La lettre gestion des groupes internationaux

Avril 2022

Quel délai pour réclamer une retenue à la source ?

Publié le 8 avril 2022 à 15h23

PwC Société d'Avocats    Temps de lecture 7 minutes

Par Nicolas Bouilleau, avocat,  et Paul Mispelon, avocat, PwC Société d’Avocats

Dans une décision du 2 février 2022 (CE, 9e et 10e ch., 2 fév. 2022, n° 441511, mentionné aux tables), le Conseil d’Etat apporte des précisions importantes sur les délais de réclamation applicables en matière de retenue à la source.

L’article R. 196-1 du LPF prévoit deux délais dont pourraient éventuellement se prévaloir les contribuables afin de réclamer le remboursement de retenues à la source :

– la première partie de l’article prévoit que le contribuable dispose d’un délai pour présenter sa réclamation expirant le « 31 décembre de la deuxième année suivant celle […] du versement de l’impôt contesté » ;

– la seconde partie de l’article prévoit que « toutefois […] les réclamations doivent être présentées au plus tard le 31 décembre de l’année suivant celle […] au cours de laquelle les retenues à la source et les prélèvements ont été opérés s’il s’agit de contestations relatives à l’application de ces retenues ».

Ainsi, selon la partie à laquelle se réfère le contribuable, il serait limité soit par un délai restreint expirant à la fin de l’année suivant le paiement, soit par un délai augmenté d’une année supplémentaire pour réclamer le remboursement des retenues à la source qu’il a payées.

Le Conseil d’Etat précise ainsi que, en principe, il s’agit du délai restreint qui doit s’appliquer (1). Cependant, sous réserve d’être dans une situation où le principe européen de libre circulation des capitaux trouve application, le principe d’équivalence permet aux contribuables de se prévaloir du délai expirant le 31 décembre de la deuxième année (2).

1. Un délai expirant le 31 décembre de la première année selon le droit interne

Le Conseil d’Etat avait jugé, dans une ancienne décision datant de l’année 1975, avant la création du LPF, que « le délai de réclamation est déterminé par les dispositions du 3e alinéa du 2 de l’article 1932 du Code général des impôts » (CE, 9e, 7e et 8e ss-sect., 19 déc. 1975, n° 86880, mentionné aux tables), soit le 31 décembre de l’année suivant celle au cours de laquelle les retenues ont été opérées. Cependant, à l’époque, la rédaction prévue dans ce qui est aujourd’hui la première partie de l’article R*196-1 était telle qu’elle ne pouvait pas s’appliquer aux retenues à la source. Le délai ne s’appliquait qu’aux impôts recouvrés par voie de rôle. La transposition de la décision de 1975 au régime actuel n’avait donc rien d’évident.

Le doute était d’autant plus permis que dans deux décisions, le Conseil d’Etat avait laissé entendre que les délais prévus à l’article R*196-1, dans la première ou la seconde partie, étaient alternatifs. Il avait en effet jugé qu’« il résulte de ces dispositions qu’une réclamation est recevable dès lors qu’elle est formée dans le délai prévu dans l’une des hypothèses mentionnées dans la première partie de l’article R*196-1 ; que la seconde partie de l’article ouvre en outre, dans les hypothèses qu’elle prévoit, un autre délai pendant lequel une réclamation est également recevable » (CE, 3e et 8e ss-sect., 5 juill. 2010, n° 310945, publié ; CE, 3e et 8e ch., 15 avr. 2016, n° 385737, inédit).

Cette lecture n’est cependant pas celle que retient le Conseil d’Etat dans la décision Sofina. Il juge en effet que « les réclamations contestant l’application de retenues à la source doivent être déposées dans le délai prévu au b) de la seconde partie de cet article ».

Selon la rapporteure publique Emilie Bokdam-Tognetti, le caractère alternatif des deux parties de l’article R*196-1 du LPF ne pouvait être consacré en raison, d’une part, de l’exégèse des textes et, d’autre part, de l’effet utile à donner à la disposition spéciale prévoyant un délai réduit.

Ces deux éléments ont conduit le Conseil d’Etat à considérer que, en droit interne, seul le délai spécial (plus court) de la seconde partie devait s’appliquer.

Cependant, confronté au principe d’équivalence et à celui de la liberté de circulation des capitaux, le Conseil d’Etat juge que le délai de droit commun de la première partie de la disposition devait s’appliquer, préférant la voie de la censure de l’incompatibilité à celle d’une interprétation conforme de cette disposition.

2. Un principe d’équivalence du droit de l’Union européenne conduisant à appliquer le délai de deux ans

Afin de demander que la réclamation déposée en 2011 au titre de l’année 2008 soit jugée recevable, la société s’est prévalue de la violation du droit de l’Union européenne et en particulier du principe d’équivalence. Celui-ci était applicable du fait de l’exercice par celle-ci de la liberté de circulation des capitaux.

Elle faisait valoir qu’une société française redevable de l’impôt sur les sociétés dispose d’un délai expirant le 31 décembre de la deuxième année suivant le paiement de celle-ci pour introduire sa réclamation tandis qu’une société (non-résidente) subissant une retenue à la source ne disposait que du délai expirant à la fin de la première année.

Le Conseil d’Etat approuve tout d’abord le raisonnement de la société. Appliquant le principe d’équivalence, il estime in fine que ce n’est pas le délai restreint de la seconde partie de l’article R*196-1 du LPF qui devait s’appliquer mais bien celui de la première partie. Cette solution conforme à la jurisprudence de la Cour était largement anticipée.

Cependant, cela n’était pas suffisant pour faire juger la réclamation déposée par la société requérante en 2011 recevable en ce qui concerne l’année 2008.

La société avait donc essayé de soutenir que si les dispositions internes sont discriminatoires, elles doivent être écartées. Ce moyen conduisait à affirmer qu’il n’existerait plus de délai opposable à la société pour présenter sa réclamation. Il a été rejeté par le Conseil d’Etat. Comme l’indiquent les conclusions de sa rapporteure publique mais également le fichage de la décision, celui-ci s’inspire de sa précédente décision jugeant qu’une discrimination relative à l’assiette d’une retenue à la source ne conduit pas à écarter la base légale de l’impôt et à décharger intégralement le contribuable (CE, 9e et 10e ch., 6 déc. 2021, n° 433301, publié). Il y a lieu, dans ces circonstances, comme le précise le Conseil d’Etat dans sa décision, « d’appliquer au contribuable non-résident des règles procédurales de nature à rétablir une équivalence de traitement ».

La société requérante avait également soutenu qu’il existait une discrimination entre une société française redevable de l’impôt sur les sociétés et une société subissant les retenues à la source. La société redevable de l’impôt sur les sociétés est en effet imposée l’année suivant le paiement des dividendes (par exemple lorsque la date de clôture de son exercice est le 31 décembre). En matière de retenue à la source sur les produits visés aux articles 108 à 117 bis du Code général des impôts, la retenue à la source doit être payée « dans les quinze premiers jours du mois suivant celui au titre duquel elle est due ».

Ce décalage entre les dates de paiement de l’impôt permet aux sociétés françaises de disposer d’un délai plus long entre la date de perception du dividende et la fin du délai de réclamation que les sociétés étrangères subissant une retenue à la source sur les dividendes perçus.

Cependant, le Conseil d’Etat rejette là aussi le moyen en indiquant que cette différence « est inhérente à la différence de technique d’imposition liée à des modalités de recouvrement différentes et ne confère, en tout état de cause, aux sociétés résidentes aucun avantage constitutif d’une entrave à la libre circulation des capitaux ». Il n’y a ainsi aucune discrimination puisque le point du départ du délai à prendre en compte pour caractériser une discrimination est le paiement de l’impôt, pas la perception du dividende. Sur ce point, la société dispose du même délai qu’une société française redevable de l’impôt sur les sociétés pour réclamer la retenue à la source : un délai qui expire le 31 décembre de la deuxième année suivant le paiement de l’impôt.

Une question demeure tout de même en suspens à la suite de cette décision. Dès lors que celle-ci se fonde sur la libre circulation des capitaux pour appliquer le principe d’équivalence et écarter le délai d’un an, il est possible de s’interroger sur la transposition de cette décision dans les cas où aucune des libertés fondamentales garanties par le droit de l’Union européenne ne pourrait être invoquée. Néanmoins, les contribuables pourraient alors tenter de se fonder sur d’autres normes afin d’obtenir le bénéfice de ce délai étendu.


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Pilier 1 de l’OCDE : point d’étape sur le nouveau droit d’imposer les grandes multinationales

LANDRE, Stéphane    Temps de lecture 10 minutes

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