Dossier Export et Finance

Les exportations françaises fragilisées par le contexte de risques accrus

Publié le 16 juin 2022 à 12h20

Anne del Pozo    Temps de lecture 6 minutes

La fin des plans de soutien financier mis en place pendant la période Covid conjuguée à l’aggravation de la conjoncture économique et géopolitique mondiale marquent la fin de l’embellie sur le front des défaillances d’entreprises et des délais de paiement. Un contexte qui pourrait fragiliser le commerce extérieur français et qui doit inciter les exportateurs à la plus grande vigilance face aux risques client mais aussi, et de plus en plus, face aux risques fournisseurs.

Après une année 2021 favorable aux exportateurs français, la donne change depuis quelques mois. Les exportateurs ont en effet dû s’adapter à un nouveau contexte international caractérisé par de fortes perturbations des chaînes d’approvisionnements. Dans plusieurs pays d’Europe, dont la France, un tiers des exportateurs ont d’ailleurs décidé de chercher de nouveaux fournisseurs (Allianz Trade Global Survey 2022). D’autre part, les exportateurs doivent également composer avec les conséquences économiques de l’invasion de l’Ukraine. « La part des répondants prévoyant une hausse de leur chiffre d’affaires à l’export en 2022 est passée de 94 % à 78 % suite à l’invasion de l’Ukraine, explique Françoise Huang, économiste senior en charge du commerce mondial chez Allianz Trade. En Italie et en France où les entreprises étaient les plus optimistes, respectivement 29 % (+ 26 points) et 23 % (+ 20 points) des exportateurs s’attendent désormais à une baisse de leur chiffre d’affaires à l’export en 2022. »

La balance commerciale française impactée

Ainsi, quelques semaines seulement après le début de la crise ukrainienne, les premiers effets se font ressentir sur la balance commerciale française. Selon les chiffres publiés début mai par les Douanes, sur le seul mois de mars, le déficit du commerce extérieur français s’est aggravé à 12,4 milliards d’euros contre 10,4 milliards un mois plus tôt. Au premier trimestre, le déficit du commerce extérieur français s’est creusé à 31 milliards d’euros, contre 16,2 milliards à la même époque de l’an dernier. Sur douze mois glissants, il atteint désormais 100 milliards d’euros.

Au premier trimestre 2022, les exportations de biens continuent de croître en valeur à un rythme proche de celui du 4e trimestre 2021 (+ 5,3 %, après 4,7 %) et ce, malgré un recul significatif (500 millions d’euros) en mars. Elles sont néanmoins entièrement portées par le dynamisme des produits manufacturés, en lien avec la reprise des exportations de matériels de transport, dopées par la livraison d’un paquebot vers les Etats-Unis, ainsi que celui des ventes d’autres produits industriels.

Les importations ont pour leur part ralenti fortement au premier trimestre, leur taux de croissance étant divisé par près de deux (+ 5,3 % après + 9,9 %). La croissance des importations, liée en totalité à la hausse des prix, est tirée par les achats de produits manufacturés (notamment de produits chimiques, parfums et cosmétiques et de produits métallurgiques et métalliques) et les achats d’hydrocarbures, dont le prix reste très élevé dans un contexte de tensions géopolitiques.

Un solde commercial trimestriel en recul

Au total, le solde commercial trimestriel se détériore de 1,5 milliard d’euros au premier trimestre (par rapport au quatrième trimestre 2021) pour atteindre – 31 milliards d’euros. Le creusement du déficit est principalement porté par l’énergie, dont le solde se détériore de 3,9 milliards d’euros, en raison de la facture des achats d’hydrocarbures naturels. Au-delà de la flambée des prix de l’énergie, c’est plus largement l’envolée des prix de toutes les matières premières ou encore l’appréciation du dollar par rapport à l’euro qui pèsent sur le commerce extérieur français.

A l’inverse, le déficit manufacturier se réduit (de 2,5 milliards d’euros), le solde des matériels de transport s’améliorant fortement. D’autre part, l’excédent des échanges de services s’améliore. Il atteint 6,5 milliards d’euros au mois de mars et 16 milliards sur le trimestre, limitant ainsi la dérive du déficit courant de la France.

Les principaux risques export identifiés par les entreprises françaises

Ce contexte global reflète un environnement de risques accrus et traduit un effritement de l’optimisme des exportateurs, notamment français. En 2021, ces derniers déclaraient que les trois principaux risques portent sur l’incertitude quant à la demande du fait de l’épidémie Covid-19 (35 %), les pénuries et le coût de la main-d’œuvre (33 %) et les prix élevés de l’énergie (32 %). Depuis l’invasion de l’Ukraine, l’inquiétude des exportateurs européens concernant les prix de l’énergie s’est encore renforcée. « Au total, 56 % des répondants estiment désormais que les prix de l’énergie deviendront un défi encore plus important en 2022 (+ 19 % par rapport aux réponses pré-invasion), poursuit Françoise Huang. La France témoigne néanmoins de la hausse la moins élevée en la matière (46 %, + 9 points), ce qui reflète la mise en place par le gouvernement du Plan de résilience. »

«En France, les entreprises s’attendent à une baisse de leur chiffre d’affaires export en 2022.

 »

Françoise Huang Economiste senior en charge du commerce mondial ,  Allianz Trade 

D’autre part, les exportateurs français craignent également une remontée des risques d’impayés : ils sont 49 % à s’attendre à une résurgence du risque d’impayés et 33 % à un allongement des délais de paiement. Selon Allianz Trade, les impayés ont eu un impact sur l’activité export d’environ 60 % des entreprises et en particulier pour les entreprises françaises (66 %), chinoises (65 %) et américaines (58 %). De plus, malgré le fort rebond économique constaté en 2021, les liquidités accumulées par les entreprises et la solide reprise du commerce mondial, 50 % des répondants déclarent qu’ils ont observé des délais de paiement plus longs en 2021. Les exportateurs français sont 62 % à aller dans le même sens.  

Enfin, les défaillances d’entreprises sont également attendues à la hausse dans le monde, + 10 % en moyenne en 2022 et + 14 % en 2023 (Allianz Trade). La normalisation des défaillances dans le monde gagne ainsi en intensité, mais la situation est contrastée selon les pays.

En Europe, l’endettement des entreprises s’est détérioré en 2021 de l’ordre de 5 points contre 3,5 aux Etats-Unis. La guerre en Ukraine et l’inflation risquent de provoquer une érosion du pouvoir d’achat et donc une chute de la demande, ce qui, in fine, pourrait aussi avoir des conséquences particulièrement néfastes sur l’investissement des entreprises. 

La France perd du terrainsur l’échiquier mondial

Les parts de marché de la France dans le commerce mondial ont continué à s’éroder au premier trimestre. Sur la période, elle a certes amélioré de 2,5 milliards d’euros son solde commercial avec ses partenaires de l’Union européenne, l’Italie, l’Espagne et les Pays-Bas en tête. Cependant, la réorientation de ses achats d’hydrocarbures a entraîné une dégradation de sa balance avec l’Afrique ainsi qu’avec les Etats-Unis. Le déficit avec la Chine s’est par ailleurs aggravé, les livraisons par la France de produits aéronautiques ayant chuté. Il s’est également creusé avec la Russie qui a profité de l’envolée des prix du pétrole et du gaz.

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