus en termes de recettes fiscales, la directive autoriserait, sur option, ceux sur le territoire desquels il n’y aurait pas plus de dix entités mères ultimes de ne pas appliquer ces règles sur une période limitée. Ces groupes n’échapperaient néanmoins pas au pilier 2 puisque le prélèvement de l’imposition complémentaire dû à raison des entités constitutives établies dans ces juridictions incomberait aux autres Etats membres de l’Union à travers la RBII dont l’entrée en vigueur serait, à titre dérogatoire, avancée aux exercices ouverts à compter du 31 décembre 2023.

De la sorte, ainsi qu’il ressort des considérants du texte de compromis, l’Union européenne estime respecter, littéralement, l’engagement pris par ses Etats membres le 8 octobre 2021 : « En fixant l’entrée en vigueur de la présente directive en 2022 et la date limite de transposition par les Etats membres au 31 décembre 2023 au plus tard, l’UE agira conformément au calendrier convenu dans la déclaration d’octobre 2021 du cadre inclusif de l’OCDE sur l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices (BEPS), selon lequel le pilier 2 devrait être transposé en droit en 2022, pour entrer en vigueur en 2023, la RBII prenant effet en 2024 ». Nonobstant, en dépit de l’imprécision rédactionnelle de cette déclaration commune, l’objectif – ambitieux – poursuivi à l’époque par l’OCDE/Cadre inclusif était vraisemblablement de couvrir les profits générés par les entreprises multinationales dès le 1er janvier 2023. Cette interprétation souple pourrait inspirer d’autres juridictions, et ce, d’autant plus en cette période où l’incertitude demeure encore aux Etats-Unis d’Amérique sur la capacité du président Joe Biden à faire adopter par le Congrès les règles GloBE.

Il est possible toutefois de s’interroger sur l’utilité pratique de ce report d’un an, dans l’hypothèse où certaines juridictions établies hors de l’Union s’en tiendraient à une lecture stricte de la déclaration commune du 8 octobre 2021 et, partant, lèveraient l’imposition complémentaire sous GloBE dès les exercices ouverts à compter du 1er janvier 2023. En effet, le cas échéant, les groupes dont l’entité mère ultime est établie dans l’Union et ayant des sociétés mères intermédiaires hors de l’UE entreraient alors dans le champ d’application de leur législation fiscale locale dès 2023. A cela s’ajoute la possibilité que certains Etats mettent en œuvre des impôts complémentaires nationaux. Il leur appartiendrait alors de s’y conformer, sous peine de sanctions pécuniaires. Pour ce faire, encore faudrait-il que ces groupes soient en capacité de calculer leur charge fiscale GloBE dans l’ensemble des territoires concernés sur l’année 2023. Il est dès lors sans doute, paradoxalement, encore trop tôt pour retarder les travaux de mise à niveau des systèmes d’informations comptables employés par ces groupes ; sauf à anticiper un alignement des autres Etats sur le (nouveau) calendrier de l’Union européenne ou un « effondrement » du projet GloBE dans les prochains mois.

Cette dernière hypothèse semble devoir être écartée si l’on s’en tient à la déclaration de Bruno Le Maire selon lequel un accord politique est à « portée de main »2. En effet, seuls quatre Etats membres s’opposent à cette proposition pour des raisons diverses. Ils pourraient donc céder, sous la pression de leurs pairs et de modifications supplémentaires, au cours de la prochaine réunion du Conseil Ecofin annoncée le 5 avril 2022. Une fois que le Parlement aura rendu son avis (purement consultatif), le projet de directive pourrait alors être formellement adopté.

En parallèle, les travaux du Cadre inclusif se poursuivent avec la publication, le 14 mars dernier, du commentaire sur le Modèle de règles GloBE qui fournit aux entreprises et gouvernements d’importantes précisions destinées à faciliter et à unifier la compréhension de ces normes. Ce document de 228 pages est accompagné d’un second, comprenant 49 pages, qui illustre en pratique l’application de ces normes par une série d’exemples. A notre sens, le Cadre inclusif pourrait être amené à procéder à des mises à jour régulières de ce commentaire, s’inspirant de la pratique contemporaine du Comité des affaires fiscales de l’OCDE à l’égard de son Modèle de Convention fiscale, de manière à répondre aux difficultés d’interprétation, non encore identifiées, qui ne manqueront pas d’apparaître au fil des années.

Au préalable, le Cadre inclusif doit encore élaborer le « cadre de mise en œuvre » du Pilier 2 qui entend faciliter l’application et l’administration coordonnées des règles GloBE grâce, en particulier, à l’établissement de procédures administratives, telles que les obligations de déclaration détaillées, et la mise en place de mécanismes d’examen multilatéraux. Ce cadre de mise en œuvre développera également des régimes de protection supposés simplifier le respect de ces règles par les entreprises et leur contrôle par les autorités fiscales. Ce dernier sujet cristallise désormais l’essentiel des attentes des groupes puisque si l’OCDE a lancé une consultation publique, clôturant le 11 avril (avec une réunion virtuelle programmée à la fin de ce même mois), son périmètre est circonscrit au cadre de mise en œuvre. En d’autres termes, il ne s’agit pas de rouvrir le débat sur les règles GloBE, ou leur compréhension à l’aune du Commentaire, ces normes sont désormais figées, à charge désormais pour les praticiens de les lire, assimiler et décliner. 

1. Plus précisément, le lendemain de la publication de la directive au Journal officiel de l’Union européenne.

2. Déclaration de Bruno Le Maire à l’issue du Conseil Ecofin du 15 mars 2022.


La lettre gestion des groupes internationaux

Précision sur les modalités d’appréciation de la notion de régime fiscal privilégié : le régime des sociétés mères fait partie des « conditions d’imposition de droit commun »

PwC Société d'Avocats    Temps de lecture 14 minutes

CE, 3e et 8e ch., 14 février 2022, n° 442061 et 442062, Carrozza - Le Conseil d’Etat juge que l’appréciation du caractère privilégié du régime fiscal d’une société établie à l’étranger doit se faire par comparaison avec l’impôt auquel elle aurait été soumise dans les conditions de droit commun en France, lesquelles incluent le régime des sociétés mères.

Lire l'article

Consulter les archives

Voir plus

Chargement en cours...

Chargement…