La lettre gestion des groupes internationaux

Avril 2022

Confirmation de la qualité de résident au sens des conventions fiscales en cas d’exonération partielle d’impôts

Publié le 8 avril 2022 à 15h43

PwC Société d'Avocats    Temps de lecture 7 minutes

Par deux décisions rendues le 2 février 2022 (1), le Conseil d’Etat précise sa jurisprudence relative à la condition d’assujettissement à l’impôt donnant accès à la qualité de résident pour l’application des conventions fiscales en jugeant cette condition remplie en cas d’assujettissement seulement partiel à l’impôt.

Par Matthieu Leroux, avocat, et Mathilde Blandino, avocat, PwC Société d’Avocats

Par principe, les personnes physiques ou morales ne peuvent bénéficier des conventions fiscales que si elles répondent à la définition de « résident » au sens conventionnel.

L’expression « résident » d’un Etat contractant est définie par la convention modèle OCDE (article 4.1) et dans la plupart des conventions fiscales bilatérales (2) comme désignant « toute personne qui, en vertu de la législation de cet Etat, est assujettie à l’impôt dans cet Etat en raison de son domicile, de sa résidence, de son siège de direction ou de tout autre critère de nature analogue ».

La jurisprudence déduit de cette définition qu’une personne totalement exonérée d’impôt dans un Etat contractant à raison de son statut ou de son activité ne peut être regardée en principe comme assujettie à cet impôt, et donc comme résidente de cet Etat (3).

Par deux décisions rendues le 2 février 2022, le Conseil d’Etat vient de préciser cette jurisprudence à l’occasion de l’examen du régime tunisien des sociétés dites « totalement exportatrices ». Dans ces décisions, le juge confirme qu’un contribuable partiellement assujetti à l’impôt peut avoir la qualité de résident au sens conventionnel, même en l’absence d’activité imposable.

Deux sociétés françaises ont versé des rémunérations à des sociétés tunisiennes en contrepartie de prestations fournies ou utilisées en France. Ces sociétés tunisiennes étaient dépourvues d’installation professionnelle permanente en France et n’étaient pas soumises à l’impôt en Tunisie à raison des bénéfices réalisés avec les sociétés françaises, en application du régime dit des sociétés « totalement exportatrices ». Ce régime permettait à des entreprises tunisiennes de bénéficier, pendant dix ans, d’un mécanisme de déduction de l’assiette de l’impôt de la totalité de leurs bénéfices ou revenus provenant de l’exportation ou de l’activité de prestations de services à destination de l’étranger. Soulignons aussi que ce régime autorisait les sociétés à avoir une activité locale à condition que le chiffre d’affaires sur le marché tunisien n’excède pas 30 % de leur chiffre d’affaires à l’exportation. Les bénéfices générés sur le marché local sont quant à eux soumis à l’impôt sur les sociétés tunisien dans les conditions de droit commun.

En l’espèce, les sociétés tunisiennes réalisaient exclusivement leur chiffre d’affaires à l’exportation et étaient donc de facto totalement exonérées d’impôt. L’administration fiscale française et le juge de première instance en ont tiré argument pour écarter l’application de la convention fiscale franco-tunisienne et appliquer la retenue à la source prévue à l’article 182 B du Code général des impôts, considérant que les sociétés tunisiennes n’étaient pas effectivement assujetties à l’impôt au sens de l’article 3.1 de la convention fiscale franco-tunisienne et ne pouvaient donc bénéficier des dispositions conventionnelles.

Confirmant les décisions d’appel, le Conseil d’Etat, après avoir relevé, d’une part, que les sociétés tunisiennes avaient leur siège en Tunisie (critère de rattachement personnel) et, d’autre part, qu’elles n’étaient exonérées qu’à raison de leurs bénéfices provenant de l’exportation mais non de ceux susceptibles de provenir d’une activité réalisée en Tunisie sur le marché local, considère que ces sociétés devaient être regardées comme assujetties à l’impôt sur les sociétés en Tunisie à raison de leur activité et donc résidentes au sens de la convention, alors même qu’elles n’avaient réalisé aucun chiffre d’affaires sur le marché local tunisien pendant la période en litige.

La décision du Conseil d’Etat repose sur trois principes développés dans sa jurisprudence antérieure et rappelés dans les conclusions de la rapporteure publique, Emilie Bokdam-Tognetti :

– tout d’abord, les personnes qui sont structurellement exonérées d’impôt ne peuvent être considérées comme résidentes au sens conventionnel (lorsque la condition d’assujettissement à l’impôt est exigée par la convention) (4) ;

– ensuite, l’imposition doit trouver sa source dans un critère de rattachement personnel à l’Etat, c’est-à-dire dans la qualité de résident et non pas dans la seule imposition des revenus y trouvant leur source (5) ;

– enfin, la condition d’assujettissement à l’impôt ne requiert pas un paiement effectif d’impôt (6).

Au cas particulier, le statut de société totalement exportatrice n’interdisait pas la réalisation d’un chiffre d’affaires sur le marché local susceptible d’être imposé à l’impôt sur les sociétés en Tunisie en cas de réalisation d’un bénéfice. En conséquence, les sociétés tunisiennes ne pouvaient être regardées comme structurellement exonérées d’impôt.

Concernant en l’espèce l’existence d’un rattachement personnel, la rapporteure publique s’interrogeait sur le point de savoir si l’assujettissement à l’impôt des sociétés tunisiennes trouvait son fondement dans un critère de rattachement personnel (e.g. le siège…) à la Tunisie, ou procédait uniquement d’une règle territoriale de source du revenu. A cet égard, elle relève l’incertitude introduite par l’article 14 du Code tunisien d’incitation aux investissements, qui prévoit que les entreprises totalement exportatrices sont considérées comme non-résidentes lorsque leur capital est détenu par des non-résidents au moyen d’une importation de devises convertibles au moins égale à 66 % du capital, ce qui semblait être le cas d’une au moins des sociétés tunisiennes. Toutefois, l’administration fiscale tunisienne considère que l’article 14 de ce code ne définit la résidence qu’au sens de la réglementation des changes et non au sens de la législation fiscale. Le Conseil d’Etat n’avait pas à trancher la question sur le fond, dans la mesure où il n’en était pas saisi.

Le régime des sociétés totalement exportatrices a été abrogé le 1er janvier 2021 mais demeure toutefois applicable aux sociétés entrées dans le régime avant cette date pour la période restant à courir. Outre ce cas d’espèce, cette décision est susceptible de trouver une application plus large dans le cadre d’autres dispositifs d’exonération partielle, qu’ils soient temporaires ou permanents. Même si elle ne résout pas toutes les difficultés, cette décision apporte des précisions importantes, et bienvenues, sur l’interprétation de la notion de résident, essentielle pour l’application des conventions fiscales internationales. 

1. Conseil d’Etat, 9e-10e chambres réunies, 02/02/2022, n° 443018 et n° 446664.

2. A l’exception principalement de conventions conclues avec certains pays du Golfe (dont les Emirats arabes unis et le Qatar) et d’Afrique francophone (dont le Mali, le Maroc, le Niger et le Sénégal).

3. Conseil d’Etat, 9e-10e SSR, 09/11/2015, n° 370054, Landesärtzekammer Hessen Versorgungswerk (LHV) et n° 371132, Santander Pensiones SA EGFP.

4. Ibid note de bas de page n° 3.

5. Voir en ce sens la décision du Conseil d’Etat, 8e-3e chambres, 09/06/2020, n° 434972. Ce critère n’est applicable que pour les conventions qui ne comprennent pas, à l’instar de la Convention franco-tunisienne, la deuxième phrase de l’article 4, 1 de la Convention modèle OCDE : « Toutefois, cette expression ne comprend pas les personnes qui ne sont assujetties à l’impôt dans cet Etat que pour les revenus de sources situées dans cet Etat ou pour la fortune qui y est située. »

6. Voir en ce sens la décision Conseil d’Etat, 9e-10e SSR, 27/07/2012, n° 337656 et n° 337810.


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